Je sors de l’appartement afin de regarder attentivement la cage d’escalier. M’assurer qu’il n’y a pas de traces troublantes sur les marches ou ailleurs.
Je crois te l’avoir dit, l’immeuble est étroit, plus que modeste. Il y a deux locataires par étage. Le fichtre foutre m’empare et je sonne à la lourde faisant face au logement de feue Violette. Maintenant, la discrétion n’est plus de mise. C’est Ravachol qui vient m’ouvrir. Un type d’une extrême maigreur, avec un collier de barbe rousse pour tenter d’épaissir son visage uniquement composé d’une mâchoire, d’un front et de deux yeux pareils à des cierges allumés dans une grotte.
— Monsieur Koenigstein ? fais-je, me référant au bristol punaisé sur la lourde.
— Et alors ?
Je tire ma carte qui tant intimide.
— Police !
— Pas possible !
— Textuel.
— Un instant, s’il vous plaît.
Il dégrafe son pantalon, le laisse glisser sur ses pattes de sauterelle, abaisse un slip heureusement de teinte foncée, décrit un demi-tour et se penche en avant.
— Ça va comme ça ? il me demande.
— Même quand vous êtes penché, ça n’arrive pas à ressembler à un cul ! lui assuré-je sans m’émouvoir.
Et j’ajoute :
— Y a que dans les sociétés nanties qu’on rencontre des vrais culs, monsieur Koenigstein ; le vôtre ressemble à une pince à linge. Vous êtes éthiopien ?
Pris de court, il se reculotte mélancoliquement.
— Je hais les flics ! m’assure-t-il.
— Voilà une dépense d’énergie superflue ; ils n’en valent même pas la peine. Vous voulez bien m’accorder dix secondes d’entretien ou dois-je vous faire convoquer au Quai des Orfèvres pour vous entendre ?
Pris à son style, le voilà tout déconfit, Claudius.
— Je n’ai rien fait de répréhensible, déclare-t-il, partant, je n’ai rigoureusement rien à dire à un poulet.
— En ce cas, je vais vous faire convoquer, assuré-je d’un ton léger. Cela arrive qu’on tombe sur des mauvais coucheurs. Vous n’êtes pas le premier connard possédant un cul de squelette qui cherche à faire le malin. A bientôt.
Je tourne les talons.
Saisi, il me laisse dévaler trois marches avant de réagir.
— Hé ! fait-il.
Je me retourne.
— Ça vous amuse d’insulter les gens chez eux ?
— Quand ils m’accueillent de cette façon, je ne peux pas me retenir.
Je souris grand et cligne de l’œil. Alors il murmure :
— Qu’est-ce que vous me voulez ?
Avec un loustic comme sa pomme, faut pas lésiner. Je me dirige vers le logement de Violette.
— Venez jeter un coup d’œil par là, voisin !
La curiosité l’emporte, ce qui est fréquent chez les mammifères et il s’avance en remuant la queue, chose qui est très visible, vu que s’il a remonté son futal il a oublié d’en actionner la fermeture Eclair.
Je le précède chez la môme camée. M’efface pour la lui désigner.
— Il risque d’y avoir un appartement libre dans l’immeuble, voisin.
— Morte ? balbutie le fier-à-fesses.
— Tout à fait.
— La came ?
Il considère la seringue et les ampoules.
— Probable.
— Elle s’est shootée trop fort ?
— Non : on l’a piquée comme une chienne malade. Vous voyez bien que nous devons parler un peu, vous et moi, monsieur Ravachol.
— Je ne m’appelle pas Ravachol !
— Non, mais lui s’appelait Koenigstein. Guillotiné dans la force de l’âge. Il est venu au monde trop tôt ! Nous allons discuter chez vous ou vous préférez rester ici ?
Il titube et je le soutiens par le bras.
— Vous tournez gonzesse, voisin. C’est la vue d’une morte qui vous perturbe ?
— Je n’ai pas l’habitude.
Nous nous pointons dans son appartement, guère moins reluisant que celui de Violette. J’ai la surprise d’y découvrir une grosse fille en peignoir, occupée à repasser de la lingerie neurasthénique.
Elle regarde une connerie après-midive à la télé ; un truc extra-con où ça plaisante bas et où ça chante faux. Elle est à peine consciente de mon intrusion.
En retrouvant son logis, le haineux a également retrouvé son mépris. Il s’allonge sur un canapé-lit où ont dû se perpétrer de sombres copulations et dont le sommier n’en peut plus.
— Nicaise ! hurle-t-il, arrête cette télé de merde, espèce de grosse vache !
Pourquoi me vient-il à l’esprit que, décidément, cet immeuble est voué aux jeunes mecs « bizarres » maqués à des gonzesses passives ? Du moins à cet étage.
La fille zippe et l’écran s’éteint dans une brève agonie d’images.
— Nicaise ! appelle-t-il encore, la gonzesse d’à côté est morte !
La grosse ouvre grand sa bouche, ses yeux et son anus.
— Violette ?
— Moui.
— Qu’est-ce qu’il lui est arrivé ?
— Overdose.
— Mince ! Elle, ça ne tournait plus depuis qu’elle était passée à la morphe.
— Vous la fréquentiez ? demandé-je à Nicaise.
— Ta gueule ! lui lance Claudius, ici c’est moi qui réponds aux questions. Viens me faire une pipe, comme ça tu ne seras pas tentée de parler.
Elle est passive, la repasseuse. Docile, elle débranche son fer et va s’agenouiller auprès du divan. M’est avis que je suis tombé chez de sacrés barjos. Elle dégoupille la membrane flexible à Claudius pour lui jouer La Flûte enchantée . Il m’est rarement arrivé de questionner professionnellement un gus en train de se faire turluter le bigorneau ; peut-être est-ce même la première fois.
Ce mec, faut le prendre comme il est, en montant le ton de temps à autre, simplement. Pendant que mam’selle Nicaise le gloutonne, j’attaque :
— Vous connaissez le type qui vivait avec Violette ?
— Comme ça. Deux mots en passant. Fais attention, grosse vache, tu me mords !
Nicaise s’excuse d’un grognement comme si elle était en train de bouffer des spaghetti brûlants.
— Vous connaissez son nom ? fais-je, bien que je le susse (à mon tour), histoire de vérifier s’il me chambre.
— Hervé Conard, Crunard, un truc de ce genre…
O.K., il chique dans l’authentique.
— Cet homme trempe dans une chiée d’assassinats, cher Koenigstein.
— C’est son problème.
— Qui peut éventuellement devenir le vôtre, ami très cher.
— J’aimerais savoir comment ?
— Il a refroidi sa donzelle pour l’empêcher de témoigner contre lui. Il n’hésitera pas à vous refroidir ou à vous faire refroidir s’il craint que vous ne révéliez des trucs déplaisants sur lui.
— Je crains rien, je ne sais rien ! fait Claudius.
— Tu débandes ! proteste sa partenaire qui voit panteler ses efforts.
Cette information m’est précieuse car elle me renseigne sur l’état d’esprit du voisin. S’il dégode, c’est qu’il a la trouille. Et s’il a la trouille, c’est qu’il sait des choses à propos de Cunar. C.Q.F.D.
La brave Nicaise se montre parfaitement coopérative.
— Tu veux que je te mette un doigt dans le cul ? propose-t-elle avec une exquise gentillesse.
— Non, laisse tout quimper, je ne suis pas en forme !
Il repousse l’aimable fille avec une telle brusquerie qu’elle part à la renverse.
Obligeamment, je l’aide à se relever. N’ensuite de quoi je prends la chaise qu’il ne m’a pas proposée et m’assieds à son chevet. Après tout, c’est lui qui s’est placé délibérément dans cette position d’infériorité.
— Vous serez davantage en forme lorsque vous m’aurez balancé ce que vous savez et qui vous tracasse, vieux, assuré-je. A quoi bon charrier une trouille qui va vous gâcher l’existence jusqu’à ce que Cunar l’interrompe ? Vous êtes un jobastre, mais pas un meurtrier ; même si vous haïssez les flics, vous devez penser à votre salut et à celui de la gentille Nicaise.
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