Marianne en avala la fumée de travers.
— C’est une blague ? Y a une caméra cachée ou c’est pour un sondage ?!
— Non. Vous vous sentez bien ici ?
— Je rêve ! Tu me cherches ? C’est ça ?
Philippe écarquilla les yeux devant ce tutoiement intempestif. Mais Franck demeurait imperturbable.
— Bon, j’en conclus que vous n’y êtes pas heureuse, lança-t-il avec son insupportable sourire.
Marianne se leva, envoyant sa chaise par terre.
— Allez vous faire voir ! Et merci pour les clopes !
Elle se dirigea vers l’interphone pour appeler un gardien mais Franck continua.
— Ça vous dirait de sortir d’ici ?
Marianne stoppa net. Comme si elle venait de heurter une vitre invisible. Un peu sonnée.
Ne l’écoute pas ! Fais pas attention, tu sais bien que c’est impossible… ! Elle fit volte-face, le regard menaçant.
— Vous avez un drôle d’humour, Franck …
— Je ne plaisante pas. Mais si vous ne voulez pas entendre la suite, nous pouvons en rester là…
— Asseyez-vous, nous serons mieux pour discuter, dit doucement Philippe en ramassant la chaise.
Pourquoi j’obéirais ? Sortir d’ici ? Impossible. Du bluff, Marianne ! Pourtant, elle consentit à reprendre position en face d’eux. Attirée par le chant des sirènes.
— Je disais donc que nous sommes venus vous proposer de quitter cette prison.
— C’est quoi, le piège ?
— Pas de piège. Juste certaines conditions. Vous devez passer un contrat avec nous.
— Expliquez-vous.
— C’est très simple. Nous organisons votre sortie, vous remplissez votre part du marché et vous êtes libre…
Son cœur jouait à saute-mouton.
— C’est quoi, ma part de marché ?
— Ça, je ne peux pas vous le dire, répondit Franck en souriant.
— Ben voyons, tu m’étonnes ! Quand je disais que c’était un piège !
— Pas du tout ! Mais vous comprendrez que je ne peux rien vous révéler ici… sans savoir si vous acceptez le contrat. Car si, ensuite, vous refusez, vous saurez des choses confidentielles… Et vous deviendriez… Comment dire… gênante.
— Gênante ?! Vous seriez obligé de me descendre, c’est ça ?
— Aucun risque ! assura-t-il. Parce que je ne vous dévoilerai rien.
Elle alluma une deuxième cigarette sous le regard un peu envieux de Laurent. Elle tremblait légèrement. Le manque, sans doute.
— Comment voulez-vous que j’accepte sans rien savoir ? lança-t-elle d’un ton agressif.
— Suffit de voir ce à quoi vous êtes prête pour sortir d’ici…
— Je sors comment ?
— Nous organisons votre évasion…
Elle eut un petit rire. Puis elle se leva avant de passer derrière eux.
— Mon évasion, hein ? Vous me prenez vraiment pour la dernière des connes, pas vrai ?
— Absolument pas… Loin de là !
— Ah oui ? Je m’évade, je remplis la mission , je me retrouve avec tous les flics de France aux trousses, et là, retour à la case départ ! Sauf que j’en prends plein la tête ! Je l’avoue, votre proposition est terriblement alléchante !
— Non. Nous vous fournirons de faux papiers, une nouvelle identité et de quoi partir à l’autre bout du monde… D’ailleurs, vous serez obligée de quitter le pays, ça fait partie du contrat.
Elle piétina son mégot sur le carrelage indifférent. Ses nerfs n’allaient pas tarder à lâcher. Elle hésitait entre lui sauter à la gorge ou dire banco !
C’est un piège, Marianne. Un piège grossier, en plus.
— J’ai des chances de sortir vivante de cette mission ?
— Oui. Je ne vous cache pas que ce sera dangereux. Cependant, on vous a choisie car l’on vous croit capable de réussir. Nous avons bien étudié votre dossier…
— Combien de chances de m’en tirer ?
— Je l’ignore. J’ai toujours été nul en probabilités !
Elle les transperça du regard l’un après l’autre. Debout, les mains posées bien à plat sur la table.
— Et qui me prouve qu’ensuite j’aurai la possibilité de me casser où je veux ? C’est écrit où ?
— Nulle part. C’est juste un contrat… oral.
— Une parole de flic ?! Alors là, je suis vachement rassurée ! Surtout que les poulets, ils m’adorent depuis que j’ai descendu deux des leurs ! Pas vrai ?
Franck perdit un peu de son flegme. Son visage accusa le coup.
— J’ai jamais dit qu’on vous adorait… Mais on a besoin de vous et vous avez besoin de nous…
— J’ai besoin de personne !
— Vraiment ? Rappelez-moi combien d’années il vous reste à tirer ?!
Là, elle plia les coudes et se pencha vers lui, la mine teigneuse.
— Si tu continues à me chercher, je vais pas tarder à m’énerver. On t’a pas expliqué ce qui se passe quand je m’énerve ? T’as dû sauter des pages dans mon dossier…
— Tu crois que tu nous impressionnes ? balança soudain le dénommé Laurent.
— Tiens ! Il parle, celui-là ?
— Calmez-vous, pria Franck. Je suis certain que notre proposition vous intéresse…
— Votre proposition, c’est du flan ! Un attrape-couillon ! Vous pensez que la taule m’a déglingué le cerveau ou quoi ?
— Non, il l’était déjà avant ! ricana Laurent en souriant.
Marianne soupira. La rage commençait à lui chatouiller les poings.
— Toi, t’as envie de repartir les pieds devant ! Je peux faire ça pour toi, si tu insistes…
— Hou ! Y a une petite gonzesse qui veut me sauter dessus, les gars ! Au secours !
— Ça suffit ! coupa Franck. On va laisser Marianne réfléchir…
— Vous perdez votre temps ! J’suis pas cinglée !
— Vous n’avez rien à perdre, conclut Franck en se levant. Vous avez même tout à y gagner… Nous reviendrons dans une semaine.
Il appuya sur l’interphone et, une minute après, un surveillant ouvrit la porte. Ils disparurent rapidement mais Marianne ne remonta pas en cellule. Il fallait encore subir la fouille réglementaire, encore plus dure qu’à l’aller. Supporter que la gardienne lui passe la main dans les cheveux, derrière et dans les oreilles. Se dévêtir, une fois encore. Être inspectée sous toutes les coutures, visitée de fond en comble. Marianne se contenait pour ne pas exploser. Enfin, la matonne la jugea vierge de tout soupçon et la ramena à l’étage.
Une fois seule, elle exprima sa rage sans retenue. Coups de pied dans les murs, la porte. Putains de flics !
Un peu apaisée, les doigts et les orteils douloureux, elle se laissa tomber sur son matelas, savoura une de ses prises de guerre. Et s’ils disaient vrai ? Si ce n’était pas un piège ? Si c’était ma chance ? Tu délires Marianne ! Ils se serviront de toi pour un truc bien dégueulasse et puis ils te ramèneront en taule… Ou alors ils te logeront une balle dans la tête. Tu as bien fait de ne pas les écouter, de ne pas sembler intéressée…
Le 15 h 16 s’aventura le long de la prison, elle ferma les yeux.
Jamais, tu ne sortiras d’ici. Jamais.
Pourquoi je les ai tués ?
Vendredi 20 mai — 17 h 00
Il imposait sa loi dans le moindre recoin de ses chairs. Avait anéanti jusqu’à sa volonté, rendu illusoire tout espoir de fuite.
Lui. Le manque.
Plus de cigarettes, pas de drogue.
Oui, elle aurait marché sur les mains pour en avoir. Oui, Daniel avait gagné, il lui suffisait de revenir demander n’importe quoi. Sauf qu’il n’était pas revenu.
Marianne se haïssait. Tu dépends de lui, tu n’es pas libre. Drôle de se reprocher ça derrière des barreaux ! Mais justement, cette liberté, l’ultime, celle que personne n’aurait dû pouvoir lui voler, elle l’avait perdue en essayant de s’évader. Elle payait le prix fort pour d’éphémères voyages. Elle dépendait d’un homme parce qu’elle était faible.
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