Il continue ses invectives, mais je ne l’entends plus…
Ayant, d’un bond olympique, franchi la haie vive, géométriquement taillée, qui cerne la propriété de nos « clients ».
* * *
Les pays où l’on s’ennuie ont toujours de belles pelouses, vous aurez remarqué. Sans doute parce qu’il y pleut beaucoup ?
Le tapis vert que je foule à emjambées furtives est plus moelleux que celui d’une cocotte grand luxe à injection directe (j’en ai connu une qui s’appelait Mercédès). Je suis une plate-bande (pauvre Béru qui a cessé de) agrémentée de rosiers aux variétés singulières. Je reconnais en passant des Veuve-éplorée-du-Président-Kennedy pourpres, à greffe onasienne ; des Impératrices-Yrotte-Ytrotte jaunes ; des roses Pompon-Élyséennes ; des Princess-Margaret-is-very-big-from-the-backside, des Baccaras, des Belotes, des Tarots et bien d’autres dont je vous dresserai la liste complète, un de ces jours, chez Vilmorin.
Un massif de buis taillé en forme de bouteille Perrier m’offre un abri sûr. Je m’y embusque. Me voici aux premières horloges, z’enfants. Après le massif, l’est un grand garage où stationne une camionnette jaune dont le plateau est nanti d’une petite grue de dépannage. Le « colis » repêché dans les eaux de la Weser est là, ruisselant.
Des messieurs silencieux forment un arc de cercle à l’arrière du véhicule. Sur le plateau, deux zigs en combinaison bleu ciel, armés d’énormes ciseaux de tailleur, se hâtent de découper l’enveloppe de caoutchouc noir. On n’entend que le bruit de mastication des ciseaux. Un silence épais, un recueillement solennel pétrifient l’assistance. Les personnages rassemblés là attendent, au garde-à-vous que le diamant soit débarrassé de sa gangue lisse. Ils sont quatre… Trois grands, un petitou. Le mignard, je le reconnais. L’ai aperçu y’a pas tellement naguère à Paris. Ces longs favoris frisés qui lui tombent sur les épaules, vous parlez que je les retapisse facile. Il s’agit, ni pu ni moins, de M. Perlouze, le Président temporaire des joailliers de France. Ah, le traître ! Le sale vendu ! Ou plutôt non : le sale vendeur ! C’est lui qui a refilé l’affaire à l’organisation nazie. Convictions politiques ? Cupidité ? Allez donc savoir…
D’ailleurs, je saurai.
Et vous itou si vous êtes sages et payez bien votre tiers provisionnel.
Ça y est ! Le bloc est écorcé. Les mecs en combinaison arrachent l’enveloppe. Le moment est impressionnant pour tout le monde.
Pour les copains de l’Organisation d’abord, qui s’attendent à découvrir la fabuleuse pierre.
Pour moi, ensuite, qui espère confusément apercevoir autre chose. Quoi de plus bath que le suce-pince, mes Maîtres ? De plus exaltant ?
Un, deux, trois… Servez chaud !
Un « oh oh oh » effaré secoue les gentlemen.
Diamant mes quenouilles, camarades !
À la place, un énorme bloc de charbon. Vive Mathias le prince des chimistes !
— Qu’est-ce que ça signifie ? tonne le plus vieux des bonshommes rassemblés.
— Mais, l’on dix raies de… du charbon ! s’étrangle le plus jeune.
— Ja, ja, Kohle ! Kohle ! déclarent les gus combinaisés.
Le sieur Perlouze escalade le plateau de la camionnette. Il saisit les ciseaux d’un assistant et gratte furieusement l’énorme pierre. Il ressemble à un petit écureuil frénétique.
— Houille ! Houille ! Houille ! hurle l’infâme salopiot.
— Vous vous êtes fait mal ? s’inquiète quelqu’un.
— Non, houille, charbon ! Anthracite ! C’est de l’anthracite ! Vous entendez ? Me comprenez ? Vous n’avez pas l’air de me recevoir, bande d’ahuris ! Anthracite ! Même chose la Ruhr !
Il se tourne vers les trois compères consternés. Brandit les redoutables ciseaux dans leur direction. Il écume, Perlouze ! Il trépigne.
— Misérables, vous m’avez dupé ! Voleurs ! Criminels ! Nazis ! Alboches ! Me posséder de la sorte, moi qui ai trahi mon pays pour m’approprier le quart du butin ! Ça ne se passera pas comme ça ! À bas Hitler ! Vous n’aurez pas l’Alsace ni la Lorraine ! Allemagne kaput ! Je hais ! Vivement les Russes ! L’Internationale Ouvrière ! Je veux qu’on rase ce pays de fumiers ! On vous coupera les testicules, vous arrachera les dents en or de vos sales gueules ! Tous en Sibérie ! Graine de bagnards ! Ma part ! Il me faut ma part ! Je porterai plainte ! Je dirai tout ! Je le jure ! Sans haine et sans crainte ! Rien que la Vérité ! Ma part tout de suite ! Mon quart ou je vais faire couler le sang ! Vous espérez me berner comme un péquenot au bordel ? Hein, dites, les ordures ? Perlouze marron ? Jamais ! Was is das , ces manières ? Je ne me laisserai pas mettre ! Ah ! que nenni. Oh que non ! J’aurais perdu mon honneur pour la peau ? Me cracherais à la figure en échange de rien du tout ? Non, mais dites donc, oh, hé ! Halte-là ! Verdun ! On ne passe pas ! La tranchette des bâillonnés, messieurs ! Le chemin des Dames ! Douaumont, morne plaine ! Ce que je vous hais ! Ah là là ! Fougueusement ! Bandits ! Allez, oust, ma part et vite ! Mon quart, nom de Dieu, mon quart ! Mon quart sinon je commets un acte irréparable !
Le plus vieux des nazis qui comprend le français et le gargouille un peu éclate :
— Impézile ! Fous ne boyez donk bas gue nous zommes roulés ! Brenez-la, fotre part ! Allez, brenez, crétin ! Fous zavez droit à zinq zents guilos de ce machin !
Perlouze regarde le bloc.
— Cinq cents kilos… d’anthracite ? Hmmm ? D’anthracite ! Alors que je me chauffe au fuel !
Là-dessus, coup de sonnette en coulisse.
Un mec en blouze saute du plateau pour aller ouvrir.
À Grett, je vous l’annonce avant qu’il ne l’apprenne.
* * *
Mes petits canaillous, vous voudrez prendre note d’une chose importante, susceptible de ne pas vous être inutile. Dans la vie, on vous demandera toujours de justifier un refus, mais jamais une acceptation. Ce qui revient à dire que le côté positif du « oui » n’a pas besoin de s’accompagner d’explications, alors que le « non » paraît louche et se doit d’être étayé par des arguments.
— C’est la femme du commandant Mhoröflyk ! annonce le zig qui est allé lui ouvrir.
Du coup, y’a légère réanimation de la part des consternés. Une telle visite, en un tel moment, fait un tantinet « coup de théâtre », et après celui qui vient de leur être assené, met un regain de vigueur dans le concile.
Toujours planquouzé derrière mon buis, je mate avec avidité la prestation de ma jolie championne du radada.
Elle s’avance vers le groupe, très droite, avec une figure de demi-veuve et un air de loyauté qui retiendrait un caissier de banque de vérifier si le chèque qu’elle lui présente est signé.
Celui que j’appelle « le plus vieux », faute de savoir son blaze, toise l’arrivante avec une certaine bienveillance qui ira en s’accentuant.
La salue bas et lui demande, d’une voix engageante, comment il se fait qu’elle soit là et ce qu’elle désire.
À toi de faire, ma toute belle !
Pourvu qu’elle tienne bon la rampe, Grett. L’instant est agréable comme deux plis à son pantalon. Ah, cruelle angoisse, qui toujours nous vrille les nerfs.
— Vous savez ce qui est arrivé à mon mari ? demande-t-elle.
— Nous avons appris qu’il avait été grièvement blessé par un bandit déguisé en femme, répond le Vioque.
Elle se racle la gorge.
— Cet individu m’a abordé pendant que j’attendais la fin des manœuvres du Nekmair-Jiturr , à quai. Il tenait un pistolet et m’a menacée de m’abattre si je refusais qu’il m’accompagne.
— Intéressant, lâche l’autre.
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