Frédéric Dard - Dégustez, gourmandes !

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A l'occasion du centenaire de ma mort, je suis heureux de vous présenter un San-Antonio nouvelle manière.
Le fameux commissaire guigne la succession d'un Superman intemational et, l'espace d'un livre, devient son disciple.
Alors, il met la baise et la rigolade en veilleuse pour tenter de réussir son examen de passage. S'il y parvient, Sana sera promu super-dauphin. S'il échoue, il sera sacré bézuquet à vie.
Dans un cas comme dans l'autre, il continuera d'escalader ces dames et de dilater la rate de leurs maris. A la vôtre ! Victor Hugo

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San-Antonio

Dégustez, gourmandes !

A mon ami Pierre Sciclounoff

dont le palais est peut-être encore

plus noble que celui où il plaide.

San-Antonio

Si ton ennemi te sodomise, surtout ne bouge pas : tu risquerais de le faire jouir.

(Proverbe grec)

LE PARCOURS DU COMBATTANT

FAIS-MOI LE CADAVRE

Je me souviens de quelque chose qui brillait dans la pénombre. J’avais la joue sur le plancher rugueux. Il y avait un gros nœud dans le bois d’une latte qui me meurtrissait la joue. La chose qui brillait, c’était un soulier verni. Une cheville en sortait ; elle disparaissait dans une jambe de pantalon noir à bande de soie. Ma cervelle s’était mise à peser deux cent cinquante kilos et je savais parfaitement que je ne pourrais jamais plus me remettre debout.

Ce qui m’intriguait, c’était ce pied unique. J’avais beau être chlass à outrance, je me rappelais que, dans la plupart des cas, les pieds vont par deux, comme les oreilles, les couilles et les gardiens de la paix.

Bon, merde, il manquait un panard. Ou alors j’étais à ce point débranché que je ne pouvais plus en regarder deux à la fois ! Franchement, ça ne tournait pas rond. A défaut de pouvoir soulever ma tronche, je tentai de faire pivoter mes yeux dans leurs orbites. Un certain contentement me vint lorsque j’aperçus le second soulier verni perché sur le barreau d’une chaise, comme un corbeau sur une branche. O.K., tout restait harmonieux en ce monde ; sauf mon estomac et, sans préalable, je me mis à dégueuler.

Ça ne m’était pas arrivé depuis des chiées d’années. J’aurais eu honte, peut-être bien, si cela ne m’avait soulagé. Je restituai un fameux cocktail : bile et bourbon. Y a mieux. Le mélange s’opérait dans la proportion deux tiers un tiers. M’aurait fallu trois foies et six reins pour venir à bout de tout ça ! La nappe brune s’étalait sur le méchant plancher en direction du soulier verni. Ça faisait vachement marée montante.

Quand elle ne fut plus qu’à quelques centimètres de la godasse, le second soulier abandonna son barreau pour revenir près du premier ; puis, soudain, là-haut, une tronche s’inscrivit au-dessus de la table. J’aperçus une grande gueule allongée, un peu empâtée du menton, avec des favoris grisonnants et des yeux clairs proéminents. Bien que « mes esprits » fussent partis en vacances, je crus y voir étinceler du mépris. Les yeux me lâchèrent pour apprécier le développement de mon dégueulis ; les deux souliers se retirèrent presto de mon champ visuel, puis la tronche aux favoris frisés.

Je me retrouvai seul avec tout ce bazar immonde qui n’en finissait pas de sortir de moi comme l’eau de la zézette du manekenpis. Ça me rappela mes indigestions de môme, jadis, quand Félicie me tenait la tête au-dessus des gogues. Je gerbais beaucoup en étant gosse. Un gâteau de trop et je partais au refile. M’man m’entiflait des tas de remèdes dégueulasses, mais rien n’y faisait. Les choses ne devaient rentrer dans l’ordre que plus tard lorsque je me mis à biberonner comme tout le monde. J’avais baisé mon foie en le traitant par le mépris.

Et voilà que ça me reprenait plus fort que jadis ! En pleine souillance, l’artiste ! Un San-Tonio comme moi, tripes et boyaux ; pouah ! Mais faut bien qu’on naufrage dans les abjections, temps à autre, si on veut rester simple, non ? Napoléon, quand il allait chier, il devait bien se dire ça, hein ? Coliques napoléoniennes ! Consti-pa-tion Premier Empire ! Petites misères ! Et quand il découillait de même, le Corsico. Foutre bonapartien ou pas, ça demeure glandulaire. Les grands de ce monde s’accroupissent sur des cuvettes émaillées. La fosse septique prépare à la fosse commune. Grand, pas grand de ce monde, chaque génie a sa prostate.

Ça me tourbillonnait l’esprit, ces réflexions compensatoires. J’efforçais d’accepter ma déchéance. Mais j’étais paniqué par l’absence des deux souliers vernis. Un pied se place devant son coéquipier, lequel veut le dépasser. L’opération se répète et c’est ainsi que les gens s’enfuient de vous. Ils se courent après ailleurs, vous laissant seul, les salauds ! Mais notre solitude est la leur. Originelle ! Personne ne fuit ; tout le monde piétine.

Quand j’ai eu vomi les deux bouteilles de bourbon ingurgitées au cours de la soirée, j’ai su ce que c’était réellement que le sentiment du devoir accompli. Mon estomac était devenu léger comme ces plumes qui se baladent au gré du vent ; par contre ma tête continuait de peser son quart de tonne.

Fallait dormir. Une cuite de cette ampleur, seul le temps pouvait la guérir. Mais ce putain de temps, on en est tellement avare qu’on cherche toutes les combines pour essayer de le contourner. N’empêche que j’ai basculé dans le schwartz. Je n’avais plus de tourments d’horaires, je m’étais placé en deçà de ces préoccupations-là. Ma viande bannissait tout ce qui était esprit, notions, soucis. Je l’avais trop malmenée à coups de Four Roses. Elle exigeait des dommages et intérêts, cette salope. Too much , c’est too much , quoi ! J’ai dit bye-bye à la réalité. Après tout, la vie, hein, c’est juste une idée reçue ! Je la rendais après tous ces décilitres de bourbon.

Et alors, je voudrais profiter de ce no man’s land mental pour t’affranchir, lecteur très illustre, scrofuleux, gâteux, beaucoup sodomisé, torve esprit aux purulences endémiques, médiocre à temps complet, fissuré de partout, con, fils de con, père de con, époux de pute, engeance, navrance, désespérance, nuit profonde ; t’expliquer, mon indispensable ami, dont l’unique qualité reconnue est de me lire ; te narrer comment et pourquoi je me trouve ici. Oui, le moment est opportun, judicieux même, pour te résumer ce qui vient de m’arriver et qui m’arrive encore.

Dans le très remarquable ouvrage qui précède celui-ci et qui lui est inférieur, j’en conviens, ouvrage intitulé Bacchanale chez la Mère Tatzi , je t’ai informé que le président de la République, dans sa sagesse profonde (dommage qu’il soit glabre, une barbe de patriarche affirmerait sa connaissance inspirée de toute chose) avait promu mon camarade Alexandre-Benoît Bérurier ministre de l’Intérieur. Beaucoup furent surpris, certains même indignés. D’aucuns en rirent et je fus de ceux-là. Toujours est-il que la chose eut lieu et que la France entière, plus le monde entier, durent la constater.

La première mesure que prit le nouveau ministre, et je l’en félicite, fut de rétablir dans ses fonctions Achille, notre ancien big boss , celui que j’ai surnommé « le Vieux » et dont le limogeage, à l’avènement du nouveau régime, nous plongea dans l’affliction. Le rôle de tout nouveau régime consiste à ébranler l’édifice construit par l’ancien ; quitte à le rebâtir par la suite s’il fait par trop défaut. Or, le Vieux faisait défaut. Cruellement. Son autorité, son panache, son sens du devoir et de la France, son métier incomparable faisaient de cet homme quelqu’un de difficilement remplaçable.

Que Son Excellence le ramenât à son poste, rassura la Police tout entière, n’importe sa coloration politique.

Un homme nécessaire n’a pas de parti, mais des parties. Grosses commak !

Je passe…

Donc, Bérurier ministre, Achille de nouveau big chief , et moi, l’Antonio, assis à la droite du Dieu retrouvé.

Ça baignait.

Et puis, un soir que je me rappellerai toute ma vie et bien au-delà, alors que j’achevais de me gominer la crinière pour aller verger une pécore au cul attrayant, mon bigophone se mit à gazouiller. C’était Achille.

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