On y va d’un pas qui se veut gaillard, mais l’impatience nous tenaille. Le temps qui nous a atrophiés, voilà la vérité. Nous sommes tellement pressés que nos déplacements ne peuvent en aucun cas s’accommoder des moyens naturels. A preuve : marcher a cessé d’être une fonction pour devenir un sport. Jogging ! On va marcher, comme on va faire du tennis ou du foute : tel jour, de telle heure à telle heure !
— Pourquoi qu’é sauterait, la planète ? murmure le Maître-Etalon, pas impressionné le moindre, mais simplement encuriosé.
— Je ne t’ai pas dit qu’elle sauterait, mais qu’elle allait être à feu et à sang.
— Comme d’habitude, philosophe mon pote. Ça crame toujours, de ci et là, et y a un peu partout des endroits où les mecs se trouent la paillasse.
— Cette fois, ça risque de devenir apocalyptique.
Trop essoufflé par la marche, et handicapé par sa blessure, il s’abstient de questionner davantage. Je devrais prendre les devants et l’affranchir, bien sûr, mais mon caberlot est trop mobilisé par l’affaire.
Comme nous abordons un virage en épingle à cheveux, une pétarade retentit, loin derrière nous. Je sonde le défilé et découvre la lumière louvoyante d’un phare.
— Une péteuse, hein ? jubile Béru.
— On dirait.
Qu’aussitôt nous nous disposons en travers de la route, bras écartés, afin d’intercepter le motocycliste. Ce dernier surgit bientôt, tassé sur une machine qui ne doit pas sortir de l’usine si j’en juge à son bruit et au noir nuage qui lui tire-bouchonne au fion.
Nos deux silhouettes blanches le perplexent. Il ralentit un peu, mais ne s’arrête pas, prêt à mettre les gaz en cas de danger.
— Hep ! señor ! lui crié-je, nous sommes en panne, pouvez-vous nous envoyer un garagiste ?
Rassuré, il stoppe.
— Où est votre voiture ? demande-t-il.
— Dans le virage.
— Et que faut-il faire ?
— Rien, dis-je en lui balançant un crochet à la pointe extrême du menton.
Bérurier qui sait tout, comprend tout, prévoit tout, retenait déjà la vieille moto. Le conducteur, un génaire du genre manar, avec une espèce de boîte à outils sur le porte-bagages, s’écroule sur son guidon. Je l’arrache à sa monture et vais le déposer de l’autre côté du talus. Après quoi, je tire de mes vagues une liasse de pesetas, fais une rapide surestimation de son bolide de merde et lui fourre la comptée entre ses doigts aussi ibériques que calleux. De toute façon, il la retrouvera, sa fougueuse.
— Il va falloir grimper à deux là-dessus, Gros.
Je me débarrasse de la blouse blanche et coiffe la gapette de velours marron du gonzier.
Cet engin à la noix dégage une telle fumaga que même s’il était piloté par la reine d’Angleterre en tenue de couronnement, on ne la reconnaîtrait pas.
Sa Majesté s’est juchée à la place de la boîte à outils.
— Fais gaffe aux ornières, me prie-t-il, c’te garcerie d’blessure me fait un mal de chien !
La péteuse fait quelques manières avant de consentir. Et puis repétarade.
On décarre mollo.
Nous retraversons Marbella sans encombre. Des flics patrouillent, mais ne nous accordent pas la moindre attention. Le tronçon de route menant au Fuente connaît sa circulation habituelle. Parvenu près du complexe hôtelier, je coupe les gaz et pousse notre véhicule en direction d’un chantier proche où je l’abandonne.
— On va profiter de ce que c’est l’heure du dîner pour regagner notre base, dis-je au Gros. Chacun prend un chemin différent, rancard chez la môme Véra, car nos propres appartements doivent renifler le roussi.
— Banco !
Je choisis l’itinéraire qui passe par la piscine, cependant que mon Triomphal opte pour une venelle ombreuse, bourrée d’escaliers de briques. Je siffle une très jolie chanson de Julot Iglésioche, que je me rappelle plus son titre, mais dedans ça parle, quoi : « Je t’aime, et je deviens dingue quand tu vas limer avec un autre », en gros, c’est le topo.
Je m’annonce peinardos chez ma mignonnette. Justement, y a du feu à l’intérieur, j’y vois par l’imposture du couloir. Alors je grattouille la lourde. Surtout pas sonner, au cas où. Simplement je fais des « tagada tsoin tsoin » avec deux doigts mutins. Au bout de très peu, la porte s’écarte et un grand type brun comme mon stylo Mont-Blanc me défrime en sourcillant épais comme le pauvre président Pompidou.
Moi, dans un laps de temps d’une étroitesse folle, j’ai le temps d’entrevoir l’essentiel, c’est-à-dire le cadavre de Véra, salement égorgée dans le couloir, avec une tripotée de flics, dont plusieurs en uniforme, autour. Alors là ! Alors là ! Mais tonnerre de Lorient (toujours de Brest, faut renouveler, non ?) c’est donc des baquets de scoumoune qu’on déverse à plaisir sur cette putain d’affaire ! Ça va s’arrêter quand t’est-ce, cette méchante malédiction inca, hmm ? Je te parie un scramasaxe bien affûté contre un couteau de cuisine ébréché que j’en aurai pour toute la journée. C’est un day pas comme les autres, glaireux, quoi ! T’as beau dire, faire, essayer, prier, tout foire. Tu crois échapper d’un piège, mais c’est pour tomber dans un autre encore plus merdique. Tu te laisses happer, tu te laisses happer !
Donc, je réalise l’atrocité de la scène, l’inconfort de ma nouvelle situation et je dis :
— C’est le garage Renault, je viens dire que l’auto est réparée.
Pas génial, mais si tu veux faire mieux, prends ma place, faut justement que j’aille chez le dentiste pour ma gingivite.
Le grand noircicot grogne :
— Oui, ça va, elle en a plus besoin de voiture !
Puis me reclaque la porte au nase. Je dévale l’escadrin.
Qu’à peine ai-je dévalé six marches, non, sept, j’entends la porte se rouvrir et il écrie :
— Hep, l’homme !
En espago, tu ne l’ignores pas puisque tout un chacun le sait, homme, ça se dit « ombré ». Alors, là, l’ombré, je m’en fais une tisane, crois-moi.
Je fonce dans la nuit. Que voici Messire le Grand Ecuyer de frais qui se la radinait en pavanant comme pour l’infante défunte.
— Taille-toi, grand con ! lui lancé-je.
Ça me galope aux chausses, trousses, fion.
Je biche la venelle déjà empruntée le matin.
— Vous savez que je vous attends toujours ! me roucoule une voix enchanteuse.
La gonzesse aux yeux verts qui prenait un bain de soleil sur son muret. A présent, elle s’offre un bain de lune.
Moi, tu verrais : hop ! Le grand steeple de James Hadley Chase ! Par-dessus le muret sans élan. Je m’allonge sur sa terrasse.
— Chut ! dis-je sans rentrer dans les détails.
Et advienne que pourra.
La horde débouche.
Une voix interpelle la môme pour si elle a aperçu un homme.
— Il courait comme un fou, assure-t-elle ; il a pris à gauche.
Mutcho merci, señorita ! Les pas se dispersent. Je mets mes mains derrière ma coiffe. La fille se penche. Elle porte une robe collée à elle comme une peau de dauphin à un dauphin. Noire, également, et aussi brillante. Mais par contre, fendue.
— Vous êtes un curieux personnage, déclare-t-elle d’une voix suave, exactement comme les héroïnes des films « B » quand elles ont une séance de vampage. Vous courez toujours, ou bien vous vous cachez ; seriez-vous un gangster ?
— Pas le moins du monde, rétorqué-je avec un sourire qu’éclaire majestueusement la lumière en provenance du salon.
— Dommage, c’eût été plus excitant.
— On peut faire sans, je lui affirme.
— Vous croyez ? elle insiste en s’accroupissant près de moi, de telle manière qu’il m’est loisible de constater qu’elle ne porte pas de slip.
Читать дальше