— J’ai s’attendu la nuit avant de m’hasarder hors de la planquette, poursuit le rescapé du scotch. M’a fallu de la patience pour patienter là-dedans.
— Tu t’es endormi ? deviné-je.
Il rougit.
— Mettons que j’ai somnolé un chouïa. Dans un réduit c’est pas folichon et j’ai jamais supporté la castration.
Sir Constence Haggravente se tourne vers moi, soucieux.
— Ne dit-on pas aussi claustration ? me demande-t-il.
— On le dit « aussi ».
— Thank’s.
— Je peux causer, oui ? proteste le Gros qui redoute qu’on lui ôte ses effets autant qu’il réprouve la castration.
— Tu peux.
— Je m’ai donc fait une espédition dans la baraque. Comme je la connaissais, j’avais pas de mal à me repérer… J’sus descendu et j’ai vu du feu au salon. Je m’en ai approché, je m’ai baissé pour mater par le trohu de la serrure, et j’ai vu la môme blonde toute seule. Et puis tout par un coup, mon pote, je me ramasse sur la calbombe un de ces coups de goumi ! Je peux pas te dire si que j’ai vu des étoiles ! Le sirop, vite fait ! Comme si qu’on aurait coupé le courant. Vrran, partez !
— Et alors ?
— Alors fini. Je m’ai plus rendu compte de rien ; sauf peut-être, maintenant que j’y réfléchis, y me semble qu’on m’a trimbalé dans une bagnole. Quand j’ai repris connaissance j’étais dans cette vacherie de whisky, à barboter. Je me noyais et c’est ça qui m’a tiré des limbes. Au moment où que j’allais canner, j’ai pu respirer. Pour ça je devais me tenir juché sur un tas de j’sais pas quoi qui se trouvait dans la cuve aussi. En tenant ma bouille au ras du couvercle, j’arrivais à assorber un peu d’air.
« Seulement à tout bout de champ mon pied glissait et je repartais dans le fond de la cuve pour boire une tasse…
Il se tait.
— C’est tout, annonce-t-il.
— Je crois que nous sommes arrivés à temps pour te tirer de là, non ?
— Je le crois itou.
— Le tas dont tu parlais c’était un cadavre, mon chéri.
— Pas possible.
— Et tu as pu t’en tirer parce qu’ils t’ont jeté dans la cuve. Avec ton poids une partie du whisky a débordé, laissant ensuite un vide qui t’a permis de hisser ta splendide physionomie hors du liquide.
Je fais face à sir Concy.
— Eh bien, Phil, doutez-vous encore ?
— Non, Commissaire. Je m’aperçois un peu tard que je suis tombé amoureux d’un monstre.
Et maintenant ? demande Mac Ornish, à qui on vient de faire un résumé en anglais des péripéties béruriennes.
Je me tenais devant la fenêtre de son bureau, regardant la cour morose de la distillerie. Je rêvassais, ou plutôt je prenais conseil de Moi-même (un de mes bons amis que je délaisse un peu). Je me retourne.
— Maintenant, c’est l’hallali ! Mac Ornish, cette fois c’est vous qui allez appeler Stingines Castle. Vous demanderez Cynthia et lui direz qu’il vient d’arriver un grand malheur : Concy m’a trouvé et tué. Vous lui direz qu’il veut la voir une dernière fois avant d’aller se constituer prisonnier, vous pigez ?
— Je ne vois pas trop où vous voulez en venir, mais je vais faire ce que vous dites.
Et il bigophone à la gosse. Tout se passe admirablement et la pauvre Miss Cynthia affolée, dit qu’elle veut bien accorder une ultime entrevue à son fiancé meurtrier. Quelle noblesse d’âme ! Elle l’attend.
Mac Ornish raccroche.
— Fort bien, approuvé-je. Maintenant, puisque vous connaissez le shérif, Mac, téléphonez-lui pour lui demander de se rendre à Stingines Castle. Qu’il prenne un de ses hommes avec lui et se munisse de menottes !
Mac Ornish, subjugué par mon ton de commandement, se met à appeler le numéro. Il raccroche au bout d’un instant en annonçant « Pas libre ».
Un temps. Il recommence. Cette fois on répond.
— Mac Heusdress ! demande Mac Ornish.
— Il a bien de la chance, rigole le Gros.
Le Diro fait son petit baratin au shérif. Celui-ci lui répond longuement et Mac Ornish lui dit de patienter un moment. Mettant sa main sur l’appareil il m’annonce, sidéré.
— Cynthia vient de l’appeler. C’était avec elle qu’il était en communication. Elle lui a dit de monter à Stingines d’urgence pour appréhender son fiancé qui venait de commettre une grande folie !
Concy, le pauvre Concy, émet un gémissement et tombe assis devant le bureau de Mac Ornish. Il met sa tête dans ses mains et libère un long sanglot. Il me fait de la peine.
— Allons, Phil, je soupire, du cran. Les gonzesses ne valent jamais les larmes que nous versons pour elles !
Puis je fais signe à Mac Ornish de conclure avec le shérif.
Dans lequel il faut bien en finir…
Nous restons embusqués dans l’ombre du parc, Bérurier et moi, tandis que le trio composé de Concy, du Mac Ornish et d’Haggravente escalade le perron.
Lorsqu’ils sont à l’intérieur, je fais signe au Gros de me suivre.
En marchant, Béru fait un bruit de vache qui urine car ses fringues n’ont pas fini de restituer leur whisky.
Nous pénétrons dans le hall et nous nous approchons de la porte du salon. Je perçois des sanglots à l’intérieur.
— Oh ! Philipp, hoquète la donzelle, pourquoi vous être laissé emporter ? Tout cela est de ma faute ! Si je n’avais pas eu cette faiblesse pour ce Français de malheur…
— Vous êtes bien coupable, en effet, Cynthia, renchérit la fausse vieille Mac Herrel. Après un tel scandale, il ne vous restera plus qu’à faire une longue retraite dans un couvent…
Un temps. Ça renifle, ça soupire, ça sanglote…
— Ah ! les carnes ! me chuchote Béru à l’oreille.
Je lui intime l’ordre de la boucler. De l’autre côté de la porte Cynthia demande en reniflant :
— Comment cela s’est-il passé, Phil ?
Au silence de sir Concy, je comprends qu’il est à bout de nerfs et que si je n’interviens pas dare-dare, il est vraiment chiche de buter quelqu’un.
Je fais alors dans la salle une entrée très remarquée. En m’apercevant, Cynthia devient verte et tatan Daphné a ses mains agitées d’un tremblement qui n’est pas dû à son grand âge.
— Pas si mal que cela, vous le voyez, mon cœur…
— Mais, mais, bêle la douce brebis égarée.
C’est au tour du Noble Bérurier d’entrer. Il met le comble à la stupeur anéantie de ces dames. Il s’amène au mitan du salon, éternue, torche son nez enrichi d’une longue stalactite aux teintes jaspées et déclare :
— Alors, mes salopes ?
— Voilà un féminin qui me paraît singulier, dis-je.
Et ayant dit, je m’approche du fauteuil roulant de Tante Daphné, je le cramponne par le dossier et je le fais basculer. L’infirme se retrouve à terre, dans un grand frou-frou de jupons.
— Voyons, Commissaire ! sermonne l’aristocratique sir Constence Haggravente.
Au lieu de m’excuser auprès de la douairière, je la relève en la saisissant par le girond. Curieux : elle tient debout sur ses flûtes, brusquement.
— Tu vois, Steve, je gouaille, avec moi on fait des économies, pour les miracles, pas besoin d’aller à Lourdes !
La fausse vieille sort de son corsage un parabellum pour para ou pour bel homme, mais pas pour old lady.
Je m’attendais à un coup de ce genre, aussi ne lui laissé-je pas le temps de me braquer. Une manchette, une clé, un coup de latte ! Le revolver vole à travers le salon. Puis c’est au tour de sa perruque, et enfin son corsage déchiqueté dévoile un maillot de corps tissé pour un athlète.
— Voici Steve Marrow, messieurs, annoncé-je.
L’ayant présenté, je le foudroie d’un uppercut : le plus chouette de ma vie. Puis j’arrache un lambeau de son corsage et, avec du whisky Mac Herrel cinq étoiles (cuvée Maréchal Juin) je le débarrasse de son maquillage. Un type d’une trentaine d’années se découvre alors.
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