— Mais je voudrais pas te déranger…
— Tu ne me dérangeras jamais, Nadia. Je vais préparer un bon petit dîner…
— Je peux utiliser ta salle de bains ?
— Fais comme chez toi, je t’en prie.
Elle disparut dans l’escalier et Vincent resta immobile un moment, épuisé par toute cette souffrance. Il ne savait pas comment soulager la peine de Nadia, ce profond désarroi. Pierre n’était plus là pour expliquer ses actes. Pour justifier l’injustifiable. Mais finalement, Vincent ne pouvait se résoudre à le juger…
Il a couché avec Ghis, et après ? Sans doute une banale histoire de cul. Rien à voir avec l’amour.
S’occuper du dîner, allumer un feu dans la cheminée, histoire de réchauffer le cœur de son invitée.
Elle redescendit au bout d’une demi-heure, vêtue d’un simple peignoir.
— Mes fringues étaient trempées, alors j’ai pris ton peignoir…
— Tu as bien fait… Mais je peux te prêter des vêtements si tu veux.
— Non, ça ira.
Ils partagèrent un verre, puis un autre. Une douleur, puis une autre.
Pendant le repas, Nadia vida une bouteille de vin. Vincent ne l’avait jamais vue boire autant, mais se garda bien de lui adresser le moindre reproche. Si ça pouvait l’aider…
Ils n’échangèrent que quelques mots, peu enclins à parler. Finirent la soirée sur le sofa, devant un verre de cognac.
Brusquement, Nadia s’approcha de lui, posa une main sur son ventre, la fit remonter jusqu’à la naissance de son cou.
— Merci d’être là, Vincent, dit-elle.
Sa voix n’était plus la même. Suave…
Son regard aussi avait changé. Corrupteur…
Vincent pressentit qu’il devait s’écarter d’elle. Qu’il était en danger.
Mais c’était déjà trop tard.
Lorsqu’elle l’embrassa, il eut peur.
— Nadia, vaudrait mieux pas…
Elle recommença, pour l’obliger à se taire, pour ne pas entendre raison. Et prolongea son jeu aussi cruel que sensuel.
Elle se posa doucement sur lui, calant ses genoux au fond de l’assise du canapé. Elle desserra la ceinture du peignoir avant de déboutonner la chemise et le jean de Vincent.
Il ne bougeait pas, se laissait faire, prenant conscience qu’il en avait toujours eu envie sans jamais se l’avouer.
Parce qu’elle était celle qu’on ne touche pas.
Et même s’il n’était qu’un instrument de sa vengeance, il céda à ses avances en essayant de ne pas penser à Pierre. En essayant de ne penser à rien.
Sauf à elle. Désorientée, égarée. Ivre, d’alcool mais surtout de douleur.
Ils mélangèrent leurs souffrances, unirent leur désarroi.
Il la trouvait plus ensorcelante que jamais, avec sa peau naturellement hâlée, ses seins un peu fatigués, ses yeux de biche cernés de désespoir. Sa taille fine, ses épaules rondes, son ventre maternel barré de cicatrices claires.
Il eut l’impression de pénétrer un sanctuaire interdit, serra ses mains sur ses hanches et la laissa dicter les règles du jeu. À elle d’imposer le rythme de son désir, de l’utiliser, presque comme un objet.
Nadia aurait voulu mourir dans les bras de Vincent. Mourir, à l’instant où le plaisir tétanisa leurs muscles et leurs chairs dans un cri silencieux.
Mourir pour oublier qu’il n’était rien pour elle.
Ils restèrent longtemps ainsi, enchaînés l’un à l’autre, terrorisés. Comme s’ils venaient de commettre un crime. Ils pensaient à celui qui n’était plus, mais dont l’ombre menaçante se profilait au-dessus de leur étreinte délictueuse.
Nadia se mit à pleurer doucement dans les bras de son amant d’un soir. Il embrassait ses épaules, son cou, son visage, goûtant à ses larmes et retenant les siennes.
Il était odieusement bien, baignant dans un plaisir indécent et coupable.
L’obscurité rendait à peine les armes lorsque Vincent émergea d’un éreintant cauchemar.
À sa droite, Nadia dormait encore profondément. Il la contempla de longues minutes, oscillant entre sérénité et remords.
Comment j’ai pu faire une chose pareille ? Comment j’ai pu être assez faible pour trahir mon propre frère ?
Pierre était venu, cette nuit. Lui avait parlé, d’une voix aussi glacée que la mort.
C’est toi l’assassin .
Hallucination nocturne qui paraissait pourtant si réelle… À tel point que Vincent s’attendait à ce que Pierre fasse irruption dans cette chambre d’une seconde à l’autre pour y surprendre sa femme et son meilleur ami dans le même lit.
C’était insupportable, alors Vincent se leva. Se sauva.
Il prépara un café serré, en ingurgita deux tasses. Puis il prit une douche et retourna dans la chambre pour récupérer des vêtements dans l’armoire, sans un bruit.
Pourtant, Nadia s’éveilla à son tour.
— T’es déjà debout ?
— Oui. Tu peux dormir encore, si tu veux… Il est tôt.
— Viens…
Elle était aussi mal à l’aise que lui ; lui, qui se jugea soudain ridicule et lâche de vouloir la fuir. Toujours vouloir fuir ses responsabilités.
Michèle avait raison, Servane avait raison : pauvre type.
Il vint enfin s’allonger à côté d’elle.
— Mal dormi ? demanda-t-elle.
— Quelques cauchemars…
— Moi aussi. J’ai rêvé de Pierre et de Ghislaine… De nous deux aussi.
— J’aurais pas dû… Enfin, j’aurais dû…
— Arrête, Vincent. Ça ne sert à rien. C’est moi qui ai voulu. On en avait envie tous les deux et tu le sais très bien… Je ne savais plus trop où j’allais ni ce que je voulais, hier soir. Je venais de me prendre une telle claque dans la gueule… C’était bon, avec toi. Je n’oublierai jamais cette nuit-là… Jamais.
Il l’attira contre lui. C’était fini, il ne risquait plus rien. Il pouvait la prendre dans ses bras, la réconforter à nouveau.
— Tu pourras toujours compter sur moi, murmura-t-il. Je serai toujours là pour toi et les enfants…
— Merci, Vincent. Moi aussi je serai toujours là pour toi. Je sais que tu vas mal et si tu as besoin de me parler, n’hésite jamais. Je te promets que je ne te ferai plus jamais ça…
— Dommage ! dit-il avec un rire qui masquait mal son émotion.
Ils prirent leur petit déjeuner ensemble, en silence. Vincent avait envie de révéler à Nadia ses doutes quant à la mort de Pierre. Mais il se ravisa, conscient qu’elle avait suffisamment encaissé pour le moment. Il lui dirait la vérité lorsqu’il détiendrait plus d’éléments, lorsqu’il aurait des certitudes.
Si toutefois il en avait un jour.
— Je peux utiliser ton téléphone ? demanda soudain Nadia.
— Bien sûr.
Elle décrocha le combiné puis consulta le répertoire posé sur la console.
— Tu veux appeler qui ?
— Ghislaine.
Vincent avala son café de travers et faillit s’étrangler.
— Nadia ! Tu es sûre que…
Elle avait déjà composé le numéro et mis le haut parleur. Comme si elle avait besoin d’un témoin. Julien était au bureau à cette heure-ci ; ce fut donc son épouse qui décrocha.
— Ghis ? C’est Nadia…
— Ah ! Bonjour ! Comment ça va, ma chérie ?
Elle l’appelait souvent ainsi. Ma chérie .
Ces mots qui, ce matin, lui faisaient l’effet d’un poignard dans le dos.
— Mal.
— Bien sûr, je m’en doute, compatit Ghislaine.
— Non, tu ne te doutes de rien… Je sais pour toi et mon mari.
Un long trou noir succéda à cette annonce fracassante ; Vincent oublia même de respirer.
— De quoi tu parles ? essaya enfin Ghislaine.
— Stop ! Inutile de continuer à me prendre pour une conne… Je sais que tu couchais avec Pierre. Je veux juste que tu me dises depuis combien de temps !
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