— De toute façon, c’est mieux comme ça. Je serais tellement mal à l’aise face à lui ! De savoir que Pierre couchait avec sa femme…
— Je comprends. Mais il pourrait au moins venir voir si tu as besoin de quelque chose.
— Je suppose que les gardes se chargent de lui donner de nos nouvelles… Et puis avec la saison touristique et un homme en moins, il n’a pas dû avoir trop de temps à lui.
— Sûrement… La saison a été bonne pour toi ?
— Pas mauvaise. Mais ça ne suffira pas… Je vais devoir travailler. J’ai peut-être trouvé quelque chose : un mi-temps au petit supermarché de Villars-Colmars… C’est toujours mieux que rien… Avec mes ruches, ça devrait nous suffire.
— Je l’espère… Mais si tu as besoin d’aide, n’hésite jamais à me demander.
— Pourquoi ? Tu as un magot planqué quelque part ?
Vincent songea aux liasses de billets trouvées aux cabanes de Talon et soupira.
— Non, pas grand-chose… Mais je suis prêt à le partager avec toi.
Les touristes s’en étaient allés, la montagne avait retrouvé son calme. Campings et hôtels désertés, villages comme abandonnés.
En ce début septembre, le guide n’avait presque plus de clients. Les derniers jours d’août avaient été marqués par une série d’orages d’une rare violence qui avaient fait fuir les derniers estivants. Le soleil était revenu mais la température n’était plus la même. L’automne s’annonçait déjà, ici plus précoce qu’en plaine. Et, après quelques ultimes randonnées, Vincent reprenait des forces. Mais il se sentait un peu désœuvré, comme à chaque fin de saison. Un nouveau rythme à prendre, quelques jours d’adaptation.
Il s’était levé tard, prenait son petit déjeuner sur la terrasse. Pas grand-chose de prévu, aujourd’hui. Il devait simplement rejoindre Nadia pour l’aider à descendre ses ruches et rendre une petite visite à sa mère. Il n’avait plus de nouvelles de Servane depuis une semaine car elle était partie en Alsace retrouver sa famille. Une absence qui ne l’empêchait pas de penser souvent à elle. Trop souvent…
Sherlock, revenu de sa balade matinale, vint quémander à table. Il grandissait à vue d’œil et serait aussi beau que Galilée. Peut-être un peu plus agité. Mais il était encore trop jeune pour que Vincent puisse définir avec exactitude sa personnalité.
Le téléphone sonna et il se leva précipitamment. Sa cheville le trahissait encore à certains moments, surtout quand ses muscles étaient froids, et il faillit perdre l’équilibre. Il se rattrapa à la table et ralentit la cadence jusqu’au téléphone.
— Allô ?
— Salut, c’est Servane !
— Ah ! Salut ! T’es rentrée ?
— Hier soir…
— Ça s’est bien passé ?
— Oui, très bien… Sauf qu’on a eu un temps pourri !
— Rassure-toi, ici aussi !
— Je peux passer te voir, ce soir ?
Vincent entendit le bruit d’un moteur sur la piste.
— Tu m’accordes une seconde ? Y a quelqu’un dehors…
Il sortit avec le combiné à la main alors que la voiture jaune de la poste s’arrêtait devant le chalet. Le facteur lui remit quelques enveloppes et repartit en trombe.
— Allô ? Excuse-moi, c’était le facteur… Mon lot de factures à payer ! Tu disais… ?
— Je peux venir te voir, ce soir ?
— Oui, bien sûr… Avec plaisir.
— Je t’ai ramené un petit quelque chose de mon pays ! Je sens que ça va te plaire ! Tu veux savoir ce que c’est ?
Mais elle n’obtint pas de réponse.
— Vincent ? Tu m’entends ?
— J’ai une lettre… une lettre anonyme.
— Qu’est-ce que c’est ? s’impatienta Servane.
— Attends, je l’ouvre…
De longues secondes passèrent et Vincent se manifesta enfin.
— Cette fois, c’est un message… Tapé à la machine.
Encore un silence, insupportable.
— Alors ? implora Servane.
— « Une innocente victime est morte et le père de l’assassin veut protéger son fils. Le silence se paie très cher. Mais parler peut se payer aussi. Et la montagne pleure … »
Servane ne réagit pas tout de suite, interloquée par ce message brutal et plutôt alambiqué. Ils restèrent tous les deux muets, écoutant seulement leur respiration dans le combiné.
— Merde, c’est un meurtre, murmura enfin la jeune femme.
— Ouais, un meurtre, répéta mécaniquement Vincent.
Nouveau silence.
— La touriste italienne ! s’écria soudain Servane.
— Hein ?
— En rangeant les archives, je suis tombée sur un dossier qui a attiré mon attention… C’était il y a quelques années… Une jeune touriste italienne portée disparue dans la région.
— Ah oui, je m’en souviens ! répondit le guide.
— C’était quand déjà ?
— Attends… En 2002… Été 2002.
Un an avant le départ de Laure. Il ne pouvait pas se tromper. Douloureux repère.
— Je m’en souviens parce que j’ai participé aux recherches, ajouta-t-il.
— Dans le dossier, j’ai lu qu’à l’époque, Hervé et Sébastien Lavessières ont été auditionnés par la gendarmerie…
— Vraiment ? Je n’ai jamais entendu parler de ça…
— Tu m’étonnes ! Quelqu’un affirmait les avoir vus en compagnie de la disparue… Mais ils ont été remis en liberté et l’affaire a été classée. La touriste était bien passée par ici mais n’était pas restée dans la vallée… Relis-moi le message !
— « Une innocente victime est morte et le père de l’assassin veut protéger son fils. Le silence se paie très cher. Mais parler peut se payer aussi. Et la montagne pleure … »
— « Et la montagne pleure … » Celui qui envoie ces messages était à l’enterrement de Pierre ! C’est la phrase que tu as dite…
— Je sais… Si je comprends bien, le fils de Lavessières aurait tué cette fille et son père veut le protéger ?
— En achetant le silence de Julien.
— Mais comment Julien pourrait-il savoir que c’est Sébastien le coupable ?
— Aucune idée ! Il a peut-être vu ou entendu quelque chose et il fait chanter le maire !
— Mon Dieu… C’est encore pire que je ne le pensais… Et Pierre serait donc celui qui aurait payé parce qu’il voulait parler… « Mais parler peut se payer aussi. Et la montagne pleure … »
— C’est clairement ce que dit le message !
Vincent ne pouvait quitter la feuille dactylographiée des yeux. Une catastrophe dont l’ampleur le dépassait.
— Mais Sébastien était très jeune en 2002 ! dit-il soudain. Il avait à peine…
— Seize ans, je crois…
— Seize ans ! répéta Vincent. C’est tellement jeune…
— Il n’y a pas d’âge pour tuer ! affirma Servane.
— Mais pourquoi ? Pourquoi assassiner cette fille ?
— J’en sais rien. Elle lui plaisait peut-être et il a voulu… enfin, elle n’a peut-être pas voulu et ça a mal tourné… Je suis certaine qu’on détient enfin la vérité !
— Ah oui ? Et qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?
— Attendre. Notre messager va sans doute continuer de nous mettre sur la voie… Il faut qu’on retrouve le corps de cette femme. Sinon, on ne peut rien faire.
En imaginant cette éventuelle découverte, Vincent eut un haut-le-cœur.
— Tu crois qu’il va m’indiquer l’endroit où elle est enterrée dans son prochain message ? interrogea-t-il avec angoisse.
— Possible… Visiblement, cette personne aime bien les jeux de piste.
— Tu parles d’un jeu de piste ! Un jeu macabre, oui ! Mais il y a encore des trucs que je pige pas…
— Quoi ? demanda patiemment Servane.
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