Elle les regarda tour à tour. Aucun ne baissa les yeux.
— Tu te trompes… Tu es pour nous l’arme parfaite ! Ces crimes passeront pour une vengeance de la part d’une ancienne détenue un peu cinglée qu’on ne retrouvera jamais. Mais c’est clair depuis le départ, tu obtiendras ta liberté en échange de ce boulot…
— J’te crois pas ! Tu me prends vraiment pour une demeurée, pas vrai, Franck ?
— Non, Marianne. Nous avons un contrat tous les deux ; si tu respectes ta part, je respecte la mienne…
— Je représenterai forcément un danger pour vous lorsque j’aurai terminé la mission ; je connais la vérité, je deviens encombrante… Donc, vous ne prenez aucun risque, vous m’éliminez… !
— Tu ne peux pas être encombrante, tu es recherchée par toutes les polices de ce pays. Tu n’aspireras qu’à disparaître… Je ne vois pas pourquoi tu irais raconter cette histoire à qui que ce soit.
Elle secoua la tête, incrédule.
— Tant pis si tu n’as pas confiance en moi. Tu te rendras compte par toi-même que je n’ai pas menti. Mais tu accompliras d’abord ce que nous attendons de toi. Parce que sinon, je me verrai obligé de faire un truc qui m’écœure par avance.
— T’en prendre à Daniel, c’est ça ?
— C’est ça, Marianne. Je n’en ai pas du tout envie. Mais s’il faut en arriver là pour que tu obéisses, je le ferai. Tu peux me croire.
— Pas de problème, pour ça, je te crois ! Je pense que torturer les gens, ça te fait jouir, sale con !
— Tu te trompes, une fois de plus. Et arrête de m’insulter, s’il te plaît…
— Je me trompe ? Moi, je crois au contraire que ça vous plaît bien de faire mal aux gens, commissaire … Mais peut-être que ça vous gêne qu’on en parle ? De tes mœurs très particulières ?
Il la cogna du regard. Mais rien ne pouvait la stopper.
— Tu veux que je leur montre ce que tu m’as fait ?
Il s’approcha, se planta face à elle.
— Qu’est-ce qu’il y a, Marianne ? Tu veux leur dire quoi ? Que nous avons couché ensemble ? La grande nouvelle que voilà ! Tu crois qu’ils en ont quelque chose à foutre ?
Laurent eut un sourire, un peu complice, Philippe cacha sa surprise derrière un visage de marbre. Elle abandonna la partie. Mais Franck retourna la situation à son avantage avec l’ingéniosité du serpent.
— Tu veux leur dire quoi, Marianne ? Que tu t’es fait sauter par un mec que tu connais à peine ? Ou peut-être qu’en taule, tu couchais pour obtenir ta came et tes clopes ? Leur expliquer que tu es une fille facile ?
Elle se leva d’un bond, il reçut une gifle dont la force manqua de l’envoyer au tapis. Il ne répondit pas. Sauf par un sourire odieux.
— Ça suffit, intervint Laurent. Que tu aies couché avec Franck, ou qui que ce soit d’autre, on n’en a effectivement rien à cirer ! Ce qui nous intéresse, c’est que tu acceptes le contrat, que tu élimines ces deux ordures… Sachant que, s’il te venait à l’esprit de refuser, on amènerait ton mec ici et on le garderait au chaud tant que tu n’aurais pas pris la bonne décision. Ne nous oblige pas à faire une victime de plus dans ce merdier… Je sais que tu es intelligente.
Le capitaine avait pris le relais, Franck le remercia d’un regard. Puis il reprit les rênes pour le coup de grâce.
— Surtout, ne t’avise même pas de nous doubler, Marianne. Si tu avais l’idée de disparaître avec l’arme et le dossier, tu le regretterais. Je commencerais par récupérer ton ami. Et puis je te retrouverais, toi. Et là tu verrais vraiment de quoi je suis capable quand je suis furieux…
Ils cessèrent de la harceler un moment. Lui laissèrent reprendre ses esprits.
— Alors ? demanda Franck. Tu décides quoi, Marianne ?
— Parce que j’ai le choix, peut-être ?! répondit-elle avec désespoir. Et… Si je me fais serrer ? Si les flics ou les gendarmes m’arrêtent au Palais ?
— Si jamais ça arrive, tu te démerdes pour qu’ils ne te prennent pas avec le dossier. Tu expliques que tu voulais te venger, c’est pour ça que tu as descendu la juge et le proc’. Et s’ils chopent le dossier, tu expliques que tu l’as taxé au hasard…
— Ben voyons ! J’ai été attirée par la couleur de la pochette ! Comme ça, ils me mettront direct à l’asile…
— Ça n’arrivera pas Marianne. J’ai confiance en toi. Mais là encore, je te conseille de pas nous balancer. Ça serait vraiment une catastrophe pour toi et ton ami…
— Je vois… Donc, si je me fais piquer, je replonge en beauté, c’est ça ?
Il retrouva un visage plus doux, une voix plus calme.
— Non. Je m’arrangerai pour te sortir de là.
— Encore un bobard, hein commissaire ? Si je me fais arrêter, je recevrai un colis piégé dans ma cellule… Ou vous paierez quelques détenues pour me faire la peau… Pas vrai ?
— Non, Marianne. Je te sortirai de là… Si tu as su tenir ta langue, bien sûr.
Elle lui posa une question qui lui dévorait le cerveau.
— Comment comptais-tu me forcer à agir si… si je n’avais pas parlé de Daniel ?
— Tu connais la réponse, Marianne. Le boulot contre ta vie et ta liberté… C’était ma seule arme. Mais je réalise qu’elle était peut-être insuffisante.
*
Il entra dans la chambre sans frapper. Elle était assise à côté du lit. Le front posé sur les genoux. Position de défense.
— Tu devrais dormir, dit-il. Parce qu’il faudra que je te réveille très tôt…
— Je n’arriverai pas à dormir. Laisse-moi seule. Va-t’en…
Il pensa rebrousser chemin. Mais elle semblait tant avoir besoin d’aide qu’il se refusa à l’abandonner. Il passa une main dans ses cheveux. Elle redressa brusquement la tête, montrant un visage dévasté.
— Me touche pas…
— Tu crois que ce n’est pas dur pour moi aussi ?
— Pour toi ?! Mais toi, tu n’as pas à te salir les mains, Franck… Tu as juste à envoyer ta tueuse à gages… Vrai que ça doit être vachement dur !
— C’est mon boulot… C’est pour ça qu’on me paye.
— C’est pas un boulot de flic ordinaire…
— Je ne suis pas un flic ordinaire.
— T’es quoi, exactement ?… OK, dit-elle en essuyant ses larmes. Moins j’en sais… Tu me passes mes cigarettes ?
Il tendit le bras, attrapa le paquet sur le bureau. Elle posa sa nuque sur le matelas. Ferma les yeux.
— J’ai envie de came…
— Tu es en manque ?
— Non… Il me faudrait juste un rail de coke au petit-déj’ ! Thomas et moi, on en sniffait toujours avant les cambriolages… Ça évite d’avoir la trouille.
— Tu t’en sortiras très bien, Marianne.
— Comment peux-tu dire ça ? Je vais tuer froidement deux personnes sans défense… Même si c’est des salauds, ça reste deux assassinats… Non, je ne m’en sortirai pas très bien … Vous pensiez vraiment que j’étais prête à tuer de sang-froid, sans aucune hésitation ? Pour qui me preniez-vous donc ?
Il vit une larme s’arrondir au coin de son œil. Avant de couler lentement sur sa joue creusée d’effroi. Il s’installa près d’elle. Il avait tant de mal à rester loin. À rester insensible.
— Nous nous sommes trompés sur ton compte. Nous pensions avoir en face de nous une criminelle sans scrupules. Une fille qui vénérait la mort, qui aimait la donner. Je me suis planté, Marianne. Je croyais pouvoir te faire agir en te promettant simplement la liberté. S’il n’y avait pas eu Daniel, tu aurais refusé, n’est-ce pas ?
— Oui… J’avais prévu d’accepter après le dernier parloir. Mais… je pensais arriver à échapper à votre vigilance avant d’avoir à commettre le meurtre. C’était ma seule chance de sortir de cet enfer… Et s’il n’y avait pas eu Daniel, j’aurais refusé, ce soir… J’aurais préféré mourir.
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