Enfin, le décor s’éclaircit, elle pose le pied sur un large chemin. Sans doute celui où elle était lorsqu’il s’est emparé d’elle… Entre la gauche et la droite, elle hésite. Impossible de se repérer.
Elle opte pour la gauche, s’élance à toute vitesse, malgré la douleur qui remonte le long de sa jambe. Serrant son sac contre son ventre, elle court comme une dératée. Ses poumons s’enflamment, elle se met à crier pour se donner du courage.
Juste un cri, même pas un appel au secours.
Soudain, il lui semble apercevoir au loin une masse noire et elle prie pour qu’il s’agisse de sa voiture. D’une main tremblante, elle récupère la clef dans sa poche, appuie sur le bouton. Lorsque les clignotants s’allument, elle ressent un soulagement intense.
Ça doit être ça, le bonheur. Sauf qu’il ne dure que quelques secondes.
Le principe même du bonheur.
Elle se jette à l’intérieur de la Mercedes, en verrouille aussitôt les portières. Elle se retourne pour inspecter la banquette arrière puis met enfin le contact. La pendule de la voiture lui apprend qu’il est 19 h 49. Elle se croyait au beau milieu de la nuit.
Elle se croyait condamnée à mort.
Marche arrière, manœuvre rapide pour repartir sur la route. Cloé règle la climatisation sur 27 degrés — le maximum — puis appuie à fond sur l’accélérateur.
Mais elle ne va pas loin. Un kilomètre plus tard, elle est obligée de ranger la berline sur le bas-côté. De longues minutes durant, elle pleure, elle hurle. Il faut que ça sorte, avant qu’elle étouffe.
Enfin, elle essuie ses joues avec la manche de son blouson.
Calme-toi, Clo… Il faut partir d’ici !
Elle baisse le pare-soleil, regarde son visage égratigné et sale dans le miroir. Et brusquement, une angoisse plus forte que les autres la submerge.
Qu’est-ce qu’il m’a fait ?
Maintenant qu’elle se croit en sécurité, elle réalise qu’elle s’est réveillée entièrement nue.
Il m’a déshabillée. A posé ses mains sur moi. Peut-être bien pire.
Elle fait descendre la fermeture Éclair de son jean, passe une main entre ses cuisses.
Elle veut savoir.
Ce que ce salaud lui a fait subir pendant qu’elle était inconsciente.
Les larmes reviennent, ses cuisses se referment sur ses doigts. Une nausée fulgurante lui retourne l’estomac, elle a juste le temps d’ouvrir la portière pour cracher un jet de bile.
Elle s’enferme à nouveau dans la voiture, continue de trembler.
Il m’a violée.
L’impression que son corps se durcit. Qu’il meurt.
Un liquide gelé coule dans ses veines, un liquide chaud sur ses joues.
Quelque chose vient de se fracturer à l’intérieur.
Et c’est irréversible.
Alexandre règle le taxi et se jette dans la rue, sous une pluie battante. Il court jusqu’à la porte de l’immeuble, tape le code et entre se mettre à l’abri.
Ses pas sont lourds, il se sent fatigué alors qu’il a pourtant passé la journée le cul vissé dans un fauteuil. Lorsqu’il arrive enfin au deuxième, sa main se crispe sur la rampe. Une forme humaine est recroquevillée devant sa porte. Le front sur les genoux, tremblante comme une feuille.
— Cloé ?
Il l’aide à se lever, elle s’effondre dans ses bras. Il hésite un instant, la serre finalement contre lui.
— Cloé, calmez-vous… Qu’est-ce qui se passe ?
Elle ne parvient pas à parler, juste à sangloter. Son visage est abîmé, ses mains ensanglantées. Elle ne joue pas la comédie.
Sans la lâcher, il ouvre la porte de son appartement et la conduit jusqu’au petit salon. Elle s’accroche à lui comme à une bouée, peinant à respirer. Il décide de ne pas la brusquer, d’attendre patiemment les explications.
— Vous avez l’air frigorifiée… Je vais vous préparer quelque chose de chaud.
Il dépose son arme dans un tiroir fermé à clef, se rend immédiatement dans la cuisine.
Son cœur bat beaucoup trop vite. Il pressent le pire, sait que cette fille vient de subir quelque chose de grave. Quand on perd la parole, c’est que le choc a été violent.
Il fait chauffer de l’eau dans le micro-ondes, attrape une tasse et un sachet de thé. Il apporte le tout à la naufragée.
Sur le canapé, Cloé pleure toujours ; elle fixe le mur en face d’elle. Un mur blanc où est accroché un portrait de Sophie.
— Buvez ça, ordonne-t-il.
Elle attrape la tasse qu’il lui tend, il remarque alors son jean déchiré au niveau du genou droit. Il s’assoit à côté d’elle, ne la quitte pas des yeux. Pour saisir le moindre signe sur son visage. Un simple regard peut parfois en dire tellement long…
— Qu’est-ce qui s’est passé, Cloé ? Parlez-moi, je vous en prie.
Il enlève son blouson en cuir, le lui met sur les épaules.
— Vous êtes blessée ?
Toujours rien, aucune parole. Elle ne le regarde pas, comme si elle avait honte.
Honte de quoi ?
Alexandre commence à comprendre. Une colère sourde l’envahit.
— Vous avez bien fait de venir, dit-il doucement.
— Je ne savais pas où aller… Il est partout !
Les premiers mots, enfin.
— Qu’est-ce qu’il vous a fait ?
Cloé ferme les yeux, essayant de raconter l’indicible. Mais sa bouche refuse de laisser sortir l’horreur. Alors, Alexandre la prend par les épaules, l’attire contre lui. Ainsi, elle parlera plus facilement. Si elle n’a pas à affronter son regard.
— Dites-moi, je vous en prie. N’ayez pas peur, murmure-t-il.
Ce n’était pas grand-chose, mon ange. Juste les préliminaires.
Mais j’espère que tu as aimé !
J’avais envie d’un avant-goût de toi.
Je ne m’étais pas trompé. Je t’ai bien choisie.
Je ne me trompe jamais, de toute façon. Ou si rarement…
Et chaque erreur est là pour nous apprendre, nous faire progresser.
Tu as été imprudente, mon ange. Tellement imprudente ! Choisir d’aller te perdre dans la forêt, ma chère enfant… Quelle inconscience !
Tu m’as un peu déçu, je l’avoue. Mais je sais que tu ne recommenceras pas. Parce que chaque erreur nous apprend.
Ceci dit, ça ne te sauvera pas.
Désormais, tu vas vivre avec la peur chevillée au corps.
Ton si joli corps. Que j’ai pu admirer en prenant tout mon temps. Que j’ai pu toucher… Toucher et même pénétrer.
Ce n’était pas la première fois, tu sais.
Tu es si jolie quand tu dors ! Mais je te préfère les yeux ouverts.
Et la prochaine fois, tu me regarderas, je te le promets.
Mon visage sera même la dernière chose que tu verras.
La dernière image que tu emporteras dans la tombe.
— Il faut y aller, rappelle doucement Alexandre.
Cloé presse ses mains l’une contre l’autre. Elle tremble encore, alors que le chauffage pulse un air brûlant dans l’habitacle.
— Je peux pas…
— Je serai près de vous, je ne vous lâcherai pas.
Il ouvre la portière passager, Cloé ne bouge pas. Il prend sa main dans la sienne, elle résiste.
— On y va, répète-t-il. Je vous promets que ça va bien se passer.
— Je ne suis pas présentable.
Alexandre sourit tristement.
— Si vous passez chez le coiffeur et la manucure, ils ne vous croiront jamais !
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