Et je l’entends qui s’ablutionne dans les grandes largeurs, mais l’eau fraîche n’est qu’illusoire dans ces cas-là ! Faudrait de l’émollient, de l’onctueux. Elle sait une pommade miracle, Rosette, qu’elle ira chercher à la pharmacie de l’hosto pour bien se beurrer la tartine à tête reposée. Tiens, elle y va de ce pas ! Sa culotte ! Seigneur ! dans quel triste état la lui ai-je mise !
Comme quoi le dévergondage engendre des frais. Elle avait pas prévu ma mignonne branlette à son budjet, Rosita. J’écris budget avec un « j » parce qu’elle est espingotte, façon de l’honorer, tu comprends ?
Elle se la renfile comme elle peut, mais ça pendouille, ça festonne. Dessous de violée, deux sous de violettes ! Pauvre âme ! Toutes les âmes ont un cul, n’oublie jamais cela, fiston. C’est Sanantonio qui te le dit. Toutes les âmes ont un cul, et également un frifri ou une bite : les saints, les présidents, les Miss Monde, les Esquimaux, les grands romanciers, les manars, Einstein, Dupont, Canuet, toi, moi, une âme et un cul, entremêlés solide, imbriqués, indémêlables. Une âme et un cul, l’un faisant toujours contrepoids à l’autre et visse Versailles. Quand tu as bien pigé cette réalité, tu peux t’en aller à travers la vie, le cœur tranquille et la queue à la main.
Rosita jette un œil professionnel à l’agonisante, puis sort rapidos.
Je ne perçois plus que le bruit de succion de l’inhalateur d’induction tierce.
Et la lourde s’écarte doucette. De mon poste d’observance, j’avise des jambes de femme, gainées de nylon comme il est toujours indiqué dans les bouquins plus mauvais que les miens, et même parfois dans certains meilleurs. Le bas d’une blouse blanche. Une infirmière vient remplacer Rosita tandis qu’elle se vaseline la case départ. Ladite s’approche du lit. Froissement d’étoffe. Je repte pour me dégager la tronche de sous le lit qui m’abrite. En effet, il s’agit d’une infirmière. Elle est occupée à faire une piqûre à la mourante. Je la vois de profil, mais ça me permet de l’identifier tout de même.
Alors je me dertulure et fonce à la porte, feu en main.
La gonzesse tressaille et arrache son aiguille. Sa seringue est vide. Gagné ! Effectivement, la mourante ouvre lentement la bouche afin d’exhaler un dernier soupir grand format pour solde et liquidation du compte.
— Vous vous êtes laissée piéger pour pas grand-chose, déclaré-je, car de toute manière elle était râpée et n’aurait pas repris connaissance.
La fille reste très calme. Pas bravache ni craintive. Elle jette sa seringue désormais inutile dans le seau à déchets.
— Commissaire, vous êtes flic, pas tueur à gages ; je ne vous menace pas, donc vous n’avez aucune raison de tirer sur une faible femme. D’autre part nous nous trouvons en Espagne et non en France, vos fonctions sont ici sans effet. De plus, pour en finir avec mes arguments, sachez que je ne suis pas seule ici ; mais alors pas seule du tout.
— Conclusion ?
— Conclusion, je retourne à mes moutons, vous à vos poulets et tout est bien qui finit bien.
— Vous venez de commettre un assassinat, dis-je ; devant moi. Il n’est pas besoin d’être espagnol pour porter témoignage d’un crime dans ce pays.
Elle sourit. Dieu qu’elle est ravissante. Et comme on lui donnerait le non-lieu sans confection.
— Conclusion ? me parodie-t-elle.
On joue « Parodie perdue » à guichet fermé, dans ce merveilleux patelin.
— Conclusion, j’appelle la police et tout se fait par les voies légales.
— Grand idiot, qui donc tient un revolver ? Si je me mets à hurler au secours, c’est vous qu’on inquiétera.
Petite garce, va. Foutue salopiote ! Elle est de ces nanas qu’aucun argument normal ne saurait circonvenir.
Rosita resurgit, d’une démarche plus souple. Sa pommade miracle lui a redonné son aisance de vieille fille.
— Ah ! vous êtes revenu, dit-elle, étant de ces gens qui se complaisent à reconnaître les évidences.
Puis, souriant à ma camarade :
— Salut, vous êtes une nouvelle ?
— Nouvelle et provisoire, assuré-je en filant un fulgurant coup de crosse sur la tempe d’Emily. Ah ! oui, parce que je ne t’avais pas encore révélé qu’il s’agissait d’Emily, la fausse fifille de feu Sliffer (à repasser, et il le fut).
La gosse s’abat d’un bloc.
A la vue, ou au vu (tu choisis, c’est tout bon) du pistolet et de mon acte, Rosita pousse une longue plainte de renarde accrochée par une patte antérieure au grillage du poulailler, et va perdre connaissance sur le lit de mes attouchements.
« Fort bien, forban, me dis-je en aparté et familièrement, tu vas donc devoir prendre une décision urgente, car il suffit d’un rien pour que ça tourne au caca. Tu contrôles la situation pour très peu de temps. »
Manière de m’aérer les méninges, je m’approche de la fenêtre.
La Providence, cette chérie bienveillante avait fait le reste.
Guignant dans le couloir, je vois se la radiner mon cher Bérurier, cet être toujours providentiel et combien d’exception, auquel je dois beaucoup dont une partie de mes droits d’auteur.
Il vient à moi de sa belle démarche de roi fainéant en congé de maladie.
— Une chance que cette fenêtre donnât sur la rue, lui dis-je, et que tu eusses la noble idée de lever la tête.
— T’as du neuf ?
— De l’extra, pas encore emballé. Mais ça urge. Je t’accorde dix minutes pour me trouver une ambulance, deux blouses blanches et un brancard. Tu revêts l’une des blouses, tu laisses l’ambulance devant le perron et tu te pointes avec le brancard et la seconde blouse. Gaffe-toi, il y a des méchants dans le secteur.
— J’les ai déjà r’tapissés, sourit le Magnifique : y sont dans la strasse, au volant d’une tire amerloque et y z’attendent. Y sont trois. T’en as un qu’est sorti et qui grille une cousue, acculé su’ l’capot, tu dois pouvoir les mater d’ta fenêt’.
— Merci du tuyau ; file. On joue la montre !
Il a son rire plein de noirs créneaux car il manque toujours quelques ratiches à son damier, ce qui ajoute beaucoup à la personnalité de l’homme. Son gros cul se balance dans le couloir. Il salue bas une religieuse chenue qui paraît sur le point de s’envoler, sa cornette battant des ailes dans le courant d’air.
Cher Alexandre-Benoît Bérurier, si simple et si complet. Monolithique, disponible, fort, bon, à la connerie flamboyante comme le parvis d’une cathédrale gothique. Ami à toutes épreuves, surtout aux pires. Paysan rusé. A l’abri de sa certitude heureuse, de sa force taurine, de ses sentiments frustes. Dépenaillé, mais avec une certaine grandeur. Gargantua, Falstaff. Toujours en équilibre entre Labiche et la tragédie grecque cradingue, mais c’est beau la crasse ; quand elle est souveraine : vois Venise et tu comprendras.
Il va son chemin de laboureur, Alexandre-Benoît, d’une démarche lente et sûre. La vie est un grand champ fumant qu’il écrase de ses semelles et jalonne de ses étrons. Il a l’apothéose du couchant pour but et rien ne saurait le contraindre ni freiner son élan. Il relève de Denis Papin, car il est à vapeur, cet homme-ouragan. Sa vie chauffe son sang, lequel actionne ses pistons. Bouffant, baisant, cognant, riant, pleurant de tendresse, tel est mon frangin à mise repoussante.
Il me plaît de le rappeler à cet instant de l’action, au moment où tout va se dénouer superbement, je te promets, et que si par hasard tu es déçu, va voir chez Robbe-Grillet si j’y suis, ce qui m’étonnerait, mais sait-on jamais ? Il en faut pour tous les goûts. Moi, je travaille dans le cornet de frites et le beignet aux pommes, d’autres dans le foie gras, d’autres encore dans la diététique, chacun son étal, sa petite boutique, sa clientèle, ses prix. T’en as qu’ont les prix Goncourt, moi j’ai les prix modiques, bas de gamme. Je suis la 2 CV de la littérature. Inusable, tout-terrain, ça ne va pas vite, mais ça arrive et j’ai connu des Rolls à problèmes. Nous autres, on est la voiture des commissions. Celle dont on n’est pas fier, mais dont on se sert le plus. Tu nous abaisses le siège arrière et nous voici fourgonnette. Et puis, franchement, on se revend bien. Tu perds moins sur un Antonio que sur le livre de m’sieur Schumann par exemple. On a une marge bénéficiaire minime, mais on s’en tire par la quantité. On est les grandes surfaces de la bouquinerie, quoi ! Et aussi le fonds de roulement de nos potes libraires. Je pavane pas : j’essaie de me réconforter l’orgueil.
Читать дальше