— Mille diables ! s’écrie-t-il.
Je reste coi. Elle reste coite. Nous restons coïts !
Quel vilain moment !
Bien fait pour nous ! On aurait dû pousser le loquet avant de s’entrejamber. Seulement, moi qui ne pense qu’à ouvrir des lourdes, je ne me préoccupe jamais de les refermer.
L’officier est là, la casquette rejetée en arrière. Le visage rougeoyant, le regard incertain. On pourrait croire qu’il va exploser. Et puis non, un sourire vicelard fend son visage buriné.
— Hé bé, fait-il, je comprends pourquoi tu aimais tant ton amie Lili, Grett ! Ainsi, toutes les deux… ha, ha ! Tu m’avais caché ça, chérie ! Mais dites donc, vous pourriez attendre ce bon Willy pour batifoler, mes chéries. Deux belles filles, pour un homme sevré depuis plusieurs semaines, c’est plutôt une aubaine.
Moins truffe que mézigue, il prend soin de verrouiller sa crèche, puis il s’avance avec un regard qui lui pend jusqu’aux rotules. Je lis le rut dans ses yeux, comme naguère dans ceux du Gravos. Il se pourlèche. Jamais ne me suis trouvé dans une situation semblable, mes belles friponnes. Never ! Vous vous rendez compte ? Non, mais qu’est-ce je vais fiche, moi ! M’esbigner… Laisser les chers époux s’expliquer en tête à tête ? J’amorce un mouvement tournant afin de me désengager de madame Mhoröflyk sans créer la panique. Premier temps ! Réussite absolue, bravo Santantonio ! Second temps : refouler la gueusette afin de pouvoir quitter ce fauteuil. Je m’y emploie. Y parviens. Malheur ! La tuile ! Creuse ! Romaine ! Figurez-vous que Grett porte un bracelet auquel sont accrochées une floppée de petites conneries tintinnabulantes. L’une d’elles se prend dans mes faux cheveux. Zoum ! Ma perruque est arrachée.
Mamma mia, cette frite du Pitaine !
L’est plus d’accord, le vieux salingue. L’appartient à ces bonshommes qui ne se sentent pas cocus lorsque leur mousmé tâte du gigot à l’ail, mais qui trucident quand ils la chopent avec un jules.
Il pousse un grondement de locomotive dans un tunnel. Je n’ai que le temps d’esquisser un pas de côté. Il fracasse un lampadaire dans sa ruée. Volteface. Moi, que voulez-vous, je me dis que l’instant est venu de sauver mes os et leur emballage. Aussi, que fais-je ? Je ne vous le donne pas en mille, à quoi bon l’émietter ? Je vous le file en bloc. Je prends le taureau par les cornes du commandant. Carrément ! Près de moi, au mur : une statue de bronze représentant un chinois en train de planquer son magot. Je l’arrache. Et boum ! Mhoröflyk déguste en pleine margoulette. S’il avait de la gingivite, le v’là réparé. Ça craque dans sa bouche. Il titube. S’abat en geignant à genoux devant l’accoudoir du fauteuil.
Sa nana nous contemple. Elle s’approche de moi et me prend doucement la masse de bronze que je n’ai pas lâchée. Hébété je la laisse agir… Tout est allé si vite…
— Non, tu es folle ! mugis-je !
Trop tard !
De toutes ses forces, elle cogne la nuque de son mataf. V’lan ! v’lan ! Et re-v’lan v’lan ! Ce gâchis ! La tête à Willy vient d’éclater. Il raisine comme une barrique tombée du camion.
Grett jette le masque. Elle court à la porte en hurlant au secours !
Ah ! non, pas de ça, lisette ! Salope, je veux bien : je suis preneur, mais garce à ce point, je m’y refuse. C’est du veuvage à bon marché ! En solde ! De l’artisanat.
Je l’estourbis d’une manchette à la tempe, pile comme elle allait déboutonner la serrure.
À cet instant on cogne. Des voix anxieuses crient « Qu’est-ce que c’est, Herr commandant, ouvrez ! Ouvrez vite ! » — Puis il y a des appels… Marron, mon San-A. Tu t’es laissé enfler comme une rosière mongolienne.
Moi, vous me connaissez ? Suffit qu’un cas semble désespéré pour qu’il me passionne. J’arrache ma belle robe du dimanche. Je lance mes escarpins cendrillonnesques à travers la turne. Je dévisse l’hublot. Je m’hisse sur une table d’acajou. Et puis plouf !
La méchante plongette dans le non moins méchant bouillon.
Brrrr, ça réveille !
Mais que pouvais-je faire d’autre !
Hmmm ?
CHAPITRE (IRRÉVOCABLEMENT)
DIX-NEUVIÈME
Je nage comme un triton affamé qui vient d’entendre tinter la cloche du dîner. J’ai plongé du côté opposé au quai et il me faut contourner le navire pour rallier celui-ci à mon panache blanc.
Manque de pot : comme j’atteins la poupe (tous les navires en ont une, peu ou prou) je suis stoppé par les évolutions d’une vedette automobile de la police qui navigue derrière le faisceau d’un fort projecteur. Que fait le Santantonio joli afin de ne pas risquer d’ennuis immédiats ?
Il pique une tronche dans la baille, se laisse couler le long de la massive chaîne de l’ancre.
Un mètre, deux, puis trois…
Alors la chance radine. Je la croyais partie, elle s’était seulement permis un détour. Tout se joue sur une fraction de seconde, comme souvent. L’heureuse conjoncture, quoi. Le vagabondage du destin…
Figurez-vous (si la cuillerée de caviar avarié qui vous tient lieu de cervelle vous le permet) que le projo de la vedette est incliné en avant. Il plonge obliquement dans l’eau. Une fulgurance !
À peine…
Mais j’ai le temps de voir l’énorme paquet sombre ficelé à la chaîne. Mon brave sang (qui non seulement est un sang pur, mais de plus un vrai pur-sang) ne fait qu’un tour (au triple galop).
Rapidos je remonte pour aspirer un peu de gaz-à-poumons.
Je te vas jouer les pêcheurs de perlouzes, gentlemen ! Vlouppp ! Je repique dans les profondeurs, le long de la chaîne. Quatre, cinq… huit mètres…
Le paquet ! Je touche, c’est énorme et c’est très dur bien qu’enveloppé dans du caoutchouc. Je caresse toute la surface du bloc. Pas de question : il s’agit du diamant ! À la partie supérieure de l’enveloppe, je sens une valve. Alors je pige tout. La récupération va s’opérer dans des conditions assurant le maximum de sécurité. Deux hommes-grenouilles vont s’annoncer avec une bouteille de gaz supplémentaire. Ils brancheront la bouteille à la valve. L’enveloppe de caoutchouc se gonflera, rendant aisée la manipulation des deux tonnes de carbone pur sous l’eau. Un jeu d’enfant que de haler le bloc jusqu’à une embarcation légère, puis de l’emmener hors du port. Gé-nial ! Vous ne trouvez pas ?
Si ? Merci !
Brave Mathias, va !
N’a-t-il pas eu l’idée d’attacher sa capsule à un cordonnet, afin que je puisse la porter comme un scapulaire ! Si bien que je l’ai toujours au cou.
Allez, San-A. Au turbin.
Nouvelle goulée d’air.
Re-re-plongée.
Dans un premier temps, je dévisse la valve de l’enveloppe.
Dans un second, je glisse la capsule à l’intérieur de l’enveloppe.
Dans un troisième, ayant revissé la valve, j’écrase la capsule du poing, contre le diamant.
Mission accomplie, monsieur le directeur. Vous comprendrez ce qui va s’opérer maintenant, lorsque je vous aurai révélé que le produit contenu dans la capsule n’est autre que du méta-tito-bromi-éthylosulfate de polyéther-acétate de manganèse chlorohydro-méthylo-oxy-borate de nitro-phéno-fluoricarbure salicili-glucoronamide ascorbique-triméthyl-chroméno-hymécromone propylo-benzyl-adénosinebi-phosphorylé-praa-amino-dipropyline-sulfo-thiorine-panthoténate-calci-sodé de cyproheptadine-alpha-amylase-trichro-mycine-isopropamide-iodure de chlorbutol-hexa-méta-ferreux-furfurylidène-protéolytique-chlor-hydrate de lysozymeanhydreorthoxyquinoléine-éphédro-bromhydrate de scopolamine à excipient parfumé sucré simple, dont la formule, je vous le rappelle à toutes fins inutiles est : L A 1 Q I 2 E H i QBC OVC.
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