Elle se retourne enfin, le regarde droit dans les yeux.
— Je ne m’enfuirai pas.
— Réfléchissez bien, préconise le flic.
— Mais vous allez l’arrêter ! Vous… Vous allez poster une équipe devant chez moi et…
— Il y a autre chose que je dois vous dire, l’interrompt Alexandre. Je ne suis pas en service.
— Pardon ?
Cette fois, c’est lui qui baisse les yeux. C’est plus difficile à avouer qu’il le pensait.
— Officiellement, je ne mène pas cette enquête. D’ailleurs, officiellement, il n’y a pas d’enquête.
— Je comprends rien… Expliquez-vous ! hurle la jeune femme.
— Je vous ai parlé du lieutenant qui est à l’hosto, entre la vie et la mort. À cause de moi. Je l’ai entraîné dans une opération trop dangereuse. Le chef m’a placé en congé d’office, je pense même que l’IGS va me sabrer.
Cloé le fixe méchamment, comme prête à se jeter sur lui.
— Quand j’ai lu vos mains courantes, je vous ai prise au sérieux. Parce qu’un ami à moi, un commandant, m’avait raconté une histoire qui ressemblait étrangement à la vôtre. Alors, je me suis dit qu’il fallait que quelqu’un vous aide. Même si je n’avais pas l’autorisation de le faire… Voilà, vous savez tout. Demain, je dois rencontrer le psy qui suivait Laura, la jeune femme qui s’est suicidée. En enquêtant sur elle, j’essaie d’en apprendre plus sur cet homme, sur ses méthodes.
Cloé revient s’asseoir, finalement. Parce qu’elle ne tient plus debout. En elle, un mélange de rage, de déception et de désarroi. Émotions fortes qui gommeraient presque la peur.
Ce flic est-il un malade, lui aussi ? Ou son dernier espoir ?
— C’est pour ça qu’il fallait porter plainte hier soir, poursuit le commandant. J’espère qu’ils vont diligenter une enquête, maintenant. Demain, je rendrai une petite visite à mon directeur. Je lui expliquerai tout ce que je sais, tout ce que j’ai découvert au sujet de Laura. Et j’espère qu’il me donnera cette enquête et les moyens de la mener.
— Et s’il refuse ? interroge Cloé.
— Je passerai mes nuits devant chez vous.
— C’est tout ce que vous avez à proposer ?
Tant de mépris dans sa voix…
— Je ne peux rien de plus. Désolé.
— Et s’il se montre, vous pourrez faire quoi ?
Tant de colère, dans ses yeux. Presque de la haine.
— S’il se pointe, je m’occuperai de lui.
— Puisque vous n’avez pas autorité, de quel droit… ?
— Si je l’envoie à l’hosto ou à la morgue, il ne pourra plus vous toucher.
— Si vous faites ça, vous allez vous griller définitivement !
— Ce qui compte, c’est vous. Le reste, je m’en balance. Ce qui pourra m’arriver ensuite m’est parfaitement égal.
— Arrêtez de mentir ! Je crois que vous n’avez pas envie de perdre votre boulot. Parce que c’est tout ce qu’il vous reste.
— Vous vous trompez, corrige Gomez avec un regard réfrigérant. Il ne me reste rien. Plus rien du tout.
Il enfile son blouson et quitte la pièce. Cloé s’élance à sa poursuite, l’agrippe par le bras.
— Où allez-vous ?
Alexandre a envie de mordre. Sans doute parce qu’elle lui parle comme à un chien.
— Je retourne dans ma caisse. Merci pour le café.
Cloé se place entre lui et la porte.
— Restez ici !
— Je ne suis pas là pour obéir à vos ordres. Et je ne suis pas votre exutoire !
Elle ressemble à une panthère sur le point de lui sauter à la gorge. Sophie aussi était belle lorsqu’elle se mettait en colère… Cependant, elle avait plus d’élégance.
— J’ai une veine terrible ! balance Cloé. Le seul flic qui s’intéresse à mon cas est un paria, un imposteur !… Si ça se trouve, vous êtes son complice !
Il réprime une furieuse envie de la forcer à se taire.
— Vous délirez ! Et si je ne vous semble pas assez efficace, allez vous chercher quelqu’un d’autre.
Il ne pensait pas qu’elle le prendrait si mal. Espérait même qu’elle le trouverait héroïque. Il se demande soudain pourquoi il est venu à son secours.
— Vous m’avez prise pour une conne ! Disparaissez !
— Si vous voulez que je m’en aille, laissez-moi passer.
Elle ne bouge pas, continuant à le provoquer. Alors, il l’attrape par les épaules, la déplace d’un bon mètre et ouvre enfin la porte.
— Ne me touchez plus jamais !
Elle frise l’hystérie.
— Aucun risque, rétorque Alexandre en dévalant les marches du perron. Et passez le bonjour de ma part à votre ami, dès qu’il vous rendra visite !
Cloé perd sa dernière goutte de sang-froid et continue de hurler.
— Espèce d’enfoiré ! Ça m’étonne pas que ta femme t’ait plaqué ! Elle a bien fait de se tirer, pauvre con !
Alexandre fait demi-tour. Surprise, Cloé rentre à la hâte puis tente de refermer la porte.
Trop tard.
Gomez file un coup d’épaule, elle est projetée en arrière, manque de perdre l’équilibre.
— Oh pardon ! ricane Alexandre. Je n’ai pas bien entendu votre dernière phrase… Vous disiez ?
Instinctivement, Cloé recule de quelques pas.
— Sortez de chez moi.
Elle a baissé d’un ton, il accentue son sourire. Celui qui ferait frémir l’enfer. Cloé sait qu’elle vient de franchir la limite. Et que ce type est dangereux.
Courir ne servirait pas à grand-chose vu qu’il n’y a qu’une porte et qu’il est devant.
— Je me boirais bien un autre café, finalement, ajoute Gomez. Vous permettez ?
Il la frôle, va tranquillement s’installer dans la cuisine. Cloé reste plantée dans le vestibule, ne sachant trop quelle attitude adopter. Elle songe à s’enfuir de sa propre maison, essaie de se souvenir où elle a mis les clefs de sa voiture.
Sa voiture, garée en bas de chez Gomez.
Si elle part à pied, il la rattrapera. Alors autant l’affronter.
Elle le rejoint, constate qu’il s’est servi un café.
— Faites comme chez vous ! crache la jeune femme.
— Merci, vous êtes très aimable.
Il a l’air de bien s’amuser. Sauf que la haine enflamme ses yeux, redevenus ceux d’un fou.
Furieux.
Cloé attrape un couteau qui traîne sur le plan de travail et le planque dans son dos. Puis elle se campe en face de lui et soutient son regard.
— Alors comme ça, vous pensez que je suis son complice ? Peut-être même que c’est moi ! rigole le flic. Puisque je suis un enfoiré … Non, j’oubliais que je ne suis qu’un pauvre con … Je ne suis donc pas assez intelligent pour être ce fameux psychopathe !
— Je n’ai pas dit ça, murmure Cloé. Je n’ai pas dit que c’était vous.
Il ajoute un sucre dans sa tasse, ne la quitte pas des yeux.
— Je vous fais peur, mademoiselle ? Qu’est-ce que vous planquez dans votre dos ? Un couteau, je parie ! Vous croyez vraiment que vous faites le poids ?
— J’aimerais que vous sortiez de chez moi, maintenant.
— Je finis d’abord mon café, ça ne vous dérange pas ? J’ai passé la nuit à me geler les couilles dans ma caisse, juste pour veiller sur une hystérique. Ça mérite bien une petite récompense, non ?
Il avale son café, se lève. Mais, au lieu de se diriger vers la porte, il se dirige droit sur elle.
— Et j’ai faim, ajoute-t-il.
Cloé se liquéfie sur place. Il la bloque contre l’évier, tend le bras pour ouvrir le placard et s’empare d’un paquet de biscuits. Il approche sa bouche de son oreille.
— Ma femme ne m’a pas plaqué, murmure-t-il. Elle est morte dans d’atroces souffrances.
Un grand froid enlace brutalement Cloé.
— Je… je suis désolée. Je n’avais pas compris…
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