— Rien ? leur demanda-t-il.
— Rien, chef.
— Alors, continuons.
Il toucha le bord de son chapeau de feutre :
— Excusez, grommela-t-il.
Les cars de police n’en finissaient pas de stopper devant l’immeuble de la 14 eRue Ouest et de déverser leurs provisions de flics.
C'était une opération de vaste envergure, quelque chose comme un meeting politique ou la capture de Dillinger.
La foule obstruait complètement la rue et la circulation avait été provisoirement détournée.
Mallory se dit qu’il n’allait pas être facile de pénétrer dans cet immeuble entouré d’un cordon continu de flics. Tout de même, il devait être plus aisé d’y entrer que d’en sortir, et le grand type roux, sans cesser d’éplucher et d’engloutir des cacahuètes, cherchait une combine.
Le temps passait, il fallait se hâter, car ces salauds de cops ne tarderaient pas à mettre la main sur le fugitif. Alors il serait trop tard. Mallory n’aurait plus qu’à aller rendre compte de son échec à Katz et Baumann.
Cette idée ne lui souriait guère.
Il fendit la foule des curieux et, grâce à ses coups d’épaule, parvint au premier rang.
C’est alors que la chance lui sourit. Une voiture de police fendit le flot compact des assistants. Mais sa sirène ne donnait pas des résultats assez satisfaisants et le conducteur du véhicule lançait des invectives.
Mallory se souvint alors qu’il savait imiter à la perfection les roulades des sifflets de police. Il grimpa avec autorité sur le marchepied de l’automobile et, les doigts dans la bouche, entama son récital.
L’effet fut immédiat.
Ce grand gaillard qui s’escrimait, lançant des ruades et sifflant éperdument, dut impressionner les badauds, car la voiture parcourut sans difficulté la distance qui la séparait de l’entrée de l’immeuble.
— Merci, vieux, fit le chauffeur en freinant.
— De rien, lui répondit Mallory avec désinvolture.
Il tenait à donner l’impression qu’il appartenait à la police.
Il ouvrit la portière aux deux occupants de l’automobile (des supérieurs, estima-t-il) et, les saluant brièvement, leur dit :
— Par ici…
Il avait observé le va-et-vient ; il ne lui fut donc pas trop difficile de les conduire dans la bonne direction. Des inspecteurs se précipitèrent au-devant du petit cortège. Il y eut des salutations. Chacun des deux groupes de policiers crut qu’il faisait partie de l’autre. Mallory, exploitant habilement la double confusion, serra des mains inconnues. Dès lors, il n’eut plus qu’à se faire oublier et à suivre les premiers arrivants jusqu’à l’appartement de Bukhauser.
Le corps reposait toujours dans la position où l’avaient jeté les balles de Stefan. Il y avait beaucoup de sang sur le parquet. Des photographes de l’Identité judiciaire s’activaient dans la pièce, prenant des clichés du cadavre sous tous les angles possibles.
— Et la femme ? questionna l’une des huiles qui venaient d’arriver.
— Le meurtrier l’a jetée par la fenêtre. Elle s’est écrasée sur un balcon, quatre étages plus bas. Son corps vient d’être enlevé par l’institut médico-légal.
— L’assassin ?
— Son signalement a été communiqué partout. Le service des fichiers fait des recherches.
L'homme qui répondait aux questions du chef était un agent du Bureau fédéral. Brun, élégant et athlétique, il ressemblait à un artiste de cinéma et s’exprimait avec aisance. Mallory l’observa et lui trouva l’air intelligent.
— L’assassin s’est enfui par le toit, poursuivit le fédé. Nous avons retrouvé sa trace. Il a traversé l’immeuble en diagonale mais celui-ci donnant sur quatre rues, il s’est de nouveau introduit à l’intérieur par un second vasistas.
— C’est donc cette seconde partie du bloc qu’il convient de fouiller, objecta l’un des chefs.
— On s’en occupe activement.
— L’homme a-t-il eu la possibilité matérielle de quitter l’immeuble, Adam ?
— Non, répondit ledit Adam. J’ai moi-même chronométré. L'alerte a été donnée alors qu’il se trouvait encore dans cette pièce. Il est parvenu à échapper aux types de Police-secours, mais déjà la Brigade criminelle survenait avant qu’il ait eu le temps de franchir le hall d’entrée, lui coupant ainsi la retraite. Il a filé par l’ascenseur des communs… J’ai calculé que le dispositif de blocage de l’immeuble était déjà en place au moment où il atteignait le toit.
— Bref, il se trouve toujours ici, dans l’immeuble ?
— Toujours, chef.
— Personne n’en est sorti ?
— Personne, pas un homme, pas une femme. J’ai donné des ordres très stricts. Lorsque j’ai su le nom de la victime, j’ai aussitôt compris qu’il s’agissait d’une affaire particulière.
— Particulière, en effet, admit le chef. Bukhauser appartient à un réseau d’espionnage. Nos services venaient de le repérer et nous espérions, grâce à cette découverte, remonter à toute la bande, mais ces gens-là sont forts, très forts, ils se sont aperçus de quelque chose et, par mesure de sécurité, ont fait abattre leur homme. Il faut coûte que coûte que nous mettions la main sur l’assassin. Cet homme est dangereux, mais j’interdis qu’on lui tire dessus. Il me le faut vivant ! Je compte sur vous, Adam.
Adam fit un signe affirmatif.
— Nous ferons l’impossible, chef.
Mallory estima qu’il avait assez musardé comme ça en compagnie des policiers. Maintenant, il possédait suffisamment d’éléments pour se lancer sur les traces de Stefan. Seulement, il ne pouvait circuler seul sans risquer d’attirer l’attention d’un de ces fonctionnaires qui pouvaient compromettre ses chances en lui demandant sa plaque de police.
Il regarda l’agent fédéral Adam s’éloigner en direction de l’ascenseur et il lui courut après.
— Vous permettez que je vous accompagne ? demanda-t-il. Ordre du chef : il entend demeurer en étroit contact avec vous et me charge d’établir la liaison.
Adam n’eut pas l’air enthousiasmé, néanmoins il accepta d’un haussement d’épaules la compagnie de Mallory.
Quelques minutes plus tard, les deux hommes parvenaient sous le second vasistas, celui par lequel, selon toute vraisemblance, Stefan s’était réintroduit dans l’immeuble.
Ils y trouvèrent la patrouille de perquisition.
— Rien découvert, lieutenant, dit à Adam l’inspecteur qui la dirigeait.
— Vous avez fouillé partout ?
— Pas une seule pièce de ce bloc ne nous a échappé. Tout était normal.
Adam se gratta la tête, le regard perdu dans le vague.
— De deux choses l’une, décréta-t-il : ou bien ce type a réussi à s’enfuir par une issue que nous ignorons, ou bien il est plus fort que nous ne le supposons.
Il réfléchit et demanda :
— Où sont les quatre agents de Police-secours qu’il a bousculés en sortant de chez la victime ?
— Il y en a un à l’hôpital, les autres sont partis aux Archives pour voir s’ils n’y trouveraient pas trace du meurtrier.
— Un seul aurait suffi pour cela, riposta Adam. Lorsqu’un bandit vous tient en respect au bout d’une mitraillette, on n’a pas besoin de se mettre à trois pour tâcher de le reconnaître en photo. Téléphonez à ces gens de rappliquer dare-dare. J’entends qu’ils passent en revue tous les locataires de cette maison, depuis le portier jusqu’à la vieille dame du sixième.
— Entendu, lieutenant.
Adam s’éloigna.
Mallory lui laissa prendre de l’avance. Puis il revint au vasistas et l’examina avec minutie. Il y avait des gouttelettes rouges sur les pointes de verre brisé. Stefan s’était certainement tailladé en passant par l’étroite ouverture. Le grand homme roux se fourra une poignée de cacahuètes dans la bouche et se mit à quatre pattes. On eût dit un énorme molosse.
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