En presse le flanc.
L’aiguille jaillit.
Paré. Je vais me placer derrière le général Glavoski. Et « tchac » ! Dans les miches.
J’agis si vite que l’intéressé n’a pas le temps d’éprouver une douleur. Et puis l’aiguille est si fine ! En outre, le cul n’est pas le siège de la souffrance ! Quel est le dégueulasse qui vient de crier « Bien au contraire ? ». C’est malin !
Il se retourne cependant, m’avise et marque la même surprise que l’interprète quand je suis sorti du salon.
— Tout va bien, général, lui dis-je avec un radieux sourire comme sur la pub pour la constipation, montrant le visage reconnaissant du mec retour des gogues (mot également dérivé de Gogol).
Il a un léger flottement. Puis son visage se détend. Il oublie l’ambassadeur de France resté en carafe. Le diplomate devient voltigeur comme on dit à la régie des tabacs, et vexé, se casse en direction du Secrétaire général du Parti pour lui demander la date des élections libres et si le Front National soviétique l’inquiète, tout ça…
Une transformation s’opère, à vue d’œil, dans la personne de Glavoski. Il perd sa morgue hautaine, son œil en double poinçon. Sa frite s’humanise enfin.
— Alors, vous allez me rendre ma Natacha ? il bredouille.
— Je suis venu pour ça, Glavo, le rassuré-je.
— N’est-ce pas qu’elle est merveilleuse ?
— Plus encore : fabuleuse. Elle vous adore.
— Vraiment ?
— Comme si vous ne le saviez pas.
Il me prend le bras et soupire :
— Vous êtes gentil. Qu’est-ce que je peux faire pour vous ?
— Trois fois rien, simplement me remettre la Par-ti-tion Thanatos.
Et voilà. Comme ça, peinardos, en plein Kremlin. Au milieu de tous les dignitaires du pays.
Le général réfléchit.
— Demain, dit-il, promis.
— Non, mon cher : tout de suite. Vous devez faire ça pour Natacha, par amour pour elle.
Nouveau temps de réflexion de mon terlocuteur.
— Ça ne va pas être facile.
— Pourquoi ?
— La cassette se trouve dans le coffre Illovitch de la chambre forte ; je ne peux, tout seul, en demander l’ouverture. Nous devons être au moins trois membres du Politburo.
— Qui surveille la chambre forte ?
— Une garde spéciale d’élite.
— Combien d’éléments ?
— Six hommes en permanence.
— L’ouverture du coffre ?
— Un spécialiste qui obtient la combinaison en se mettant en liaison avec le centre de surveillance ; cette combinaison change automatiquement toutes les heures et le décodeur ne fonctionne que si trois membres du Politburo apposent leurs empreintes digitales sur une touche magnétique.
Tu sais ce que c’est quand tu te sens brusquement assailli par la grippe ? La tête lourde, la gorge cuisante, des frissons dans les membres et la fièvre qui monte le thermostat d’ambiance de ta foutue carcasse. Eh bien, je ressens un truc de ce genre en ce moment. Comment pourrai-je accéder à ce foutu coffiot ? Si près du but, la couille ! Merde ! Merde ! Meeeeerde !
— Demain, je…
Oh ! sa gueule à ce grand cornard ! Demain, il aura probablement récupéré. Demain sera un autre jour.
— Il y a d’autres membres du Politburo dans cette pièce, je suppose ?
— Naturellement.
— Au moins deux ?
Glavoski parcourt l’immense salon du regard.
— Beaucoup plus.
— Désignez-m’en deux !
Il obtempère, docile comme un chien d’aveugle, tout doux, presque tendre… Dis-moi, il dure combien de temps l’effet du neutraliseur ?
— Ce petit homme chauve, assez gros, là-bas, sous le tableau représentant le passage de la Berezina par cette ordure de Napoléon.
— D’accord ; et un autre encore ?
— Le vieillard qui a un début de Parkinson et qui s’appuie sur une canne noire.
— Admirable, venez !
T’as déjà pigé que je réutilise le déconnecteur de volonté. A la sauvette. Je bouscule très légèrement les deux bonshommes indiqués.
— Oh ! pardon ! je fais.
Ils répondent que « Ce n’est rien », dans leur patois originel.
Tu parles !
Combien le petit injecteur contient-il de doses, selon toi ? T’en sais fichtre rien ? J’aurais dû m’en gaffer, t’es incapable de me filer la moindre indication et je dois toujours faire tout seul.
Me reste qu’à espérer qu’il est chargé pour plusieurs clients.
— Demandez-leur de vous escorter au coffre, camarade général. Insistez. Tout doit être réglé dans l’heure qui vient.
J’attends la fin des pourparlers. Non loin, Son Excel-lence bérurière accroche une quantité de wagons. Elle carcasse, tousse, gerbe, fuse, aboie, feule, blatère, glapit, cancane. C’est un zoo à soi seul, le Gros !
Ministre, pas ministre, simple inspecteur ou ramasseur de mégots, il restera jusqu’au bout pareil à lui-même : superbe, ardent, flamboyant. Ses yeux pendent sur ses joues. Il les replace dans leurs orbites du dos de la main, comme une mégère courroucée remet ses nichons en cage après une algarade.
Ah ! elle ne passe pas inaperçue, l’Excellence.
Glavoski revient à moi, flanqué de ses deux homo-logues.
— Mes collègues acceptent de m’accompagner. Venez !
* * *
Dédale…
On sort.
Pénètre dans un autre bâtiment situé au fond et à gauche.
Messieurs les camarades se font déponner les lourdes les plus musclées. Le vieux kroum qui sucre marche le plus rapidement possible, comme s’il se sauvait de l’hôpital gériatrique, piquetant le sol de sa canne avec la régularité d’un hallebardier.
Glavoski est un personnage beaucoup craint, cela se voit à l’empressement qu’on met à obéir à ses ordres.
On se pointe dans le saint des saints, jusqu’au maître-autel, en l’occurrence la salle des coffres. Six hommes en uniformes noirs sont assis dans un sas fortement grillagé, mitraillettes en pognes.
Ça devient critique. Glavoski parlemente. Ses deux potes approuvent. On leur fait signer des documents. Puis on leur ouvre. Ma pomme, je dois attendre devant la grille.
A travers les énormes barreaux (ou plutôt à travers leur espacement, car ils ne sont pas transparents), j’assiste à la suite de l’opération.
Dans la salle des coffres, y a des coffres. Et puis un homme en combinaison rouge.
Ça continue de jacter. Nouvelles fiches signées des trois personnages. L’homme en rouge manipule des cadrans très compliqués me paraît-il, mais je suis à bonne distance, et peut-être ne le sont-ils pas si tellement ?
La progression continue.
Les quatre mecs arrivent devant un coffre si rébarbatif qu’aucun casseur jamais n’oserait lui adresser la parole ni lui faire l’insulte du chalumeau.
Fiche magnétique. Messieurs les membres du Polit-buro appliquent leur pouce droit sur une surface bleutée.
Le gonzier en combinaison ouvre l’énorme porte et s’empare d’un paquet placé sous scellées. Le général s’en empare.
Un processus inverse, celui du retour, s’opère alors.
Je ne sens plus battre mon cœur, tellement il est en hibernation, le pauvre. Je l’aurai mis à rude épreuve !
Mes trois compagnons me rejoignent enfin.
On se retire.
La cour… Des dômes brillent au clair de lune. On perçoit le brouhaha de la monstre réception. Sainte Russie ! Chère Russie ! Une bise aigre rôde dans le Kremlin. Des gardes gardent en arpentant leur part de bitume au pas de parade qui évoque le pas de l’oie des nazis.
— Général, fais-je au cornard, nous allons prendre congé de ces deux messieurs ; remerciez-les de leur obligeance et accompagnez-moi jusqu’à l’ambassade de France. Vous devez bien connaître une sortie discrète ?
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