Trois phrases concises, et même circoncises, afin de leur résumer la situasse, et nous nous lançons courageusement dans l’héroïque aventure.
Une haie d’épineux isole la propriété du bord de mer. Une porte hérissée de piquants (métalliques ceux-là) y a été ménagée. Fermée à clé, mais bagatelle ! Nous remontons une pelouse en pente, en suivant les lacets savamment élaborés d’un sentier asphalté de rose.
Une piscine à la découpe fantoche mire le ciel bleu dans son eau bleue, si bien que ça ne représente rien, comprends-tu ?
Une terrasse aux dalles blondes. Une porte-fenêtre entre-bâillée. Quelqu’un nous a vus surviendre, comme dirait le Gravos, car ledit se présente à nous, d’une malgraciance carabinée.
— Ici, c’est une propriété privée ! fait l’homme en espagnol ; et il aurait tort de s’en priver vu qu’il parle couramment ce dialecte.
— Elle a bien raison de l’être, assuré-je sans m’émouvoir, car il serait dommage de livrer une maison de cette classe au grand public.
Et nous continuons d’avancer.
Notre interlocuteur porte une livrée : pantalon noir, veste à la russe dans les tons kaki. Très brun, l’œil étincelant d’Espagne.
— Qui demandez-vous ? questionne le vaillant Ibérique en bombant le torse.
— Mme Kaufmann, une amie à nous.
— Il n’y a personne de ce nom ici, disparaissez immédiatement !
Qu’à peine a-t-il achevé, je lui cloque une manchette de parachutiste japonais sur la glotte.
— Pour t’apprendre à mentir, petit vilain ! lui dis-je tandis qu’il se plie comme un mètre de charpentier avant de se déposer sur les dalles blondes de la terrasse, terrassé, donc !
On l’enjambe.
On pénètre dans la demeure luxueuse, très vaste, de plain-pied, avec un bout d’étage dans la toiture ; juste pour dire.
Immense salon, moderne : laqué, chinoisé, richement con, glandu. Je hais.
Vide !
Nous le traversons et déboulons sur le devant de la crèche. Une Bentley lie-de-vin est en train de manœuvrer sur la partie parking pour s’esbigner. On se précipite. A son bord : Mme Kaufmann, un petit bonhomme très âgé, à barbe blanche, le teint bistre. Au volant, le grand blondasse loqué de bleu qu’il m’a été donné d’apercevoir au moment où la foule s’est prosternée sous les hélicoptères.
Nous nous tenons devant la tomobile, faisant de grands signes croisés pour lui intimer de stopper. Mais tu crois que ?
Fume !
Le conducteur champignonne à bloc, la caisse a un rush et emplâtre notre pote Equal.
Je n’ai eu que le temps de me propager de côté, l’aile avant me frotte le genou au passage, ce qui me déséquilibre, moi qui suis un homme tellement équilibré !
Béru, pour sa part, se trouvait hors champ.
— Vachards ! hurle-t-il.
Et de dégainer sa rapière. Il praline : tchloff ! tchloff ! L’emmerde, c’est que nos feux sont équipés de silencieux.
C’est pratique parce que ça ne dérange personne quand tu défourailles au cinéma, par contre ça t’enlève de la précision. Les deux quetsches vaporisées par Béru se fichent, l’une dans le coffre, l’autre dans la lunette arrière qui s’anéantit. J’ai le temps d’apercevoir la face large de chère Daisy qui nous regarde par l’ouverture, et aussi une espèce de petit dôme blanc qui pourrait fort bien être celui d’une cage à oiseaux.
La Bentley disparaît à travers les plantations. Je fonce au parking où se trouve une petite Audi, mais la clé de contact n’est pas au tableau de bord. Je fouille la boîte à gants, pour si des fois : hélas non. Alors, rageur, je m’en extrais pour rejoindre Béru au chevet de Walti.
Notre ami noir est devenu d’un vilain gris. Il a les yeux mi-clos, la bouche entrouverte.
— C’est grave ? demandé-je à mon pote.
— Nazé de première. Les roues gauches y ont éclaté la cage toromachique. Un brin de côte lu aura transpercé le guignol biscotte il a été scrafé net.
Une profonde tristesse me point. Il était beau et sympa, ce grand Noir. Ses lunettes cerclées d’or n’ont même pas été brisées par l’impact et continuent de donner à son beau visage l’air d’être vivant.
Si ce qu’il m’a révélé est vrai, il est mort d’avoir trop aimé son job, Walti. Un acharné. Il en voulait.
Je récupère son feu extra-plat, une arme terriblement efficace, dernier cri, qui tire des balles explosives capables de démanteler la ligne bleue des Vosges. Du temps que j’y suis, j’explore toutes ses poches. Effectivement, je dégauchis sa carte électronique flatulée de la C.I.A., preuve manifeste qu’il ne m’a pas berluré.
Un coup de feu claque, très sec, et une gerbe de gravier me fouette le dos. Ça provient de la maison.
— Planquons-nous, Gros !
On roule derrière des massifs de fleurs tandis que d’autres bastos pleuvent. Il y a un seul tireur, et c’est pas Buffalo Bill. Ce petit téméraire ne serait même pas fichu de fracasser une pipe en terre (qui se dit également pie-panthère).
Manière de le situer mieux, j’ôte l’un de mes mocassins (celui que tu voudras) et le lance à quelques mètres plus à droite. Aussitôt, le larbin que j’ai foudroyé en arrivant bondit hors de la maison et se met à défourailler. Moi, tu me connais ? Nanti, comme ils disent dans la haute finance, de la seringue à Equal, je vise soigneusement son arme et je presse suavement la détente de la mienne.
La vaca ! Si je m’attendais !
Dis, il a plus de main, le larbinuche flingueur, tout à coup. Il est moignon tout plein ! Il a exécuté une cabriole de chamois sentant venir l’avalanche sous ses pattounes et se tient adossé à la façade de la maison, tout glandu, à mater le vilain bouillonnement rouge qui dorénavant lui tient lieu de dextre (ce qu’il a bien fait de ne pas défourailler avec les deux pognes, comme on t’enseigne dans les stands de tir, entre nous soit dit).
Je me relève, m’époussette l’élégance et rabats vers cézigue.
— C’est bien pour dire de foutre son Noël en l’air, dis-je à l’Espanche. Suppose que ta chère et tendre t’ait déjà acheté une paire de gants, vous aurez l’air malin !
Bérurier qui vient de nous rejoindre, ajoute finement :
— Au cas qu’tu jouerais du tambour, faudrait t’rabatt’ sur la grosse caisse, mec.
Je les laisse converser pour visiter la demeure. Je trouve une grosse femme boulotte à l’orée de la cuisine, l’épouse du larbin, je vais l’apprendre incontinent. Sa belle moustache tremble d’émotion et sa poitrine, pareille à deux avant-scènes de la Scala, est agitée d’un mouvement ascensionnel et descensionnel précipité.
— Il y a encore quelqu’un dans la maison ? je lui demande en lui faisant respirer le flacon de parfum que je tiens par la crosse.
Elle louche sur le goulot, redoutant la sortie de quelque petit oiseau pas gentil.
— Il y a mademoiselle.
— Où est-elle ?
— En haut !
Jugeant cette doudoune affolée inoffensive, j’escalade l’escadrin menant à l’étage.
On a aménagé, t’ai-je dit, un appartement dans le toit. Juste une vaste pièce flanquée d’une salle de bains et d’un dressing-room.
La pièce est divisée en deux parties : chambre et salon. Dans cette deuxième, je fais la connaissance d’une petite créature malingre, enchâssée dans une chaise d’infirme comme une opale dans son chaton, et si je la compare à une opale, c’est qu’elle en a le teint.
Elle porte une robasse de vilain lainage pisseux, est coiffée en paquet de cresson ; et son nez en pied de samovar supporte des lunettes de myope aux verres tellement épais qu’ils ressemblent à deux loupes presse-papiers.
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