Frédéric Dard - San-Antonio met le paquet

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C'est par un petit événement en marge de nos activités professionnelles que démarre cette fois-ci l'aventure.
Une aventure vraiment extraordinaire, vous pourrez en juger par la suite si vous avez la patience de poursuivre.
Une aventure comme, à dire vrai, il ne m'en était encore jamais arrivé.

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San-Antonio

San-Antonio met le paquet

À Jean Redon

et à Simone

ces aventures et mésaventures

qui ne se terminent pas

en eau de boudin.

S.-A.

Avis aux hépatiques, aux bilieux, aux mal lunés, aux complexés et aux mous de la tronche !

Ce livre relate une action imaginaire, animée par des personnages fictifs. Mais comme certains de mes héros sont constipés du bulbe, y aura naturellement du populo qui se reconnaîtra en eux ! Je décline toute responsabilité.

S.-A.

Première partie

Qui vous prouvera qu’on ne doit pas mettre la main dans un endroit où l’on n’a jamais mis le pied

CHAPITRE PREMIER

Dans lequel je commence

à vous affranchir au sujet de ce paquet !

Je suis en train de ligoter un article à sensation sur la vie sexuelle de Robinson Crusoé — et j’en suis à ce passage culminant où il est démontré que, malgré sa grande piété, c’est avec Vendredi qu’il cessa de faire maigre — lorsque la porte de mon bureau s’ouvre devant la personne chétive de Pinaud.

Je lève un œil, constate la médiocrité de l’incident, et l’abaisse sur cette prose de choix quand je perçois un bruit qui n’est pas sans évoquer le dégonflage d’un pneu.

— Ne soupire pas de cette façon, vieillard, conseillé-je à mon éminent collaborateur. Tu vas faire s’envoler les dossiers.

D’ordinaire, le révérend Pinuche met un point d’honneur à bavocher une protestation lorsque je le rabroue. Mais là, il reste plus silencieux qu’une minute de silence dans un congrès de sourds-muets. Cette fois, ce sont mes deux yeux que je hisse dans sa direction. Je leur fais opérer illico un piqué, car Pinaud n’est plus à son niveau habituel. Son maigre volume vient de rendre à l’espace qui m’environne sa qualité essentielle, c’est-à-dire d’être vierge de toute silhouette humaine.

Surpris par cet anéantissement, je me dresse et que vois-je, allongé sur le parquet constellé de mégots ? L’inspecteur principal Pinaud, le nez enfoui dans la dernière édition de Lutèce-Midi , le quotidien du Français au-dessous de la moyenne. Le bonhomme est évanoui, voire mort ? Ce qui ne serait pas en contradiction avec sa qualité d’humain.

Je me précipite et le retourne. Il ouvre un œil aux cils constellés de miettes, et sa moustache de rat se dresse sur un « Oh ! » ponctué d’un point d’exclamation taillé dans la masse.

— Eh bien, que t’arrive-t-il, Pinuchet ? je susurre, c’est la puberté qui te travaille ?

Tout en parlant, je le soulève, ce qui n’est pas paradoxal puisque vous avez des gens qui arrivent à jouer de l’hélicon basse en marchant. Je le dépose sur l’unique fauteuil du burlingue, un siège magnifique, rotatif comme le jet d’un bidet perfectionné, dans le bois duquel l’aimable Bérurier a gravé un soir de spleen une formule mettant en cause tout son futur : « Mort aux vaches ».

Le noble débris reprend conscience.

— À boire ! balbutie-t-il.

Je cours au placard de Béru et j’ai le bonheur sans mélange d’y dégauchir un flacon de gnole sans mélange elle aussi. Pinuche s’en accorde une rasade et se met à loucher sur le baveux resté à terre.

— Tu veux que j’appelle un toubib ? je demande.

Il secoue son chef d’épouvantail en deuil.

— Non… C’est incroyable !

— Qu’est-ce qui est incroyable ? Que tu sois allé à dame ? T’as p’t’être de la tension, pépère ! À force d’écluser, c’était fatal.

— Le journal ! dit-il.

— Quoi, le journal ?

— En première page, lis !

Je me saisis de l’imprimé et mate un titre gras comme le vocabulaire d’un charretier sur le Marché commun.

— En dessous ! fait-il.

En dessous, y a la photographie de Frigide Fardeau, l’actrice du siècle, celle dont les seins font chanceler le parti conservateur en Angleterre et provoquent l’arrêt du cœur des colleurs d’affiches. La gloire du relief ! Trente secondes de fesses intégrales par film, stipulé sur contrat ! Depuis sa venue, les femmes ne font plus de giries pour se déloquer chez le radiologue. Et elle les a débarrassées d’un préjugé qui coûtait cher aux marchands de savon ! Car c’est grâce à elle que désormais les petits Cadum entretiennent la beauté. L’histoire de l’hygiène mondiale se divise en deux parties : avant Frigide Fardeau, et après ! Avant on n’avait pas besoin de se laver les pieds pour faire du cinéma ; maintenant faut même se briquer le fouignozoff !

— Tu as vu ? bavoche Pinaud qui halète un peu plus fort que la louve de Romulus.

— Elle est drôlement gironde, conviens-je. Je comprends qu’elle t’ait flanqué des vapeurs. À ton âge, tu devrais plutôt t’abonner à La Croix .

— Qu’est-ce que tu racontes ? Lis le troisième titre !

Je sursaute.

Le lauréat de notre grand concours est un inspecteur de police, M. Pinaud !

À lui donc, la maison de vos rêves !

— Sans charre ! murmuré-je, t’as décroché la timbale, Pinuche ? Toi, dont l’air glandulard et la vue basse sont réputés dans le monde entier et ses satellites ! T’es sûr que c’est de ton Pinaud à toi qu’il s’agit ?

Comme si le destin n’attendait que mon exclamation pour ratifier la chose, le bigophone se manifeste. Je décroche. Il s’agit de Mme Pinaud, dans tous ses états, comme aurait dit Charles Quint, qui réclame son jules, because les reporters de Lutèce-Midi ont envahi leur clapier.

— Il va y aller ! promets-je.

Mais avant de renvoyer cet excédent d’humanité à son gros lot, je le questionne.

— Qu’est-ce que c’était, ce concours, vieille noix ?

— Fallait trouver un slogan, dit-il.

— Sur quoi ?

— Pour le lancement d’une marque de nouilles !

— Évidemment, t’es de la partie… Et qu’as-tu trouvé ?

— Je me rappelle plus, j’étais un peu beurré le soir que j’ai envoyé mon slogan, il doit être marqué, non ?

Ça l’est, en effet, et en caractères énormes encore. Voici le texte primé, dans toute sa sobriété valéryenne :

Les nouilles Levantre

donnent du cœur au ventre .

— Pas mal, conviens-je, tu peux canner, vieillard, tu as laissé désormais ton message. Et quelle leçon pour les générations futures ! Tu es né nouille, tu as vécu nouille et c’est par la nouille que tu passes à la postérité !

— Une maison, bredouille-t-il. Une maison à moi !

Je reprends le baveux :

Voir la photo en page 3 !

Nous plongeons sur la page 3, ce qui nous vaut une bosse à chacun. Le lot est là, encadré. C’est une coquette maisonnette style normand, sise à Magny-en-Vexin. La description annonce une pièce de séjour, deux chambres, une cuisine, un garage et un jardin de vingt-cinq mètres carrés. Pinaud se remet à croire au Père Noël.

*

C’est par ce petit événement en marge de nos activités professionnelles que démarre cette fois-ci l’aventure. Une aventure vraiment extraordinaire, vous pourrez en juger par la suite si vous avez la patience de poursuivre. Une aventure comme, à dire vrai, il ne m’en était encore jamais arrivé.

Mordez une fois de plus l’inconscience du hasard. Pinaud rentre chez lui un soir en ayant forcé sur le brouilly. Il lit l’annonce d’un concours. Il a l’idée de sa vie. Il la poste pour la modique somme de vingt-cinq francs et, en échange, on lui cloque une maison de campagne ! Y a de quoi se faire inscrire aux prochains championnats de ski à Tahiti, non ?

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