Un bruit me rend lièvre. Je me jette dans l'ombre d'une lignée de bambous.
Un gazier asiate (mais pas trop), sort d'un bungalow entre deux Samsonite. Une jeune femme en peignoir de soie ramageux l'escorte jusqu'à leur garage, y pénètre derrière lui.
Quelle impulsion dingue me pousse ? N'ai jamais été foutu de répondre à pareille question. Toujours est-il (haie-t-il) que j'enjambe la barrière de bois pour foncer à la porte restée ouverte. Une sorte d'instinct me motive. Qui dira suffisamment l'impétuosité de nos réflexes, à nous autres gens d'action ?
J'avais déjà réalisé — et pour cause — l'étroiture de la maisonnette. Mais elle est si coquette et charmante que, tout de suite je la juge adorable. Ce que les vieilles peaux mariant leur fille déclareraient être « un nid d'amour ». Je renifle pour vérifier s'il n'y a pas de marmots dans la crèche. Les chiares, y compris les mieux tenus, génèrent des remugles de lait, de bouillies, de langes souillés. Ici, rien de tel.
On pénètre directo dans une pièce composant tout le rez-de-chaussée : espèce de living avec kitchenette, un coin repas, et surtout un salon où la téloche trône, autel inévitable de l'habitat nouveau.
Au fond, un escalier de bois en pin veiné de roux. Je l'escalade grâce à trois enjambées dont la souplesse humilierait Noureïev. A l'étage, deux chambrettes desservies par une salle de bains. Je te le répète : c'est de la maison de poupée pour jeunes mariés !
Dans la première chambre, je découvre un lit défait sentant le sommeil du couple. Coup d'œil sur la seconde. Elle deviendra celle d'un futur bébé car elle est tapissée en rose praline, mais ne comporte en fait de mobilier qu'un divan-lit et un vieux placard de brocante.
Je pose mes ribouis et m'assoye [9] Béru dixit.
sur le canapé de dépannage.
Ronflement d'une tire en décarrade. Choc de la lourde. Les marches grincent malgré leur état neuf.
Je perçois un cri de frayeur. Une voix mal assurée (ne jamais lésiner sur les assurances) demande :
— Il y a quelqu'un ?
Chiasserie ! Ma présence est déjà éventée ! Comment diantre ?…
Pas dur : je laisse une traînée de riz derrière moi ! Ah ! il est fufute, ton Sana, chérie ! Tu parles que la gonzesse qui fait son ménage au cordeau a repéré cette piste de Petit Poucet d'entrée de jeu !
Inutile de laisser croître son début de panique. Je me montre dans le couloir.
— Hello ! gazouillé-je avec toute l'affabilité dont je suis capable.
Loin d'être calmée par mon surgissement, la voilà qu'égosille ! Elle veut fuir. Dans sa précipitation, rate un degré ; et il n'est pas Fahrenheit ! Tombe ! S'entorse du genou. Pleure de souffrance et de peur.
Je remise ma stupide pétoire pour lui porter aide.
— Pour l'amour du Seigneur, ne craignez rien ! l'exhorté-je. Je ne vous veux pas de mal.
Au contraire, ne puis-je m'empêcher d'ajouter en constatant qu'elle est jeune et jolie.
Tu crois réellement que je suis un charmeur, dans mon genre ? Et pourquoi pas. Elle cesse de glaglater, ne gémit plus que de douleur. Alors, avec des gestes d'infirmier chevronné, je la soulève et la porte jusqu'en sa chambre, tout en lui suçotant des mots rassurants :
— N'ayez aucune crainte, petite fille. Je suis le contraire du grand méchant loup.
Tu sais quoi ?
Elle demande, sans cesser de grimacer, biscotte la fficheuse entorse qui l'immobilise :
— Français ?
— De part et d'autre, avoué-je. Et vous ?
— Luxembourgeoise !
— Vous êtes ma première !
Son français est un peu ébréché car il ne doit plus servir depuis un certain temps. C'est vrai, ce que je lui bonnis : elle est ma première Lux-Bénélux.
Au cours de cet échange mondain, je l'ai allongée sur son pucier. J'examine sa salle de bains, y trouve une pommade évasive ; mais tout ce qu'on attend d'elle c'est des vertus adoucissantes.
Mon massage lent, plein de savoir, la calme.
— Auriez-vous une bande pour envelopper votre rotule ?
— Le tiroir du bas de ma coiffeuse.
En possession du tissu élastique, je me surpasse. Je sais une foule de chosefrères qui se blessent en s'envoyant des coups de pied dans les chevilles. Ils n'ont pas mes mains de magicien pour soigner ces dernières.
Je m'applique tellement, la panse avec une si foutrale délicatesse que la chère enfant me demande si je suis toubib. Je lui réponds que non, mais que j'ai pratiqué du secourisme à mon âge tendre.
Ces urgeries accomplies, je lui crache mon histoire. Le fais sans détours ni fioritures. Lui révèle mon job (carte de police à l'appui) ; cause de mon enquête qui m'a conduit jusqu'à Macao, via Hong Kong ; l'attentat auquel j'ai échappé de justesse ; ma rencontre avec la bordelière anglaise, puis avec le pauvre Pauley.
— Vous le voyez, fais-je, je suis dans la situation du chasseur devenu gibier.
Tu veux que je vais te dire, Casimir ? Mes accents de sincérité la convainquent : elle me croit.
Je pose mon regard en velours potelé sur le sien.
— Maintenant, écoutez-moi, reprends-je. Si vous n'avez pas confiance, je partirai.
Elle ne se tâte pas dix ans, mais dix secondes.
— Mon époux est à Hong Kong pour quatre jours, fait-elle, vous pouvez rester ici pendant son absence.
Au cours de ces tribulations, son peignoir s'est entrouvert, me permettant de considérer sa chatte avec l'intérêt qu'elle mérite.
Elle est blonde !
Salami m'a rejoint un peu plus tard. Avec cézigus, pas à se mouronner : il retrouve toujours son maîmaître. Chez les cadors, l'odorat est le premier de tous les sens, alors qu'il est tellement atrophié en ce qui nous concerne, les hommes. Note que, personnellement, je juge mes semblables trop puants pour souhaiter les renifler davantage.
Donc, mon hound s'est pointé une heure après moi au domicile de Cypria (c'est le blase de mon amie). Elle lui a tout de suite tapé dans l’œil car il raffole des femmes blondes.
Je les ai présentés l'un à l'autre. Échange de caresses effrénées.
— Il est terriblement affectueux, a-t-elle gloussé lorsqu'il lui a filé un coup de langue mouillée sur le tablier de sapeur.
— Il a beaucoup de sentiment pour le beau sexe, ai-je convenu.
Afin de diversionner, j'ai demandé à mon clébard s'il se sentait cap' de dénicher l'hôtel Vasco de Gama où loge le Gros, bien qu'il n'y soit jamais allé. A quoi mon auxiliaire à poil rétorque que je le prends pour un demeuré.
Fort de sa suffisance, j'écris un billet que je fixe à son collier. Le texte est bref : « Suis Salami ». Je livre mes instructions au brave messager. Il me fait de la peine, avec la peau éclatée de son crâne en sabot.
Il accepte un bol de lait upérisé très frais, et repart, non sans avoir fait les yeux doux à la choucarde hôtesse.
Et toi, mon con, me connaissant tel que je te connais, de penser : « Ça y est, c'est maintenant qu'il va caramboler la jolie Luxembourgeoise ! »
Certes, l'idée et l'envie m'en sont venues ; cependant, je réfrèfrène cette pulsion familière. Non que j'aie décidé de « m'acheter une conduite », comme disent les pipelettes périphériques, mais j'en suis dissuadé par un coup de sonnette péremptoire.
A pareille heure.
Le jour s'est levé tant bien que mal ; dans le ciel, les étoiles se sont éteintes et le soleil a rendez-vous avec le portrait pâlissant de Mao.
— Vous attendez quelqu'un ? demandé-je à ma presque Belge.
— Personne !
M'approche de la fenêtre pour un coup de périscope rapide. Mon sang ne fait pas qu'un tour : il se fige. Sont groupés devant la puerta : le gars chicos du bateau, puis du casino, puis du restau ; les deux gaziers de l'élevage de canards ; enfin le maître d'accueil du bordel à Lady Trucmuche.
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