Il a participé à l’enlèvement du vieux Munhssen. Seulement, pour une raison quelconque, le coup a partiellement foiré… Il a été obligé de planquer le savant danois à Paname. Celui-ci étant malade, il fallait des soins éclairés… Il ne pouvait le faire soigner dans un hosto puisqu’il savait qu’à Copenhague on se caillait le raisin au sujet du bonhomme… Alors il a eu l’idée d’aller chez son ancienne nana de l’époque héroïque. La vie ayant passé par-dessus leur idylle, il a dû avoir recours à des arguments moins spirituels pour la convaincre… D’où la liasse de biftons planqués derrière les petits gailles.
Oui, c’est ça… Ensuite la vioque a eu les jetons et il lui a déplafonné la tirelire pour la faire rester peinarde.
Je remercie mes gars qui ont fait du si prompt travail. Il ne m’en reste qu’un à auditionner : Dupied, un vachard fini qui pousserait sa vieille mère hors des clous pour le plaisir de lui faire coller une contredanse.
Lui, il s’est chargé du présent de la morte. Il a établi un emploi du temps de feu Mme Berthier vraiment sans bavure…
Si j’en crois mon rapport, ces derniers temps, la brave dame menait une vie des plus rangées. Elle partait le soir à sept heures de chez elle pour prendre son poste à la clinique des Rosiers. Elle en repartait à six heures le lendemain, rentrait at home et se zonait jusqu’à deux plombes de l’aprème. Ensuite, elle allait s’acheter de la bouffe dans le quartier et se préparait un gueuleton.
Elle ne faisait qu’un fort repas par jour : l’après-midi. Elle complétait son alimentation par de multiples cafés-toasts absorbés dans le courant de la noye…
Lorsque Dupied en a fini, je le congédie et je demeure seulâbre avec ces éléments de l’enquête. Si la mère Berthier soignait Munhssen, c’était vraiment en vitesse et il ne devait pas résider loin de chez elle… Voilà qui circonscrit le champ des recherches…
Le bignou carillonne. C’est le Vieux qui me demande si j’ai des nouvelles de Bérurier.
— Aucune, chef…
— Et votre enquête ?
— Elle suit son petit bonhomme de chemin…
— Eh bien, faites-la courir, coupe-t-il. J’ai déjà reçu un fil des Affaires étrangères, les Danois demandent des explications et surtout des résultats…
Il raccroche, mauvais comme un cheval dont le postère a servi de cendrier à un fumeur de cigares.
Je me lève, fais craquer mes jointures, et rajuste le nœud de ma cravate.
Je me sens vaguement déprimé. Enfin, je vais toujours porter mon tarin quelque part.
Ce matin, l’air de Paris sent la petite femme honnête qui va au rancard de son premier amant.
C’est frais, délicat, juvénile comme l’acné d’un collégien et si ça ne rapporte rien, ça ne mange pas d’argent. On dirait qu’il y a une petite resucée de printemps dans les feuilles dorées des arbres.
Parole, on en mangerait saupoudré de sucre. Je vous parie un abat-jour contre un jour d’abats que les studios meublés vont marner dur aujourd’hui. Ces temps-là portent à l’épiderme.
Je prends place derrière mon volant et je décarre en souplesse. À cet instant, une petite fille s’élance pour traverser la chaussée afin de rejoindre sa vioque. Je freine à bloc : pas de bobo. La daronne de la gosseline qui a tout vu pousse un cri sauvage, croyant le fruit de ses entrailles culbuté… Je l’invective histoire de lui remettre les nerfs sur la bonne longueur d’onde… Et je poursuis ma route. Mais sa clameur désespérée m’a froissé le cervelet. Ce cri m’en rappelle un autre que j’ai entendu voici peu de temps… Un cri… Ah oui, c’était à la maison de repos du professeur Lafrère… Un cri de femme aussi, un cri de folle, formidable, total, qui remontait de la nuit des âges…
Je me range derrière une file de taxis pour allumer une cigarette. Tous mes sens sont alertés, because, soudain, je viens de penser qu’un asile de dingues c’est vraiment une planque idéale pour séquestrer un bonhomme. Mais bien sûr ! La voici la solution… Voilà pourquoi Caseck a rambiné avec sa mégère… Ensemble ils ont manigancé l’entrée en clinique du père Munhssen… Rien de plus fastoche : le vieux porte une blessure à la trombine et, si ça se trouve, ne parle peut-être pas le français !
Quel tordu j’ai été en omettant de présenter sa photo à Lafrère.
Je redémarre au moment où les chauffeurs de bahut me traitent de pecquenod parce qu’ils pensent que je n’ai pas gaffé l’interdit de stationner…
* * *
L’hôtel particulier qui abrite ces messieurs-dames les tourmentés de la toiture est paisible en ce frais matin. Le portier décoré m’ouvre, me reconnaît, me salue et me guide jusqu’au grand hall.
En cours de chemin, il m’annonce que le professeur Lafrère est en voyage. Il a été rappelé au chevet de son père, en Vendée. Je ne me casse pas le chou pour si peu et je demande à visionner son assistant, en Vista Color et en chair et en os.
On souscrit illico à ma demande. Survient alors un jeune toubib au teint jaune, au cheveu noir et à la bouche pincée par les déceptions de l’existence.
— Docteur Perron, se présente-t-il.
— Commissaire San-Antonio.
Je lui produis l’éternelle photo.
— Vous connaissez ce monsieur, docteur ?
Il ne bronche pas.
— C’est un de nos pensionnaires…
Lorsque Robinson a vu radiner Vendredi, lui qui avait tellement envie de faire jeûne, il n’a pas été plus satisfait, plus soulagé et plus heureux que moi. Je touche au port, c’est rudement bath, vous savez !
— Je devrais plutôt dire : c’était un de nos pensionnaires, rectifie cet endoffé de frais, car il est parti hier matin !
— Quoi !
Du coup, mon bonheur se racornit.
— Parti ?
— Oui, son fils est venu le chercher…
— Un garçon avec de lourdes paupières ?
— Oui, vous le connaissez ?
— Je ne l’ai vu qu’une fois, mais il m’a beaucoup frappé.
Je passe deux doigts en crochet entre ma limace et ma pomme d’Adam, manière de faciliter le boulot de mes éponges.
— Il s’appelait comment, ce pensionnaire, docteur ?
— C’était un Suisse-Allemand nommé Buzler… Il avait perdu la mémoire à la suite d’un accident… Il n’était pas dangereux, mais son fils l’avait placé chez nous pour quelque temps avant de rentrer dans son pays car le malade avait besoin de soins…
C’est confus, tout ça. Je décide de passer le grand démêloir.
— Parlez-moi de lui, docteur, sur le plan médical. Sa blessure est-elle vraiment grave ?
— Elle l’a été ; maintenant il est hors de danger…
— Comment se comportait-il ?
— Il était du genre prostré. Il ne parlait pas et on devait l’obliger à manger.
— Pensez-vous qu’il ait vraiment perdu la mémoire ?
— Sans le moindre doute. Du reste, la nature de la blessure en disait long… Je peux même préciser qu’il ne la recouvrera jamais.
— Parlait-il ?
— Pratiquement pas, et en tout cas pas en français…
— Son… fils savait-il qu’il était définitivement amnésique ?
— Nous le lui avons dit, mais il conservait de l’espoir… Il affirmait, ce qui du reste était désobligeant pour nous, que les médecins de son pays réussiraient le miracle…
Non, mais vous vous rendez compte, les gars ? Vous mordez bien où nous en sommes ? Les yeux morts de Munhssen ne venaient pas d’une cécité, pas non plus d’un éblouissement, mais par le magnésium d’un flash ils traduisaient son état mental… Ils reflétaient le désert de sa pensée.
— Comment était-il venu chez vous ?
— Notre infirmière chef était liée avec la famille Buzler, c’est elle qui nous avait amené ce malade…
Читать дальше