— Encore un beau boulot, Favier…
— Merci…
— Tirez-en un paquet, ça va peut-être servir.
Je chope l’image et la pose sur le verre de ma lampe de bureau, j’allume, bien qu’il fasse jour, pour hâter le séchage.
Après quoi, je tube au commissariat de Malakoff pour demander si la voiture abandonnée est toujours en place. On me répond que oui, vu qu’il n’y avait pas d’instructions. Je dis de ne rien toucher et je me renseigne sur son emplacement exact. C’est devant le 18 de la rue de la Tour.
La photo est pratiquement sèche. J’arrache un morceau de buvard sur mon sous-main pour la plier dedans. Il m’arrive d’être méticuleux, vous voyez…
CHAPITRE XIII
Des fils… à retordre
La rue de la Tour est une petite voie étroite dans un quartier mité, au-delà des boulevards extérieurs. On y trouve de vieilles masures, des hôtels particuliers délabrés, des arbres rabougris, des jardinets flétris et une population mêlée, composée d’artistes, d’Arabes, de vieilles bonnes femmes et de marmots sales.
J’aperçois la Vedette abandonnée. Elle est rangée dans un renfoncement de façon très orthodoxe.
Les portières ne sont pas verrouillées. L’intérieur est pourvu de housses en plastique bleu… Bien entendu, je fouille la boîte à gants, mais je n’y trouve qu’une peau de chamois cradingue, une bougie usée et une boîte d’allumettes.
C’est chétif. Notez que de la part d’un renard comme Caseck, je n’espérais pas trop trouver son adresse écrite à la craie sur la banquette. Il n’y a pas non plus d’indice sur le plancher ou sous les sièges… Rien, rien… Du reste, ces voitures de louage sont désespérément anonymes.
Eh bien, attaquons. La Vedette représente mon dernier lien avec EUX. Caseck est venu l’abandonner là, puis il a disparu… À moi de retrouver le sinistre personnage.
Je sors de l’auto et regarde autour de moi. En face de la voiture, de l’autre côté de la ruelle, il y a une toute petite maison. Une de ses fenêtres donne sur la rue. Elle est située au rez-de-chaussée. Je vais cogner au carreau. La fenêtre s’ouvre, et une dame paraît. C’est la brave mère de famille. Elle ressemble à Bécassine et elle a un nez comme un champignon de Paris.
— Excusez-moi, fais-je en lui présentant ma carte.
Elle murmure « Police » d’une voix pâmée. Son vieux achète Le Parisien tous les matins en allant au charbon et on y parle beaucoup de la rousse.
— Qu’est-ce qu’il y a eu ? fait-elle.
Elle se tourne vers l’intérieur de l’humble logis et demande d’une voix angoissée :
— Tu t’es encore battu, Léon ?
Je découvre alors, dans le clair-obscur qui envahit la pièce, une silhouette d’homme attablé.
— Vous permettez que j’entre ? demandé-je d’un ton courtois. Nous serons mieux pour parler.
— Je vous en prie, fait la femme, seulement l’entrée se trouve dans l’autre rue.
— Inutile !
— Je fais un rétablissement et en deux temps, deux mouvements, j’atterris dans la cuisine. Ils n’en reviennent pas. Il y a là le père, un zig au visage cabossé et au teint rouge, et un gamin rigolard qui joue avec une petite auto sur le parquet.
— J’enquête au sujet de l’auto stoppée devant chez vous, dis-je. Elle a été abandonnée là par un type qui nous intéresse beaucoup et que nous voulons à toute force retrouver… Avez-vous vu l’homme qui est sorti de l’auto hier matin ?
— Moi, oui, fait le mari.
Je lui présente la photo de Caseck.
— Est-ce lui ?
— Mais oui ! Je finissais de me donner un coup de peigne là, devant la fenêtre…
Je regarde dans la direction indiquée et j’aperçois un miroir fixé à l’espagnolette de la croisée.
Le brave homme reprend.
— Le type en question est descendu de l’auto… Il s’est mis à regarder dedans, par terre, puis à l’arrière, comme s’il cherchait quelque chose…
— Il ne cherchait rien, expliqué-je, il s’assurait au contraire s’il n’oubliait pas quelque chose…
— Ah ?
— Oui… Vous n’avez pas attendu pour voir dans quelle direction il partait ?
— J’ai pas attendu, mais une minute plus tard je suis parti prendre l’autobus et je l’ai vu qui prenait un taxi porte de Vanves… À la station.
Je sursaute.
— Vous êtes certain que c’était lui ?
— Ben ! Je m’ai dit qu’y devait être en rideau avec son os… Il portait un pardessus marron et un chapeau noir…
— Oui, c’est bien ça… Quel genre de taxi a-t-il pris ?
— Je vais vous le dire, parce que j’ai l’œil observatoire : c’était une 403 noire avec écrit dessus, en jaune, « Taxi-Radio », vous savez… Y en a quèques-uns en circulation maintenant.
Je bondis.
— Vous seriez rasé de frais je vous embrasserais, mon vieux !
Ça ne lui plaît pas.
— Faut pas chercher le bonhomme ! tonne-t-il en frappant la table du poing.
Sa vieille le calme. Il est nerveux, le gars…
J’extrais un billet d’une demi-jambe et je le cloque au pilon en lui disant de se payer la DS 19 avec. Puis je fonce…
J’enjambe à nouveau la fenêtre.
— Faut pas se gêner, rouscaille l’irascible ouvrier. Ah ! les perdreaux, je vous jure qu’y sont d’un sans-gêne ! Donne-moi c’t’argent, Riri, tu n’saurais pas quoi en foutre !
* * *
Au central des taxis-radios, on lance un appel général pour demander au chauffeur conduisant une 203 noire ayant chargé vers huit heures du matin, la veille, un quidam portant chapeau noir et pardessus marron de se faire connaître illico. Ça ne traîne pas. Moi je la trouve merveilleuse, l’invention. À peine le speaker s’est-il tu que l’intéressé décroche depuis sa bagnole.
— Ici 55, fait-il, c’est moi qui ai pris l’homme.
— Arrivez tout de suite… Police !
— J’ai un client à déposer à l’Alma… J’y serai dans dix minutes… Effectivement, douze broquilles plus tard, je vois paraître un grand costaud aux tempes grisonnantes portant un blouson beige à col de laine. Il est sympa, le chauffeur.
Je le salue et lui propose l’image de Caseck.
— Gi ! fait-il. C’est le type…
— Où l’avez-vous conduit ?
— Rue Cambronne… À l’angle de la rue de Vaugirard…
— Et puis ?
Il me regarde.
— Et puis c’est tout. Il m’a payé, j’ai relevé mon drapeau…
— L’angle de deux rues, c’est pas un terminus… De quel côté s’est-il dirigé ?
— Pas fait attention…
Enfin, c’est toujours ça… Caseck n’allait pas se faire stopper devant sa crèche. Il a probablement pris un autre taxi, ou bien le métro pour déjouer les recherches.
— C’est bon, je vous remercie… Voici pour votre dérangement.
Second bifton de cinq cents balles à porter sur ma note de frais. Je ne suis pas de ces flics qui font une réputation de pouillerie à la police.
Le costaud du volant enfouille l’artiche, assez éberlué.
Je salue ces messieurs des taxis-radios et je poursuis ma ronde aveugle. J’ai déjà avancé quelque peu… En tout cas, me voilà confirmé dans ma certitude : la bande n’a pas quitté Paris.
Je roule à la paresseuse jusqu’à la rue de Vaugirard, je stoppe à l’angle de la rue Cambronne (un type auquel je pense beaucoup, ces temps).
Ayant réussi à garer mon auto, je fais un rapide tour d’horizon.
J’avise une vieille marchande de biftons de la Loterie. La dame glapit que nous sommes un 13 et elle lance cette remarque sur un ton qui signifie « ceux qui ne prennent pas un billet ne sont que des tordus ! »
Je m’approche, j’achète un numéro se terminant par 8, mon chiffre clé, et je lui montre simultanément ma carte et la photo.
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