— Quel détail ?
— Il a parlé de ce qu’il y avait dans la valise volée. Il a mentionné une trousse médicale, tu te souviens ?
— Oui.
— Et il nous avait dit qu’il l’avait gardée…
Je commence à l’avoir mauvaise. Bonté, quelle couennerie j’ai commise en ne la réclamant pas au bonhomme.
— Alors, poursuit le Gros, je la lui ai demandée…
— Je te reconnais bien là… Alors ?
— Dedans, y avait des tas de trucs médicaux, entre autres une boîte à piquouses. Et dans cette boîte il restait une ampoule vide de je ne sais plus quel produit. On avait oublié de la jeter… Sur cette ampoule se trouvait le nom du pharmacien qui l’avait vendue… Un pharmago de Boulogne-Billancourt. Je suis allé interviewer le bonhomme. Il avait vendu ces ampoules à une jeune femme blonde en effet… Et par un hasard formide, son petit préparo se rappelait avoir vu sortir la fille d’une maison de l’avenue Victor-Hugo à Boulogne… Il m’a décrit la bicoque… Je suis t’été faire un viron…
— N’en jette plus, la cour est pleine… T’es arrivé dans la taule avec tes bottes d’égoutier, Caseck t’a aperçu…
— Qui ça, Caseck ?
— Les Grosses-Paupières…
Penaud, il balbutie :
— Oui, c’est bien ça. Comme je passais une porte, j’ai moulé un parpin sur la noix. Je suis tombé… Alors ce salaud-là m’a filé la plus terrible toise que j’aie jamais reçue… Ça pleuvait partout : dans le bide, dans les côtes, dans la tête… Je me suis retrouvé beaucoup plus tard dans une cave, saucissonné…
— Bravo. C’est vous le fameux policier ? Un policier pour noces et banquets, oui !
Il secoue la tête…
— Que veux-tu, c’était déjà beau d’avoir trouvé leur repaire…
— C’était beau, oui, conviens-je.
Satisfait, il poursuit :
— Il s’est passé du temps… Je me suis pas bien rendu compte. Et puis ils sont venus me chercher et ils m’ont questionné. Et je t’assure que nous autres, à la Grande Cabane, nous sommes des enfants de chœur pour ce qui est de poser des questions… Ces tantes me collaient du papier à cigarette sur les joues et quand je ne voulais pas répondre, ils y filaient le feu… Vachement jouissif !
— J’essaierai, promets-je…
— Ils m’ont forcé à dire qui j’étais, comment j’avais remonté l’affaire, et ce qui se passait. J’ai menti, je leur ai dit qu’avant de venir chez eux j’avais laissé des consignes pour toi et que mon chef allait radiner. Alors Caseck, puisque tu dis qu’il se blaze comme ça, Caseck m’a demandé si j’avais des enfants et où j’habitais… Je lui ai dit que je vivais seul avec ma femme. Il m’a alors dit qu’ils allaient se planquer chez moi, ils n’en n’avaient que pour deux jours… Tu parles d’un culot, j’ai jamais vu un mec aussi gonflé !
— Moi non plus. C’est du grand art…
— De nuit on est allé à la cabane…
Il se tait, la voix cassée.
— Chez moi, y avait mon ami le coiffeur… Il vient souvent passer des veillées et…
— Écoute, Gros, encouragé-je, ça fait des millénaires que nous savons que tu es cornard, tu ne vas pas me jouer la grande scène du deux, celle où le mari va se brûler la cervelle à l’eau bouillante ! Y a pas de mal à ça, Napoléon l’était aussi, si tu veux des références. Et puis d’abord tout le monde l’est, c’est de naissance !
Rasséréné, il poursuit.
— Tas raison. Bien, alors voilà Caseck qui commence à filer une avoine monumentale au coiffeur…
— Tu devais bicher, bonhomme ?
— Oui, admet-il, confus. Je ne suis pas un mauvais cheval, mais ça m’a fait plaisir. Du temps qu’ils y étaient ils ont balanstiqué plusieurs tartes à ma femme…
— Celles-ci itou t’ont ravi, non ?
— Merde, me psychanalyse pas toujours ! grommelle le Gros. Je peux y aller ?
— Va !
— Bon, on s’est retrouvé, le coiffeur et moi, sur le plancher, ligotés. Caseck a alors dit à ma grosse que si elle disait quoi que ce soit, si elle appelait, si elle essayait de faire la maligne, ils nous bousillaient, le pommadin et moi.
« Et puis Caseck est parti… Il est revenu plus tard en compagnie du professeur… Il est ressorti encore… Il est re-revenu… Voilà… La journée a passé, tu es providentiellement arrivé…
— Tu parles ! Et il s’en est fallu d’un cheveu… Si ta veste ne s’était pas trouvée au portemanteau…
— Le plus poilant, dit-il, c’est que ce sont eux qui me l’ont ôtée pour pouvoir me ligoter plus serré. Ah ! j’étais ankylosé, mort !
Il se tait. Un instant plus tard, il roupille du sommeil du juste.
En claudiquant je pénètre dans le bureau du Vieux… Il s’empresse, contrairement à son habitude, me fait asseoir et me propose de quoi fumer.
— Mon cher San-Antonio, murmure-t-il. Vous avez une fois de plus fait de l’excellent travail.
— Merci, patron.
— Comment vous sentez-vous ?
— Mieux…
— Parfait.
Il se frotte les mains.
— Le professeur Munhssen a repris conscience, il a pu s’expliquer tant bien que mal. Son récit est assez confus… En gros, voici ce qu’il ressort. Pendant la dernière guerre, Munhssen a travaillé en collaboration avec un savant allemand, passé depuis en deçà du rideau de fer. Ensemble ils avaient entrepris des recherches concernant un explosif d’une puissance jamais égalée…
Le Vieux se rengorge. Le voilà parti dans les grands superlatifs maison. Il caresse son crâne ivoirin, lisse la peau brillante de ses paluches et poursuit :
— L’Allemand n’a pu aboutir dans ses recherches. Munhssen si. Des propositions lui ont été faites de travailler avec son ancien collaborateur. Il a refusé, ne partageant pas les nouvelles opinions politiques de celui-ci… De la simple proposition on en est venu aux menaces… On lui a dit que sa fille serait abattue aux États-Unis s’il refusait… Le malheureux a alors décidé d’en finir avec la vie. Il a voulu disparaître avec son invention et a provoqué la fameuse explosion qui a détruit son laboratoire et qui a failli le tuer…
— Il s’est sabordé, quoi !
— Oui. Mais il s’est seulement blessé. On l’a soigné. Lorsqu’il a été mieux, il est retourné chez lui, soigné par une infirmière spécialisée… Celle-ci a eu l’accident que vous savez, et alors les Caseck (car la femme blonde était celle du Tchèque) ont pris possession de la maison. Ils appartenaient à un réseau d’espionnage et avaient pour mission d’enlever Munhssen, ses adversaires ayant peur qu’il ne mît fin à ses jours.
— Je me doutais d’un truc de ce genre, chef !
Mécontent de cette interruption, il fronce les sourcils.
— Alors, voyez-vous, reprend le Vieux, ils l’ont obligé d’annoncer à son entourage qu’il partait en convalescence… à écrire à sa fille… Bref, à se comporter en tous points comme s’il partait normalement.
« Et puis, une nuit ils ont pris la route… Leur première étape devait être la France. C’était de là qu’un avion spécial devait prendre clandestinement le savant pour l’emmener au-delà du rideau de fer. Seulement les Caseck avaient d’autres ambitions : laisser se développer l’affaire et négocier une rançon, en France, avec le gouvernement danois pour la restitution de Munhssen… Ils ont commencé à mettre celui-ci en sécurité, vous savez où… Seulement, pour éviter toutes indiscrétions de sa part, ils le faisaient droguer par la dame Berthier.
— Exactement ce que je pensais ! ne puis-je m’empêcher de lâcher.
Le Vieux fait « tsst tsst tsst » et continue :
— Naturellement le réseau de Caseck a dressé l’oreille quand le tchèque a prétendu que le savant était intransportable. Rendez-vous a été donné à Caseck à Sarrebruck… Il a dépêché son épouse avec des photographies du vieillard pour prouver que ce dernier était dans un état critique… Le suite, mon cher San Antonio, vous la connaissez mieux que moi puisque vous l’avez vécue…
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