— Nous devons en contacter tous les étudiants… Dites-moi, monsieur Grangier, combien d’élèves s’inscrivent ici chaque année ?
— Environ deux cents…
— Deux cents ?
— Oui. Il y a beaucoup de sections, certaines réservées aux étudiants sortis de fac, d’autres aux élèves ayant décroché leur baccalauréat. Avec mention, bien entendu.
— Bien entendu… Vous êtes directeur de cette école depuis combien de temps ?
— Depuis sa création, annonça Grangier avec fierté. Vingt et un ans ! L’ESCOM a ouvert ses portes en 1982.
— Comment se fait la sélection des élèves ?
— Sur dossier et sur concours.
— Et, en 1988, s’est-il passé quelque chose de particulier, dans la promotion ?
— En 1988 ? Ça remonte à quinze ans, capitaine !
— Je sais. Mais fouillez votre mémoire, je vous prie…
— Je n’ai aucun souvenir particulier de cette année-là…
Esposito se leva, fit quelques pas et se plaça dos au directeur.
— Vous n’avez rien remarqué, ces derniers temps ?
— Que voulez-vous dire ?
— Sabine Vemont ? Ça vous dit quelque chose ? Et Bertrand Pariglia ? Et Marc de Mérangis ?
Esposito tourna la tête. Grangier avait changé de mine. Soudain moins à l’aise. Perturbé. Même son bronzage parfait avait pâli.
— Alors, monsieur Grangier ? Ces noms ne vous disent vraiment rien du tout ?
— Si… Ce sont d’anciens élèves de l’ESCOM…
— Vous savez ce qui leur est arrivé ?
— Oui… Je l’ai appris par les journaux.
— Et cela ne vous a pas interpellé ?
— Bien sûr que si !
— Alors pourquoi n’êtes-vous pas venu nous en parler ?
— Eh bien… Eh bien, j’ai cru à une horrible coïncidence, d’abord. Lorsque Sabine a été tuée, j’ai été très peiné. C’était une brillante étudiante. Une fille formidable…
— Douée ?
— Oh oui ! répondit-il avec un sourire triste. Vraiment exceptionnelle. Elle a d’ailleurs décroché son diplôme avec une mention très bien… Ensuite, il y a eu Charlotte. J’ai simplement pensé que le sort s’acharnait sur les anciennes de l’ESCOM… D’ailleurs, la troisième victime n’était pas une ancienne élève. La suivante non plus… J’en suis donc arrivé à la conclusion qu’il s’agissait bel et bien d’une coïncidence…
— Seulement voilà : la cinquième victime, Bertrand Pariglia était un ancien de l’ESCOM…
— Je sais. Mais, juste après, vous avez demandé la liste des élèves, j’en ai déduit que vous aviez fait le lien entre ces jeunes gens…
— Certes. Mais vous auriez pu nous contacter, monsieur Grangier.
— J’ai songé à le faire. Mais je ne voulais surtout pas que les étudiants soient au courant de cette regrettable affaire… Cela pouvait les déstabiliser, juste avant les examens de fin d’année…
— Avez-vous une idée sur les mobiles de ces différents meurtres ?
— Non, capitaine. Je ne comprends pas pourquoi ce malade s’en prend à eux… Tout de même, deux victimes n’appartenaient pas à notre école… Sans compter Charlotte Ivaldi, qui n’était pas vraiment une ancienne élève. Je pense toujours qu’il s’agit d’un terrible hasard…
— Un terrible hasard ? répéta Esposito. Vous plaisantez ! Le tueur choisit ses victimes et, visiblement, cette école a un rapport avec ces crimes !
— Je vous interdis de colporter ce genre de ragots ! s’emporta soudain Grangier.
Le capitaine resta médusé un instant.
— Vous vous rendez compte du tort que vous pourriez causer à mon établissement ? Il ne s’agit pas d’un vulgaire lycée ou d’une fac ! Il s’agit d’une école supérieure de commerce, monsieur !
— Calmez-vous, monsieur Grangier. Je vous rappelle que mon enquête a un caractère confidentiel ! D’ailleurs, vous avez de la chance que les journaleux n’aient pas encore fait le rapprochement ! Vous imaginez les gros titres ? « Hécatombe chez les anciens de l’ESCOM » ! Ceci dit, je ne sais pas combien de temps encore ils vont l’ignorer…
— Ce serait une catastrophe ! gémit le directeur. Une véritable catastrophe…
De plus en plus pâle, le dirlo !
— Je dois arrêter ce meurtrier avant qu’il ne continue à décimer vos anciens élèves !
— Et qu’est-ce que vous attendez ? rugit Grangier.
— Que vous m’aidiez ! Vous avez bien une petite idée, non ?
— Pas la moindre, capitaine ! Je ne suis pas flic, moi !
Il avait une drôle de façon de dire flic. Un peu comme s’il balançait une insulte, un gros mot.
— Un de vos anciens élèves pourrait-il avoir des motifs de vengeance ?
— Un ancien ? Se venger ? Mais de quoi ?
— Vous ne m’êtes pas d’un grand secours, monsieur Grangier ! Réfléchissez un peu ! J’ai entendu parler de compétition féroce entre les élèves…
— C’est une école de commerce et de management, ici ! s’indigna Grangier. Bien sûr nous inculquons à nos étudiants la force de se battre ! La force de gagner ! Nous en faisons de bons managers, de bons dirigeants ! Pas des mauviettes !
Esposito le considéra avec un sourire en coin.
— Et cet esprit de compétition ne peut-il pas engendrer un esprit de vengeance ?
— Mais ça n’a aucun rapport, capitaine ! Ce tueur est un fou, un lâche ! Certainement pas un de nos anciens étudiants ! Peut-être a-t-il quelque chose contre les gagnants, les battants ! C’est probablement un raté, un exclu de la société qui se venge, oui ! Mais de la réussite de nos élèves ! C’est de la jalousie, de l’amertume !
Esposito comprit qu’il perdait son temps. Il avait espéré des réponses, il ne trouverait rien ici. Rien, à part un sale type, le cul vissé sur sa prestigieuse école. A moins que… À moins qu’il ne sache quelque chose sans vouloir le dévoiler…
— Monsieur Grangier, pouvez-vous me donner votre emploi du temps au moment des différents meurtres ?
— Hein ? Mais vous plaisantez, j’espère !
— Ai-je l’air de plaisanter ?
— Mais… Vous n’allez tout de même pas insinuer que…
— Je n’insinue rien du tout, monsieur Grangier. Je vous pose simplement une question qui, logiquement, ne devrait pas vous mettre mal à l’aise…
— Elle ne me met pas mal à l’aise du tout, capitaine ! s’offusqua le directeur en bondissant de sa chaise. Mais alors, pas du tout !
— Parfait… Je vous écoute, dans ce cas…
— C’est que… je n’ai pas en tête les dates et les heures des crimes…
Esposito sortit une feuille de la poche de son jean et la tendit à Grangier.
— Tout est noté là. Vous n’avez qu’à fouiller votre mémoire ou consulter votre agenda ! Je vous attends en début d’après-midi à mon bureau. Vous me donnerez vos alibis et signerez votre déposition.
— En début d’après-midi, j’ai prévu de…
— En début d’après-midi, vous serez dans mon bureau, monsieur Grangier.
Et le capitaine se dirigea vers la porte, au grand soulagement du directeur.
— Ah ! lança Esposito en se retournant. Une dernière question, monsieur Grangier. Où habitez-vous ?
— A Istres.
— Istres ? Et vous faites l’aller-retour chaque jour ?
— Oui. Je prends le train… Le TER Marseille-Miramas, la ligne de la Côte Bleue…
— Ah… La ligne de la Côte Bleue…
Celle où Marc de Mérangis avait terminé son existence. Curieux. Esposito mit enfin la main sur la poignée de la porte et Grangier se força à le raccompagner.
— A propos, la fille d’un couple d’amis étudie ici depuis la rentrée… Sandra Gimenez. Vous la connaissez ?
— Vous savez, je ne connais pas tous mes élèves ! Surtout les premières années !
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