— Votre Honneur, vous n’ignorez pas que lorsqu’un individu utilise une arme à feu, même s’il est ganté — et ici ça n’est pas le cas — des traces de poudre subsistent sur sa main. Je vous demande de faire procéder d’urgence à un examen de la mienne et à un examen de celle du dernier témoin. Vous aurez de la sorte la preuve : primo que je n’ai pas tiré, secundo que le sieur Hébull-Degohom s’est par contre servi d’une arme à feu.
C’est à la seconde où je dépose mon baigneur sur le cuir du fauteuil que la lumière se fait dans ma pensarde. Le juge ! Ça y est, je viens de le remettre ! Ça semble dingue ! Ça semble irréel. Mais ça est !
Vous ne vous trouvez pas en position instable, non ? Je peux y aller ? S’il y a des cardiaques parmi vous, faudrait qu’ils gobassent préalablement leurs petites pilules. Prière aux asthmatiques de se dégrafer le colbard et aux aérophagiques de se dégrafer le calbard. Ceux qui souffrent de la prostate feraient bien d’aller se faire larmoyer la canette s’ils ne veulent pas souiller les coussins. Des machins comme çui que je vais causer, ça secoue l’organisme, je préfère vous le dire carrément. Ça peut vous bricoler l’aorte, vous décrocher la vessie, vous entortiller l’estom’. C’est générateur d’infarctus. J’en connais qu’ont avalé leur râtelier comme un cachet d’aspirine en entendant pareille chose ! Des qui doutaient tellement de leur sens, après m’avoir audi, qu’ils se sont balancetiquer par la fenêtre du sixième afin de s’assurer qu’ils ne rêvaient pas. Tiens, je me rappelle un gardien de la paix qui a pris son bâton blanc pour une canne d’aveugle et qui s’est mis à apprendre le braille. Et pourtant, hein, un gardien de la paix !…
Je vous signale tout ça pour ne pas vous prendre au dépourvu. Je veux pas que vos veuves ou vos veufs viennent à la rouscaille ensuite. Je fais mon métier, moi, que voulez-vous. S’il y a des instants commotionnels j’y peux rien. Faut prendre des risques dans mon job. Ou alors en changer. Seulement, pour se reconvertir à mon âge, c’est risqué. Je serais Huénaire encore, je pourrais me faufiler à la tévé ou me faire nommer Vice-sous-directeur dans la réonotique, d’autant que je saurais m’y comporter vu que j’ai souvent pris l’avion, moi, alors que la plupart des vice-sous-directeurs de la raie au nautique, hein ?… Bon, glissons. Pas la peine d’atermoyer davantage, sinon vous allez me flanquer mon chef d’œuvre à la frime.
Ce que je veux vous révéler, c’est cela : le juge n’est autre que le monsieur qu’on a assassiné sous mes yeux, la veille. Le faux lord-maire, quoi !
Quand je vous le disais qu’il y aurait des réactions. J’en entends qui tombent sur leur pauvre cul comme des poires trop mûres.
CHAPITRE VIII
LA PETITE FILLE DE L’AIR
Le perruqué déblate avec emphase en s’aidant du geste et de la manche. Me faut un bout d’instant avant que d’entraver ce qu’il dégoise. Je le regarde avec avidité et son spectacle me chanstique le nerf optique depuis la rétine jusqu’à l’anus. Comment se peut-il ? Le lord-maire, grave et glabre, assis calmement en face de moi. L’intrusion des gladiateurs. Pan ! pan ! pan ! Trois balles, le lord-maire bascule. Crochet du droit à la mâchoire de l’illustre pomme San-Antoniaise. Un nuage passe ! Arrestation, petit jury, faux témoignages, guiliguiliguili. Et pour couronner le cauchemar, comme on plante le drapeau au faîte d’une charpente neuve, le clou of the numerous, mesdames-messieurs ! Le tour de poisse-poisse suprême ! Festival de la magie à l’Olympia ! Passez noix muscade ! V’là-t-il pas que le sévère juge qui conduit ce pré-procès au flan est la victime qu’on m’impute. Serais-je en état d’hypnose ? Probablement non ! Mais l’importance de la machination est telle que désormais la réalité marche avec des béquilles.
— Honorables membres du Jury, déclare le faux mort-maire ou le vrai lord-juge, je vous rappelle que l’arme du crime est de fabrication française, qu’en outre les empreintes de cet homme ont été relevées sur la crosse. Vous avez entendu la déposition de trois témoins dont l’honorabilité n’est pas à démontrer. Ce sont là des motifs suffisants pour que l’expertise impudemment réclamée par l’accusé sur la personne de Mister Hébull-Degohom ne soit pas pratiquée. Elle aurait quelque chose d’infâmant, non seulement pour ce gentleman, mais aussi pour la malheureuse Mistress Frottfor F.E. Relhuyr et son valet de chambre puisqu’elle sous-entendrait que le jury met en doute leurs témoignages. Honorables membres du jury, vous pouvez vous retirer afin de délibérer.
— Un instant ! claironné-je.
Tel un diable jaillissant out of his box (thank-you, mister Berlitz), je me précipite devant les stalles des jurés. Je leur parcours le groupe d’un œil ardent.
— Ladies et gentlemen, vous êtes comme moi victime d’une monstrueuse mise en scène, leur dis-je. Il n’y a pas eu d’assassinat hier, dans le cabinet de travail de votre lord-maire. Mais une parodie d’assassinat. Le rôle de la victime était tenu par celui-là même qui conduit ces débats, à savoir ce juge ! Je l’accuse en mon âme et conscience d’avoir participé à cette mascarade éhontée ! Tu m’entends, Béru ? ajouté-je en français. Ce vieil épagneul s’est fait révolvériser à blanc. Il y a à la base de ce bigntz une machination effroyable…
— Silence ! beugle le juge.
Le nujambiste moustachu se précipite pour me ceinturer. Je continue de parler au Béru.
— T’as prévenu le Vieux de la tournure prise par les événements, Gros ?
— Naturellement, répond l’organe du Mastar. Il a dit qu’il y pouvait rien et que t’avais qu’à te démerder.
Je ne peux plus en casser une biscotte les bourdilles m’ont vachement arrimé. Il est arrivé des renforts. On me recolle dans mon fauteuil. J’ai un bras noué autour du corgnolon. J’étouffe.
Enfin le calme se rétablit. Un vieux zig qui devait être rouquin avant d’être chauve se lève. Il cause au nom de ses collègues jurés. Il dit que le jury n’a pas besoin de délibérer, qu’à l’unanimité il me déclare coupable de l’assassinat du lord-maire et il demande qu’on procède sur bibi à un examen psychiatrique, vu que ces messieurs-dames doutent de mes facultés. Le juge répond qu’il félicite le jury pour sa clairvoyance et il ordonne qu’on m’embastille. Bétail humain misérable, je suis entraîné vers les geôles hostiles. Sur le passage se dresse le mammouth !
— Si je comprend bien le topo, avant t’étais suce-pet, et maintenant te v’là enculpet ? marmonne-t-il.
— Tout juste. Préviens d’urgence le chef inspector Dorénavan de Scotland-Yard, dis-lui qu’il vienne me voir, c’est un ami…
Une bourrade me force d’avancer. Plus de Béru. Je l’ai dans le prosibus, mes fillettes. Si je n’arrive pas à me tirer de cette fosse à purin, dans pas longtemps j’aurai droit à la cravetouze tressée ou au grand air de « Ma cabane au cabanon ».
Quelle perte pour l’humanité en détresse, non ?
Je sais bien je que ne suis que le Georgette Plana de la littérature et que mon œuvre me survivra au même titre que « Riquita », mais quand même, c’est dommage !
Il a pris un coup de vioque, Dorénavan, depuis notre dernière rencontre au congrès de la police. Il grisonne des tempes, il a le teint aussi plombé qu’un cercueil en croisière et sa mise n’a plus cette belle rigueur britannouille qui force secrètement l’admiration des Français. Il m’explique qu’il a perdu sa femme au cours d’une promenade en Écosse : non qu’elle se soit égarée, mais elle est tombée d’une falaise en voulant admirer le coucher de soleil sur l’océan. Depuis le chief inspecter traîne des jours lamentables. Il s’apprête à démissionner pour se retirer dans un monastère tibétain que lui a recommandé l’Agence Cook. Là-bas, il refera peut être sa vie avec un lama.
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