— M. Masson a été victime d’un mauvais plaisant. On a cherché à l’impressionner. Cela dit, je me propose de questionner ses médecins sur la nature de son mal.
— Merci de ce que vous faites, monsieur le commissaire.
— Directeur !
— Vraiment ?
— C’est récent ; mais vous pouvez continuer de m’appeler « commissaire », je ne suis pas mégalo et je tiens à ce grade.
Nous buvons. Une gêne torride tombe sur nous. Voilà que je me sens incongru dans cette chambre de jeune fille comme une merde sur la moquette de l’Elysée un soir de réception de la Queen d’Angleterre. Ne trouve rien à dire. Tu peux tout de même pas sauter à pieds joints dans la chatte d’une adolescente qui a peut-être encore son berlingot !
Apercevant une chaîne hi-fi, j’emprunte cette bifurcation :
— Vous écoutez beaucoup de musique ?
— Par crises.
— Et c’est quoi vos morceaux préférés ?
— La musique exotique, principalement celle d’Indonésie.
— Curieux.
— Ça me permet de beaux voyages immobiles ; j’ai horreur de me déplacer.
— Vous me faites écouter votre tube préféré ?
— Volontiers. Vous n’avez pas les tympans trop fragiles ?
Elle manipule ses appareils. J’ai une admiration assermentée pour les gens qui savent se servir d’une chaîne stéréo. Je ne suis pas un homme de « mécanique ». La technique m’impressionne mais me fait chier. J’adore les voitures haut de gamme, mais je ne connais d’elles que les deux trous par lesquels on introduit l’huile et l’essence.
Au bout de très vite, voilà une cacophonie ambulatoire qui m’explose les trompes ! Le vacarme à l’état pur : des cloches par chiées, des gongs, des tambours, de la mélasse sonore ! J’ai envie de grimper aux murs, de sauter par la fenêtre. Ça me massacre le caberluche. Je fais une double hémorragie auriculaire. J’ai le pariétal qui se fissure, l’occipital qui s’émiette, l’apophyse styloïde qui dégouline. Je ne me rappelle plus si on est mercredi ou si je m’appelle Eloi Dupont.
— Comment trouvez-vous ? me hurle Nathalie.
— Spécial ! beuglé-je-t-il. Vous ne pourriez pas baisser un tout petit peu ?
— Ça doit s’écouter au maximum d’intensité pour conserver son impact percussionnaire.
Tu sais qu’elle semble en extase, la môme ? Ses voisins doivent vachement renauder, se beurrer les coquilles à la boule Quiès !
Elle écoute, la tête renversée sur le canapé auquel elle s’adosse. Moi, je me dis que je devrais lui demander une copie de la cassette. On la ferait jouer aux mecs interpellés pour les pousser à avouer. Ce genre de sévice n’est pas homologué et ne saurait en aucun cas passer pour bavure. Le récalcitrant à qui tu moulines dix fois de suite un tel vacarme, il demande grâce, s’affale, te raconte tout ce qu’il voulait te cacher, en rajoute, au besoin !
Je subis mon martyre, l’offre au Seigneur qui vient de Se montrer si bienveillant en évitant le crabe à ma Félicie.
Enfin le « concert » s’achève.
— Maintenant, je vais vous faire entendre un enregistrement de chant rituel réalisé aux îles de la Sonde.
— Une prochaine fois ! fais-je en me dressant. J’ai une conférence à la Maison Parapluie.
— Si vous ratez le début, ce ne sera pas grave, déclare Nathalie ; il n’y a rien de plus rasoir !
— Comme c’est moi qui la prononce, je dois assister également au début !
Ça la fait marrer. Elle se dresse, distraite un instant de son chagrin en cours de fabrication par ma visite.
— On se reverra, monsieur le président ?
— Directeur ! réctifié-je encore.
— Alors disons : président-directeur général !
— C’est de la soie ? fais-je-t-il en palpant l’étoffe du kimono.
Tu connais ma sensibilité aux étoffes. Moi, y a des tissus qui me foutent la trique. C’est épidermique, voire dermique, chez moi. J’ai rencontré des bonniches à robes de coton auxquelles (les robes) je ne pouvais résister. Chacun ses fantasmes ! Avant que les prêtres se saboulent en civil, j’évitais de toucher leurs soutanes pour ne pas risquer l’excommunication.
La soie du kimono est souple, fraîche. Je caresse une manche et — ô miracle ! — mes ongles ne s’y accrochent pas, ce qui aurait constitué pour moi un motif d’abandon.
La grande fifille me regarde, rosissante. Son émotion glisse jusqu’à la partie kangourou de mon slip du même nom. Je vais toujours risquer un baiser interférent, on ne sait jamais.
Quand je la prends par les épaules, elle a comme un élan cabreur qui m’incite à interrompre la manœuvre.
— Navré, fais-je en la relâchant.
C’est elle qui rectifie le tir en se blottissant contre mon épaule. Je caresse délicatement sa nuque.
— Ah ! beau fruit vert, comme tu es tentant ! soupiré-je.
J’aurais pu filer quelques pieds de plus à la phrase pour en faire un alexandrin, mais je suis pris de court.
— Vous êtes un homme merveilleux, chuchote-t-elle-t-il, j’aimerais tant qu’on se revoie.
Comme je suis indiciblement dégueulasse, je me dis qu’elle a peut-être ses ragnagnoches today , la miss, et que c’est la raison qui l’a incitée à l’esquive. Mais elle entend préserver l’avenir et me revoir dès que le feu passera au vert. Je suis un mec tellement perspicace que je serais capable de te dire la couleur du slip de ta femme au bout de cinq minutes d’entretien privé avec elle.
Pour l’heure, je préambule nos relations futures d’un baiser roulé si impétueux qu’on pourrait faire du surf dessus !
Elle met dans cette galoche une certaine inexpérience qui me ravit. Le rôle de Pygmalion avec cette jolie statue doit être exaltant, et je suis persuadé que cette salope d’Aphrodite lui mettra le feu aux miches le moment venu.
Lorsque j’ai récupéré ma menteuse et l’ai replacée derrière l’inexpugnable barrière de mes trente-deux chailles, je lui dis que la revoyure, ce sera pour la fin de semaine, samedi par exemple, et que je lui ferai visiter la vieille péniche que je me suis récemment achetée près du pont de Saint-Cloud où elle est amarrée. Une pure occase qu’un pote acteur (que le cinoche a largué) m’a bradée pour une poignée de févettes tant il était pris à la gorge par le fisc. Elle est aménagée coquette. Un grand salon-bar, une non moins belle chambre avec salle de bains. Elle est un peu vioque, mais quand une voie d’eau se déclare, on la calfate avec du chewing-gum que je fais mâcher par la bonne, ayant une sainte horreur de ce dérivé de l’hévéa.
Bien sûr, je ne quitte pas ma Félicie, n’empêche que mon navire d’eau douce est nickel pour emmener des frangines aux fraises. Rien que la curiosité, déjà, les engage à accepter ma propose. De plus, pour certains entretiens occultes, c’est l’endroit idéal. Personne ne prend garde à une vieille péniche amarrée. Si elle continue de me plaire, plus tard je ferai « des frais dessus » ; pour l’instant, on en est à la période probatoire, elle et moi.
Nathalie bat des nageoires !
— Vous possédez une péniche ? Une vraie ?
— Tout ce qu’il y a de vraie, à preuve : elle flotte !
Nous quittons sa chambre. Deux pas, puis la môme :
— Mon Dieu ! Mais qu’est-ce que c’est que ça ?
Je suis la direction de son regard comme on dit dans d’autres romans que je ne lis jamais jusqu’au bout, et j’aperçois comme un paquet sur le tapis d’un marché persan.
La gosseline s’en approche et la v’là qui hurle à gorge d’employée, comme dit Béru.
Franchement, y a de quoi. Imagine que ce que j’ai pris pour un paquet n’est autre qu’un bras d’homme. Non, te sauve pas, je te berlure pas, l’aminche ; parole ! Y a un bras authentique d’homme sur le sol du salon. Et il n’est pas de cire, mais en viande comme toi et moi. Il a été salement arraché de son tronc et il est plein de nerfs, de lambeaux et autres dégueulasseries à l’emmanchure. Du sang séché le macule. Il comporte une manche de costume, dessous, une autre de chemise. Il y a une Swatch au poignet.
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