Je m’assieds près de Stefano, sur l’établi.
— Je sais que le mot le plus long de la langue française devait faire exploser l’engin, camarade. Grâce au ciel, mon petit doigt m’a averti de la chose à temps. Si ce mot n’est pas prononcé, la bombe explosera-t-elle de toute manière ?
Stefano ne se donne pas la peine de rédiger, il fait un mouvement de tête affirmatif.
— Quand ? poursuis-je.
Cette fois, il écrit :
— Minuit.
Je pose mes chères mains d’artiste sur ses fumières épaules de terroriste.
— Ta peau contre la mienne, ça joue ?
Il reste immobile.
— Si tu ne désamorces pas ma bombe, je ne te quitterai pas et nous exploserons ensemble.
Il ne bronche pas mieux.
— Mais en attendant l’heure du réveillon, tu la sentiras passer, espère. Ne compte pas trop sur un salut venu de l’extérieur, car si quelqu’un se pointe, nous t’abattons.
Je dégaine un ravissant pistolet qu’il m’a été loisible de passer au contrôle d’Orly grâce à un tour de magie que m’a enseigné un vieux forban de mes relations. Ça consiste à glisser mon arme dans la poche du policier préposé à la fouille avant qu’il entreprenne celle-ci, pour la lui reprendre dès qu’elle est terminée.
Je promène le canon sous son nez en charpie (à propos, va falloir que j’écrive une lettre à la Nation).
— Alors, tu me désamorces, oui ou merde ?
Stefano paraît réfléchir, enfin il acquiesce.
— Où se trouve l’appareil désamorceur ?
Il écrit fiévreusement, en faisant des fautes d’orthographe que je corrigerai plus tard : « Placard du fond, samsonite rouge. »
Tiens tiens, la samsonite ! Comme quoi il a l’œil, l’Antonio, non ? Qui ose prétendre le contraire ?
Je vais au placard et trouve sans peine le bagage en question.
Je l’ouvre. Les flacons aperçus la veille sont là, en beau cristal taillé, de formes et de tailles diverses avec des contenus aux couleurs variées.
— Et après ? demandé-je à Stefano.
Il écrit :
— Enlevez le flacon qui a un bouchon rond. Je.
A ma surprise, tous les flacons viennent en même temps. Et je m’aperçois alors qu’ils ne mesurent pas plus de dix centimètres de hauteur. Dessous, il y a un double fond, plus exactement, un second couvercle.
— Le désamorceur est là-dedans ? je lui demande.
Il opine.
Malgré que ses chasses soient en déconfiture (de groseille), je le regarde à yeux portants. Qu’est-ce qu’il manigance ? Je n’aime pas la brusque façon dont il a cédé. C’est un coriace. Ne me réserverait-il pas un coup de jarnac, voire simplement d’amaque ?
— Tu croyes qu’y t’bite ? suppose le Gros qui me lit entre les lignes.
— J’ai des doutes, raillé-je (ce qui vaut mieux que de dérailler).
— Moi idem, Sana. Alors on va prend’ quéques précautions alimentaires, sors d’la pièce et va attend’ en bas des marches du temps qu’on va vérifier sa panoplie. Nous aut’, moi et Félisque, on n’est pas bombés.
— Cet appareil peut fort bien déclencher mon feu d’artifice à distance ?
— Ecoute, Mec, ta bombe, c’est pas la panade universelle ! Déjà elle marche au son, plus au mouvement classique, s’y va falloir qu’é fonctionne en suce aux ondes estra-courtes, ça d’vient une centrale thermogène-énucléée ! Allez, va !
Je vais.
— Attends, laisse-moi ta seringue. S’il déconne un tantisoit, il a sa dose, t’entends, beau frisotté ?
Je m’évacue. Mon battant est en pleine folie. Dedieu, c’est lui qui va me flanquer le feu aux poudres à cogner de la sorte !
Je m’efforce de respirer calmos. De penser à autre chose. J’évoque le sourire de maman, ce morninge, quand elle est arrivée dans ma chambre avec son plateau chargé de bonnes choses… Mais ma panique demeure, persiste et signe. Je suis mort de peur, là. J’avoue, sans honte. Je mets au défi quiconque, dans ma posture, de ne pas craquer à ce stade de l’action.
Je compte les secondes. Sont-ce mes toutes ultimes ? J’attends l’Apocalypse dans ma chair. Aurai-je le temps de comprendre ? Le temps de savoir que ça y est ?
Un cri retentit, là-haut ! Un autre ! Un troisième ! Tous différents. Trois cris poussés par trois hommes.
Je grimpe en hâte.
Quelle vision, madoué !
Par quoi te la commencer ? Ce que c’est chiant, à force, le job de narrateur. Faut toujours être sur la brèche, raconter, se défoncer pour faire comprendre à des têtes de nœuds, souvent. Pas que ça leur échappe. Je vois ceci, et puis cela ; et c’est comme ci, et encore comme ça ! Merde chiasse, je vais rendre mon stylo au magasinier du Fleuve Negro, moi, un de ces soirs. Basta, à la fin !
Bon, allez, un coup de reins, l’apôtre.
Alors que je te dise : Béru en Saint-Michel, comme sur les images pieuses de sa Prem’. Y f’sait quoi, Saint-Michel ? Réponse à m’sieur l’abbé. Il terrassait le dragon, voui, mon chérubin. Bérurier, ce sont des serpents, lui, qu’il terrasse en les écrasant à coups de talon rageur. Combien de ces atroces reptiles grouillassent sur le plancher ? Quatre, cinq ? Même morts ils continuent de se tortiller, de fouetter l’air avec leurs queues, comme Béru, à l’auberge de Commune pendant que sa grosse frigide changeait de position.
Félix est plaqué au mur, les mains bien posées à plat contre, comme sur les affiches pour films d’épouvante. On dirait qu’il souhaiterait pénétrer dans le mur. Béru, vaillant, invincible, le courage à jamais en bandoulière, massacre les serpents résolument, en fier luron natif de Saint-Locdu-le-Vieux qui eut, en son temps d’écolier, maille à partir avec les vipères buissonnières de sa contrée. Certains des serpents se dressent pour l’attaquer, mais il les ravage de son talon pilonneur, impitoyable et précis. Bientôt, l’écheveau de reptiles n’a plus que des soubresauts agoniques.
— Le salaud ! rage Sa Majesté. Ah ! le fumier de lope ! Ce qu’il nous mijotait ! Mais courageux, le frère, ça…
Et c’est alors que je constate que Stefano est mort à son établi.
Bérurier explique.
— Il m’a demandé d’ouvrir la valise, du moins son double fond. Je la tenais devant lui. Il a alors plongé la main dedans, a ramassé le paquet de serpents et a voulu nous le flanquer contre. Heureusement, ces p’tits marrants s’sont tortillés à son bras dare-dare. On a z’eu l’temps d’se garer des taches. T’as pas été piqué, Félisque ?
— Les serpents ne piquent pas, ils mordent, rectifie le professeur à l’appendice surdéveloppé.
Le Valeureux ricane :
— J’sais pas s’y z’ont mordu ou piqué le Stefano, mais ç’a été sa fête.
— Bravo pour ta présence d’esprit, Gros. Reste à savoir qui, désormais, est en mesure de débrancher ma bombinette farceuse.
— Allô ! C’est bien à M. Konopoulos que j’ai l’honneur de parler ? articule Félix de sa voix professorale parfaitement articulée, pleine de points et de déliés, de virgules sous-jacentes aussi.
— En effet, qui est à l’appareil ?
— Je suis le chef du S.R. helvétique, Excellence, ment Félix (ment Félix, ment Félix, tsoin, tsoin !) avec un aplomb digne du fil en question. Il serait indispensable que nous nous rencontrions d’extrême urgence.
— Venez me rejoindre à l’Hôtel Intersidéral .
— Je préfère pas, Excellence. Je me trouve chez vous, à Bonraisin, et s’il vous était possible de venir…
— C’est que j’attends des gens de Paris, marmonne Konopoulos.
— Excellence, il s’agit, vous vous en doutez, de faits d’une gravité exceptionnelle et nous serions beaucoup mieux chez vous pour en débattre.
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