Il consent, toujours en pleine docilité. Ce gadget, tu parles d’un élixir de tranquillité ! Faut que je le ramène à la maison, je le prendrai avec moi lorsque j’irai demander un abattement d’impôts à mon contrôleur.
Et ça se passe bien.
On salue les deux camarades, Glavoski m’entraîne vers une poterne gardée par deux sentinelles. Ces dernières le reconnaissent et lui présentent les armes.
Ouf ! Nous voici dehors…
Des espaces immenses dans la nuit. Tout est désert. Des étoiles brillent au ciel et, crois-moi ou va te faire décaper le fondement chez les Hellènes, mais ce sont les mêmes qu’à Saint-Cloud ; ce qui te prouve bien qu’on est peu de chose, n’est-ce pas ?
Aussitôt, je me convoque pour une conférence au sommet. Dans ma hâte de vider les lieux, je n’ai pas pensé à un mode de locomotion. On ne va pas se baguenauder bras dessus, bras dessous, à onze plombes du soir dans Moscou, le camarade général et moi, si ?
Comme répondant à ma question, une voiture surgit. Une grande tire noire CD (corps diplomatique). Elle ralentit et stoppe devant nous. Pavillon britannique. La portière arrière s’entrouvre. La lumière du plafonnier me permet de reconnaître Duck, assis dans la Bentley ancien modèle, un bras négligemment passé dans l’accoudoir.
Avec lui, il ne faut jamais s’étonner de rien.
— Vous passiez ? ricané-je.
— Non, répond-il, je venais vous chercher.
Je vais pour m’étonner, lui demander comment il a pu savoir que je me trouvais là à cet instant. Mais je sais qu’avec le B.B. il ne faut en aucun cas être surpris. Duck sait tout de mon comportement. Va savoir si, dans l’île, ils ne m’ont pas foutu dans l’estomac ou ailleurs quelque émetteur de leur invention capable de les renseigner sur tout ce que je fais, voire sur tout ce que je dis.
— Le général nous accompagne ?
— Pas nécessairement, il manquerait à la soirée officielle. Qu’il vous remette son petit paquet ; demain, son épouse regagnera le domicile conjugal.
Glavoski me tend spontanément la chose scellée.
— Je peux compter sur vous ? me dit-il.
Pas le temps de donner ma parole. D’ailleurs à quoi bon ? Comme je n’en ai qu’une, je suis toujours obligé de la reprendre. Non, je n’ai pas le temps car voilà que quatre bagnoles débouchent en trombe, qui freinent à mort et cernent la Bentley.
— Fâcheux, soupire Duck. L’alerte aura été vite donnée.
C’est tout.
Ça se met à grouiller autour de nous. On nous déménage de la tire diplomatique, bien que nous nous trouvions en territoire étranger. Des policiers en uniforme, d’autres en civil, mais qui paraissent plus en uniforme que les premiers !
On nous embarque avec le général dans les autres chignoles. Le chauffeur anglais est de la partie aussi. Flegmatique.
Brève randonnée.
Tout le monde descend. On gravit les quatre marches d’un perron. On nous pousse sans ménagements par des couloirs administratifs.
Ça ressemble à un film style « 1984 ». Tout est gris, froid, hostile. Personne ne parle. Il n’y a que des bruits et ils sont lugubres comme la plainte du vent dans le château de Dracula.
Nous voilà fait aux pattes.
Aux Karpates !
Je lorgne mes deux compères : Duck et Glavoski. Le premier semble assister aux courses d’Ascot, le second retrouve son visage géométrique et dur.
On nous introduit, pour finir le périple, dans un vaste bureau qui ressemble un peu à un tribunal car il comporte une longue table derrière laquelle ont pris place côte à côte trois personnages.
Deux autres petits bureaux métalliques, de part et d’autre, avec un homme à celui de gauche et une femme en uniforme à celui de droite. Des chaises pliantes, en plexiglas, sont disposées face à l’aréopage. On nous fait asseoir. Le reste de la troupe demeure debout devant les issues.
Le paquet que m’a remis le général m’a été arraché des mains au commencement de l’opération. Un flic en tenue le dépose devant le « président » du tribunal.
Celui-ci prend un poignard servant de coupe-papier et découpe l’emballage de grosse toile. Il extrait une cassette du sac éventré.
Il tourne celle-ci dans ses mains. Pose une question à Glavoski.
Ce dernier ne répond pas.
Le « président » s’abstient d’insister et balance un ordre à la ronde. La femme ouvre un tiroir et y prend un petit cassettophone qu’elle apporte au président. Lequel lui présente la cassette.
A cet instant, Duck murmure, sans se tourner vers moi :
— Je viens de glisser deux boules Quiès dans votre poche gauche, dépêchez-vous de vous les enfoncer dans les oreilles !
Diable d’homme ! Génial démon ! Esprit satanique !
Comment a-t-il pu me filer ces boules dans la vague, à la vulve et à la suce de tout le monde (comme dit Béru). Sans que je m’en rende compte moi-même.
Je glisse ma main dans ma vague, négligemment. Le contact gélatineux des boulettes… Je les cueille. Un temps… M’en farcis une portugaise. Merci… Puis l’autre. Thank you .
La femme en uniforme a achevé de charger l’appareil. Elle l’enclenche.
Je mate le général. Il se tient bien droit sur sa chaise. Livide.
Les camarades du « tribunal » ont pris des attitudes attentives : menton dans la main, ou bien bras croisés, tête inclinée, air aiguisé…
Ça se met à mouliner. Je me suis si tant tellement farci les coquilles que je ne discerne pas la moindre broque.
Tout le monde écoute.
Mais !
Mais ! Mais !
Mais ! Mais ! Mais !
Mais ! Mais ! Mais ! Mais !
Que se passe-t-il (ou-t-elle) ?
In-cro-yable !
Voilà l’assemblée qui semble frappée de torpeur.
Chacun des assistants paraît avoir du mal à respirer. Je te jure que je ne plaisante pas ! Ils halètent tous : les « juges », le général, le chauffeur britannique, les policiers. Ils ouvrent grandes leurs gueules, comme s’ils étouffaient. Les plus costauds se compriment la poitrine. Et puis les voilà qui perdent totalement conscience et qui s’écroulent. En quelques minutes, trois ou quatre pas davantage, tout le monde est out , écroulé, anéanti.
Alors Duck se lève et va ramasser le cassettophone sur le bureau de la secrétaire. Il me fait signe qu’on doit se tailler.
Avant de sortir de la salle, il passe l’appareil à l’extérieur, attend un instant et sort.
Les poulets demeurés dans les couloirs se tordent à qui mieux mieux…
On poursuit notre évacuation, sans se presser. Il brandit le cassettophone comme un auto-stoppeur la pancarte indiquant sa destination de rêve.
Dehors, il y a un début d’intervention. Des gars se jettent sur nous, mais en moins de temps qu’il n’en faut à un battu électoral pour déclarer qu’il a gagné, ces inverventionnistes vont à dame.
Notre bagnole est encore là. Duck prend place au volant, mézigue à son côté.
Décarrade.
Tout en conduisant, il stoppe l’appareil, l’ouvre et récupère la cassette qu’il glisse dans sa poche. Il arrache ses boules Quies devenues inutiles. J’en fais autant.
— Ouf ! soupire-t-il.
Il drive à l’énergie.
— Sacré gadget, fais-je. Quelqu’un a donc inventé des sons possédant une valeur soporifique ?
— Mieux que ça , répond Duck ; des sons qui détruisent les cellules du cerveau en deux cents secondes.
— Voulez-vous dire que tous ces gens… ?
— Ils sont morts, oui.
— Et le général Glavoski n’a rien dit ?
— Il était devenu un traître et on ne plaisante pas ici avec ce genre de plaisanterie. Il a préféré en finir en beauté.
Duck soupire :
— Je suis navré pour mon chauffeur, je n’avais que quatre boules Quies à ma disposition.
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