Il lui plonge le visage dans l’eau, elle commence à se débattre. Mais papa la tient fermement par la nuque.
— Arrête ça ! conjure William.
— Ça dépend de ton frère, rappelle papa en fixant Raphaël.
Le braqueur affronte la scène en face. Il voit le corps de la gamine paniquer. Lui-même retient sa respiration, à l’unisson avec elle.
Papa lui sort la tête hors de l’eau, elle tente de reprendre de l’air avec un hurlement effrayant.
Aussitôt, le calvaire recommence.
Cette fois, ça dure plus longtemps et les forces de Jessica s’amenuisent, ses pieds bougent de moins en moins.
— Raph ! Fais quelque chose, merde !
Jessica a droit à une courte respiration avant que Patrick lui écrase à nouveau le visage au fond de la bassine.
L’immersion dépasse la minute, Jessica se raidit.
— Arrête ! ordonne soudain Raphaël.
— Tu vas faire ce qu’on te demande ? vérifie Patrick.
— Oui, laisse-la ! Tu auras ce que tu veux…
*
Il est neuf heures quand Patrick tend le portable à Raphaël.
— Tiens ta promesse, champion. Sinon, je retourne chercher la petite et…
Le braqueur attrape le téléphone avec sa main droite. Toujours aussi noire et enflée. Il a toutes les peines du monde à composer le numéro de Pierre, son ancien complice.
Son ami de toujours, son mentor.
— Haut-parleur, ordonne Patrick.
Trois sonneries plus tard, une voix masculine répond :
— Oui ?
— C’est moi…
— Comment ça va, fils ?
— Bien.
— Et Will ? J’ai appris qu’il avait été blessé…
— Il se remet doucement, prétend Raphaël.
— Tant mieux… Quel coup de maître, dis donc ! Tu nous as tous bluffés.
— Merci.
— Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?
— J’ai besoin de fric pour quitter la France. Je ne peux pas venir le chercher moi-même parce que je dois rester près de Will. Alors, je vais t’envoyer un ami.
— …
— Un ami sûr, précise Raphaël.
— Si tu le dis… Comment il s’appelle ?
— Patrick Thuillier. Il est petit, cheveux gris en brosse, avec des lunettes rondes dorées.
— Il va venir quand ?
— Je sais pas exactement…
— OK, je l’attends. Je lui remets combien ?
— La totalité.
— Tu peux compter sur moi.
— Merci, Pierre.
— Fais gaffe à toi, fils. Et embrasse ton frangin.
Raphaël raccroche, papa lui arrache le portable des mains.
— Parfait, champion ! exulte-t-il. Tu as été parfait !
Puis il se tourne vers William et ajoute :
— Tu vois, fiston, toi tu peux crever, il ne lèvera pas le petit doigt. Mais Jessica, par contre… Peut-être qu’il est amoureux de cette gamine ?
Il pivote à nouveau vers Raphaël qui le dévisage avec fureur.
— Tu es amoureux, champion ? Mais c’est moi qui vais la baiser, pas toi !
— Tu me donnes envie de gerber !
Papa éclate de rire, prends soin de couper le portable et de le ranger dans sa poche.
— Je vais enfin pouvoir aller dîner. Sandra m’a préparé un merveilleux gratin ! Et ensuite, j’irai voir comment se porte notre petite Jessie… Et vous aurez tout le loisir de l’écouter pleurnicher… Pleurnicher ou gémir, je ne sais pas encore.
Patrick sort sans éteindre la lumière.
Dès que la porte claque, Raphaël tourne la tête vers William et lui sourit.
— On a réussi, mon frère, murmure-t-il d’une voix à peine audible. Ce fumier a mordu à l’hameçon. Et il est mort.
Dimanche matin, trente-six heures plus tôt.
— Tu as un plan ? demande William.
Raphaël fait non d’un signe de tête.
— Peut-être que…
— Ta gueule, ordonne son frère. Je ne veux plus t’entendre !
William baisse la tête, n’ajoute rien.
Les minutes passent, s’étendent à l’infini.
Le jeune homme rumine sa culpabilité, sa colère. Finalement, tout est sa faute. S’il s’était montré plus résistant, ils auraient quitté plus vite cet endroit, Fred et Christel seraient toujours en vie. Ils seraient loin, ils seraient riches.
S’il n’avait pas insulté Patrick, cette nuit, s’il ne l’avait pas inutilement provoqué, Raphaël ne serait pas mutilé de la sorte.
Ce frère qui a tout risqué pour le sauver. Qui a payé à sa place.
Soudain, un bruit l’oblige à relever les yeux. Raphaël, à nouveau étendu sur le sol, s’est mis à claquer des dents ; il tremble des pieds à la tête.
William hésite puis se traîne finalement jusqu’à son frère. Il s’allonge, vient carrément se coller à lui.
— Je vais te réchauffer, murmure le jeune homme.
Raphaël cale son visage sur l’épaule de William et cesse immédiatement de trembler.
— Je crois que ce fumier nous écoute, chuchote-t-il. Alors il ne faut rien dire à voix haute… Seulement ce qu’on veut qu’il entende. J’ai une idée : je sais qu’il va tout faire pour obtenir le nom du fourgue et pour que je le fasse venir ici… Mais il faut qu’on gagne du temps et qu’on détourne son attention sur autre chose.
— Quoi ?
— Laisse-moi parler, ordonne Raphaël. Il va falloir que tu sois courageux, mon frère. Il va te torturer pour m’obliger à parler mais je ne parlerai pas.
William avale bruyamment sa salive.
— Et c’est toi qui finiras par te mettre à table, reprend Raphaël. Mais ne le fais pas tout de suite. Résiste autant que tu peux.
— Tu veux que je lui file le nom du fourgue ?
— Non. Tu lui parles du fric planqué à Marseille, chez Pierrot…
— Chez Pierre ? Mais tu…
— Fais ce que je te dis. Je t’expliquerai les détails plus tard. L’important, c’est qu’il s’éloigne d’ici.
— Et après ?
— Après, on aura environ quarante-huit heures pour essayer de se tirer.
— Comment ?
— Faudra qu’on parvienne à convaincre Sandra.
— Et si on n’y arrive pas ? s’inquiète William.
— Si elle refuse de nous aider, faudra trouver un moyen de la forcer à le faire… Il faut qu’il pense qu’on se déchire, tous les deux. Que je suis prêt à te laisser crever pour ne pas lui filer mon oseille. Tu piges ?
— À peu près…
— Laisse-moi faire et entre dans mon jeu, conclut Raphaël. L’important, c’est que tu ne t’allonges pas trop vite. Tu y parviendras ?
— Je vais essayer, Raph. Compte sur moi.
— C’est notre dernière chance, mon frère. Notre seule chance…
22 h 45
Le début d’une nuit qui promet d’être longue. Interminable, même.
Criblée de peurs, de cris et de larmes. Peuplée de rêves engloutis et d’étoiles mortes.
Sur son lit, Jessica pleure de froid.
Elle attend.
Ce n’est pas un secours, qu’elle espère. D’ailleurs, elle a cessé d’espérer.
Depuis qu’elle a perdu une sœur. Souillée par ce monstre.
Une sœur qui ne lui a pas dit un seul mot avant de partir.
Sans doute qu’elle ne m’aimait plus, qu’elle n’avait plus confiance en moi.
Normal, puisque je l’ai trahie. Puisque je n’ai pas su la protéger.
Cette sœur qu’elle a vue tomber dans un trou. Morte et enterrée.
Jessica aussi, voudrait mourir. Mourir, pour échapper aux supplices, aux menaces de ce fou.
Mourir, sans plus jamais souffrir.
Impossible, elle le sait.
Alors Jessica tremble sur son lit, le visage inondé de larmes.
Une longue et interminable nuit. Suivie de combien de nuits ?
Et soudain, la voix grave de Raphaël l’atteint en plein cœur.
— Tu tiens le choc, petite ?
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