— Vous avez revu Barron, par la suite ?
— Jamais. Entre nous, il était salement repéré, dans le milieu étudiant, et nous avions divulgue l’histoire. Même au mois d’octobre, il y avait encore des gars pour en parler.
Pesenti sortit une cigarette du paquet posé devant lui, la laissa tomber sur sa feuille de papier.
— Vous pouvez m’assurer que c’est exact ?
— Oui, mais je ne veux pas avoir affaire aux flics. Je tenais à rétablir la vérité. Il n’a jamais été enfermé plus de quelques heures, et non deux jours, comme on l’a écrit.
— Pourquoi cette réaction tardive ? Vous pouviez en parler plus tôt, non ?
— Je vous connais de réputation, monsieur Pesenti, et je sais qu’on peut vous faire confiance. Mon nom, c’est Jean Pourrière. J’ai de la famille à Marseille.
— Que pensez-vous de l’histoire ?
— Un flic en moins, c’est pas pour me déplaire, mais je crois pas que le mobile de Barron soit exact. D’ailleurs, d’après d’autres amis, il aurait été raflé sur le trottoir comme spectateur, et non dans la pleine bagarre, mais ça, je ne peux pas vous l’affirmer.
D’un grognement, Pesenti indiqua qu’il n’attachait qu’un faible intérêt à cette insinuation.
— Mais, pour Beaujon, c’est sûr, se hâta d’ajouter Jean Pourrière. Si vous voulez me rencontrer, laissez un message à votre bureau. Je téléphonerai les jours suivants.
— Attendez. Si je fais état de cette information, vous devez accepter que je cite votre nom. Je ne vous cache pas que la police voudra vous interroger ensuite.
L’étudiant hésita durant quelques secondes.
— Pas question, alors. Oubliez tout ça. Je regrette qu’un fils à papa ne puisse pas être publiquement traité de menteur et de pistonné.
Il raccrocha, et Pesenti crispa ses mâchoires. Il détestait ce genre de délation, mais ces renseignements recoupaient ceux fournis par Lefort. On n’avait jamais retrouvé le nom de Daniel Barron dans les registres de Beaujon. Que s’était-il passé, là-bas ? Maintenant, le journaliste avait la certitude que Lanier et Daniel s’étaient rencontrés, et que le drame avait commencé à ce moment-là. Peut-être que le garçon en avait voulu à mort au sous-officier administratif de cet élargissement qui l’avait rendu suspect aux yeux de ses compagnons de lutte ? On pouvait même aller plus loin, imaginer que l’étudiant avait négocié sa mise en liberté contre certains aveux.
Le journal froissé atterrit sur le divan défait. Daniel suivit son père du regard. Il marcha vers la baie grande ouverte, revint vers le centre de la pièce. Paulette avait ramassé le quotidien et le lissait sur ses genoux.
— C’est un traquenard. J’en suis certain.
— Mais tu es inquiet pour ta femme et ta fille, constata Paulette.
— Normal, non ?
— Bien sûr.
La jeune femme évitait de tourner la tête vers Daniel. Très pâle, il ne savait comment dissimuler le tremblement de ses mains.
— Je vais téléphoner, dit-elle. On me donnera bien de ses nouvelles.
— Tu vas attirer l’attention de la police sur toi.
— Et puis ? J’ai vu son nom dans le journal, c’est la femme d’un ex-confrère. Quoi de plus naturel ?
— C’est un piège, et la police s’attachera au moindre indice.
— Elle ne va quand même pas perquisitionner ici ? Je suis de taille à me défendre. Si les visites sont autorisées, j’irai là-bas cet après-midi.
Hervé observa Daniel.
— Qu’en penses-tu ?
— C’est toi qui décides. Tu as plus d’expérience que moi.
Il persiflait imperceptiblement, lui rappelait subtilement que, au cours des six derniers mois, il avait fait preuve d’une prudence intransigeante, ne tolérant pas la moindre erreur.
— Téléphone, décida-t-il, n’osant pas affronter ce qui se cachait au plus profond de lui-même.
Lorsqu’elle obtint l’hôpital, elle demanda la chambre de M me Barron. Une voix d’homme se substitua à celle de la standardiste. Paulette tendit l’écouteur à Hervé.
— À quel titre demandez-vous à parler à M me Barron ?
— Je suis une amie. J’habite Aix, et je viens d’apprendre la nouvelle de son accident.
— Pouvez-vous me donner votre nom et votre adresse ?
— Mais pourquoi ?
— M me Barron ne peut répondre à tous les coups de fil. On l’assaille de toutes parts, vous comprenez pourquoi.
Paulette donna son nom et son adresse, insista sur le fait qu’elle était une amie de la famille et qu’elle ignorait la présence de Céline dans la région.
— Je vous passe sa chambre.
Lorsque la voix de sa femme lui parvint, Hervé n’eut qu’un battement de paupières. Daniel s’était éloigné à l’autre bout de la pièce.
— C’est moi, Paulette. Je ne savais pas que tu étais dans le coin, la prévint-elle. Pour quoi n’es-tu pas passée me voir ? Comment vas-tu ?
— Je te remercie. J’ai quelques écorchures un peu partout, mais d’ici à quelques jours je pourrai sortir.
— Sylvie ?
— Elle se lève déjà. En ce moment, elle est près de moi, en train de lire. Nous avons surtout été terriblement choquées.
— Puis-je te rendre visite cet après-midi ?
Céline hésita à peine :
— Bien sûr. Si cela ne te dérange pas.
— Au contraire.
Lorsqu’elle raccrocha, Daniel avait disparu dans la salle de bains. Hervé allumait une cigarette.
— Le policier, je le connais. Un adjoint du commissaire Lefort, un certain Tabariech. Tu vas les ramener tous les deux sur tes talons. Ils risquent de te rendre visite. Nous devons faire disparaître toute trace de notre séjour. Où pouvons-nous nous cacher ?
— Il y a un grand placard-penderie au fond du couloir. Mais il faudrait ménager des trous d’aération invisibles.
— Nous allons nous en occuper tout de suite, Daniel et moi.
L’endroit était assez vaste pour qu’ils y tiennent à l’aise, assis sur une grande malle de voyage. Hervé tâta la cloison, découvrit qu’il pouvait la percer du côté des W.-C.
— Je vais faire un trou assez grand. Tu peux accrocher un sous-verre, pour le masquer ?
— Plusieurs, pour que ça ne paraisse pas incongru.
Il lui prit le bras.
— Tu t’exposes beaucoup. Ils sont capables de surveiller l’immeuble pendant plusieurs jours. Une semaine.
Elle se dégagea doucement.
— Aucune importance. J’ai de quoi vous faire manger sans attirer l’attention par des achats trop importants.
— Pourquoi le fais-tu ? Uniquement pour Daniel ?
— La curiosité, aussi. Dans toute cette histoire, il n’y a qu’une personne sincère : Sylvie.
Vous trois, vous jouez un drôle de jeu, et ça m’intéresse.
Hervé se mit au travail avec les moyens du bord, arriva à pratiquer un trou de quelques centimètres de diamètre. Le sous-verre le masquait entièrement, laissait entrer l’air. Il nettoya soigneusement les plâtras.
Au volant de sa Morris, Paulette Ramet mit moins d’une heure pour atteindre l’hôpital de Manosque. Elle ne rencontra personne dans les couloirs, jusqu’à la chambre de Céline.
Cette dernière avait des pansements sur le front, à la base du cou et sur les bras. Sylvie, qui la fixait sous sa longue frange, n’avait que des égratignures.
— Je suis heureuse de te voir.
Paulette déposa les paquets qu’elle portait, des fruits, un bouquet de fleurs, des revues et des illustrés pour la petite fille.
— Ton téléphone est surveillé, dit-elle tout de suite, et j’ai expliqué que j’étais sans nouvelles depuis longtemps. Je n’ai pas parlé du coup de fil de Cazan.
— Ne t’inquiète pas…
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