Je relourde et dégaine mon stylo-lampe de fouille. Bien qu’étroit, son faisceau est très intense.
La lumière qu’il dégage me permet de découvrir une théorie de cages superposées, comme chez les oiseleurs du quai de la Mégisserie. Et chacune d’elles est grouillante de souris blanches. Ce sont ces rongeurs qui puent. Je les passe en revue. Leurs petits yeux en forme de perles rouges se braquent sur le rayon lumineux de ma calbombe.
Je parcours tout le local lentement. Une drôle d’idée me zizille la pensarde. Une idée à moi, donc une bonne idée. Parvenu au fond du hangar, je balaie l’ensemble. Il serait mieux de donner la grande lumière, mais je préfère m’abstenir. Les deux occupants du pavillon ne projettent probablement pas de se pointer ici pour l’instant, mais sait-on jamais ?
Alors je visse l’extrémité de mon projo de poche afin que le rayon en soit plus diffus. Il me permet une vue plus générale des lieux. Chose marrante, c’est en le braquant sur le plafond que je pige ce qui me choque céans. Je te vas raconter ça, mon p’tit gars. Ce qui me chiffonne, c’est que les cages à souris ne sont pas plaquées contre le mur du fond, mais qu’elles occupent à peu près le milieu du hangar dans le sens de la longueur. Il reste un grand intervalle derrière. San-A réfléchit un grand coup, comme respire un pêcheur de perles avant de plonger, et tu sais quoi ? Il ressort de la construction.
La contourne.
Trouve ce qu’il pensait trouver, à savoir une petite porte toute neuve sur l’autre face.
« Ah ! Ah ! se dit-il familièrement, le commissaire. Je brûle ! »
Eh bien, zoui : il brûle, l’Antonio.
Dès qu’entré, il bute contre un long caisson métallique plaqué au dos des cages à souris. Imagine-toi deux caisses d’horloge bout à bout. Tu imagines ? Prends ton temps, tu sais, j’ai pas de lait sur le feu, depuis le temps que je rédige pour des attardés mentaux, je me suis confectionné une philo.
Le couvercle du long caisson est divisé en trois tronçons indépendants. Chacun d’eux est percé de petits trous pas plus grands que ceux d’une boîte à asticots. Mon guignol bat la chamalière. Je sais, par instinct divinatoire, ce que recèle ce caisson ! Des serpents ! les serpents.
Tout de suite j’ai su. Quand Mammie Saute-au-paf m’a annoncé que l’hôtesse du gars à l’imperméable blanc élevait des souris blanches. L’association s’est aussitôt opérée dans mon vaste esprit aéré. Souris : serpents ! La nourriture idéale des reptiles séjournant dans nos contrées barbares.
Chaque partie du couvercle ferme à l’aide d’un gros cadenas. Tant mieux. Domptant ma raie-pulsion, je m’agenouille devant l’immense bac, plaque mon visage contre le couvercle tandis que j’applique le faisceau de la lampe électrique sur les trous. Me faut du temps pour arriver à retapisser les occupants. Mais le regard de l’homme est un sifflet, pardon, qu’est-ce que je débloque, moi ! Le regard de l’homme est ainsi fait qu’il parvient à utiliser la plus légère fêlure, à se couler par les plus étroits orifices. Et nyctalope avec ça, mon cher ! Suraigu ! Acéré ! A serrer !
Ainsi donc, mon attention s’aiguisant, je finis par les voir, ces affreux reptiles. Un tas grand commak ! Ils sont là, quasi immobiles, lovés, enlacés ; par boisseaux, par écheveaux compacts. Mon effroi est tu sais quoi ? Devine ! Tu donnes ta langue ? Donne-la à la dame qui tient les gogues, là-bas, elle sait vaincre l’écœurement. Donc, que je finisse : mon effroi (mon nez froid) est indicible.
Je frissonne de la tête aux pinceaux, et des pieds à la tronche. Brrr, brrr, et brrrrrrrrrrrr ! Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes ! Pour Genève ! Ils vont pleuvoir sur la noble cité de Calvin (qu’a le vin gai), y semant la mort et la panique. Déjà, ce jour, à la réunion pétrolière ! Merde, qu’est-ce qui se goupille de carabiné ? Et comment se fait-il que Konopoulos bénéficie d’un magistral condé en Suisse ?
Un grand élan de solidarité m’empoigne par toutes les manettes.
Je dois détruire ces reptiles ! Et vite ! Stopper ces attentats au venin ! Enrayer coûte que coûte le fléau.
Oui, mais comment ? Prévenir la police ? Indiquer la réserve de serpents ? Et s’il y avait une fausse manœuvre ? Un manque de coordination ? Et si, et si, et si ?… En Helvétie plus qu’ailleurs, les droits du citoyen sont protégés et il est certain qu’avant de procéder à une perquise, tout un appareil légal doit fonctionner, qui risque d’alerter la bande…
Agis de ton propre chef, mon Grand. C’est ta vocation, l’initiative privée. T’as l’esprit commando de choc, biquet. Ne dévie pas de ta trajectoire.
Bon, alors quoi ? Comment ? Il faudrait un gaz, non ? Mais je n’en ai pas. Et pour l’injecter dans le caisson, ce serait tout un bigntz.
Alors la brave vieille méthode chère à Attila quand, avec les Huns et les autres, il rasait les contrées après son passage. Le feu ! Le bon vieux feu ! Ici, c’est fastoche avec toute cette paille. Et le hangar est en bois. Les serpents périront dans le caisson de métal chauffé au rouge.
Je retourne sur la partie face du hangar et entreprends d’ouvrir toutes les portes des cages à souris. Pourquoi faire cramer ces gentils mammifères ? Leur sort n’est déjà pas si enviable. Quand le feu se propagera, comment qu’elles mettront les adjas, ces demoiselles ! Maintenant, tu m’objecteras qu’un serpent a autant de droit à la vie qu’une souris blanche, à quoi je te répondrai : certes ! Mais colle une souris blanche et l’un de ces reptiles dans ton bénouze et tu verras la différence mieux encore que sur France-Inter .
Il s’agit de bouter le feu judicieusement. J’adore bouter. Je suis un bouteur né. Me voilà à confectionner des petites torches en paille. Je les allume consciencieusement, en soufflant dessus, bien que ça prenne. Et puis je les disperse dans le hangar. D’ensuite de quoi, je calte après avoir laissé les deux portes grandes ouvertes pour activer le tirage.
Un petit regard à la fenêtre, avant de me trisser. Le couple me paraît de plus en plus colmaté. En plein sirop ! La dame a défait le devant de son jean et se confectionne un solo de dito ; façon napolitain. O sole mio à la chaglatte ! Essayer c’est l’adopter. Le mec la contemple en souriant béatement.
Bon pied, mauvais œil, m’sieur-dame !
L’Antonio joli rallie sa bagnole. Me reste encore un bout avant de me faire enregistrer. L’aéroport n’est qu’à cinq minutes. Je prends place au volant et j’attends. J’avais remisé ma pompe dans une impasse obscure, à cent mètres du pavillon. Je distingue parfaitement celui-ci, de même que la construction qui le jouxte, comme on écrit puis dans les actes notariés.
Pendant un long moment, rien ne se produit. Je me demande si mes points de feu vont se transformer en incendie. Le feu, c’est capricieux. Quand tu ne t’y attends pas, il te saute dessus, et quand tu veux le faire prendre, huit fois sur dix, il pantelle et meurt. Pourtant, merde, de la paille sèche ! Ah ! Voilà. Une lueur. Une belle clarté dansante qui fulgure un instant. Pourvu que les voisins ne la remarquent pas trop vite ! Elle s’abaisse, comme si elle renonçait à se développer, et puis voilà qu’il s’en produit une seconde, ailleurs. Et encore d’autres. Les clartés se réunissent. On aperçoit des flammes, de vraies grandes belles flammes comme dans les films catastrophes. Et plaouffff un immense brasier soudain se constitue, qui s’élève victorieusement dans la nuit de velours. La brise l’active. Ça craque, pétille, flammèche ! Un beau régal. Dans un sens, on comprend les pyromanes. Dans leurs cerveaux rabougris, cette joie du feu, de leur feu. Ils en retirent une sorte d’orgueil, tu comprends ? Le considèrent comme une œuvre. Pour eux, c’est presque constructif.
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