Les résultats de la balistique corroboraient cette piste. D’après l’expertise, l’arme du crime, de calibre .44, était probablement issue du lot de Smith & Wesson détourné quinze jours plus tôt au Pays basque espagnol.
Suite à cette annonce, des unités spéciales avaient été mises en place sous le haut commandement du préfet Basillac. Le crime n’avait pas été revendiqué mais on suspectait en priorité l’amitié basco-bretonne et les ramifications entre groupuscules régionalistes extrémistes insoumis à l’autorité de l’État. Le plus intrigant provenait cependant de la balle mortelle : elle avait été percée en son centre, dans le sens de la longueur, probablement par un foret.
À quelle fin ? Le rapport ne le signalait pas.
Rien n’avait été volé, aucun signe d’effraction, juste un impact de balle dans une fenêtre et des éclats de verre par terre…
*
Un groupe de noctambules se dirigeait vers le haut des Lices et les bars de nuit adjacents. La pluie tombait sur la rue Duguesclin quand Mc Cash leva les yeux : la fenêtre du député se situait au deuxième étage et selon l’angle de tir de l’expertise, le tueur devait se trouver approximativement ici, au milieu de la rue, bras tendu dans un angle de 45° afin d’atteindre sa cible… Un vrai travail d’amateur, mais un sacré bon tireur…
Le policier composa le code d’accès et grimpa au troisième étage. Pas un bruit sur le palier. Après un moment d’hésitation, il décida de s’introduire par effraction chez Le Cairan afin de chercher un moyen de le joindre plutôt que de demander une commission rogatoire pour perquisitionner : la commissaire avait d’autres lièvres et il fallait qu’il réponde à sa nouvelle liste, écrite sur son carnet rouge.
« 1. Le Cairan est-il parti en vacances comme le prétend sa voisine ?
2. Est-il rentré chez lui samedi soir ?
3. Si oui, a-t-il vu quelque chose ayant rapport au meurtre du député ?
4. Dans ce cas, pourquoi ne répond-il pas à l’appel à témoins ? »
Rodé aux délits mineurs, l’Irlandais n’eut aucun mal à forcer la porte de l’appartement — la serrure était d’un modèle courant et le locataire n’avait pas fermé à clé.
Le voisin du député habitait un petit deux-pièces « avec poutres », soit quarante mètres carrés répartis en une grande cuisine mal épongée et une chambre non rangée. Rapide panoramique sur la cuisine : un vieux fauteuil, trois chaises dépareillées, une table de bois miteuse, une étagère où trônait une batterie de verres à vin, seuls survivants d’une vaisselle ébréchée à coups de canons. Par terre, du linoléum. Rien d’original, pourtant Mc Cash ressentit un étrange pressentiment. Les choses étaient à leur place sans vraiment l’être, comme un manque d’harmonie… Dans l’entrée, une glace poussiéreuse où il croisa son visage émacié. Scotchée à la porte, la couverture d’un vieux Paris-Match où Michel Sardou pleurait la mort de sa mère, un micro à la main, avec la légende « maman ce soir c’est pour toi que je chante ». Mc Cash poussa la porte de la chambre. Le lit était défait ; des vêtements traînaient sur la moquette, des livres, des papiers, le tout éparpillé aux quatre coins de la pièce. Petit picotement dans le cœur. Cette fois-ci, c’était plus qu’une impression : l’appartement avait été fouillé.
Les types de la DST ? Pour quel motif ? Quelqu’un était venu ici, quelqu’un qui cherchait quelque chose. Quoi ? Dans un tiroir de la table de nuit, un couteau à cran d’arrêt. La lame était comme neuve. Sur le bureau, un sachet de cannabis. Il sentit. De la locale. Laissa. Continua à fouiller. Dans un placard, la télé : petite, grosse, sale, couleur. Par terre, un vieux magnétoscope, branché. Mc Cash s’agenouilla et jeta un œil aux papiers répandus sur la moquette. Courriers bancaires, rappels d’amendes impayées concernant une 504 Peugeot, convocation à la CAF pour des documents manquants, on trouvait un peu de tout. Il remarqua alors les lettres éparpillées alentour : des lettres manuscrites. Les formes étaient variées mais l’écriture identique. Toutes signées « Alice ».
Le borgne en parcourut quelques-unes et, n’y comprenant rien ou presque, abandonna : il venait de repérer la pile de magazines sous le bureau. Des exemplaires invendus, visiblement. Il en prit un au hasard, lut le titre, L’Ankou Magazine , et commença à se sentir vraiment agacé. Enfin, il trouva deux sacs de voyage, renversés derrière la porte. L’un d’eux abritait encore une culotte. Une petite culotte. Des affaires d’été gisaient là, comme si on les avait vidés. Parmi elle, un passeport. Si Le Cairan était parti en vacances, il n’avait pas quitté la France.
*
La vieille dame qui partageait le deuxième étage avec le député Rogemoux n’apporta guère plus d’éléments ; selon elle, le « pauvre monsieur Rogemoux » était un homme « courtois » pour ne pas dire « parfaitement bien élevé », et sa femme très « comme il faut ». Mc Cash prit congé.
La petite machine de guerre mise en place par le policier commença à donner ses premiers résultats : grâce à des pratiques courantes quoique illégales, il eut d’abord accès au compte courant de Le Cairan. Après examen des dépenses, il apprit que celui-ci avait retiré de l’argent avec sa carte bleue au Crédit Agricole de Cancale, le samedi du meurtre, à 17 h 42. Somme retirée : cinquante euros.
De lui, Mc Cash savait peu de chose, sinon qu’il partageait un courrier impressionnant avec une certaine Alice, laquelle semblait fournir l’essentiel des photos parues dans L’Ankou Magazine . Alice Arbizu — il avait lu son nom dans l’ours du canard.
Arbizu. Un nom basque. Comme la piste du préfet. Une fille, comme la propriétaire du petit sac de sport : c’était un peu maigre mais après un supplément d’information via ses réseaux illégaux, la nouvelle tomba sur son neuroscripteur : Alice Arbizu était avec Frédéric Le Cairan. (Distributeur du Crédit Agricole de Cancale, samedi 16 juin, 17 h 43. Somme retirée : cent euros.)
Puisque Le Cairan ne semblait plus utiliser sa carte bleue depuis son retrait à Cancale, Mc Cash fit vérifier les dépenses de la fille : ainsi on retrouva vite sa trace, d’abord à la station-service Total, le 30, puis à la poissonnerie « L’arrivage » de Saint-Renan (le 2 juillet), enfin à la Caisse d’Épargne du Conquet (le 4 — retrait d’argent liquide au guichet : cinq cents euros).
Saint-Renan, Le Conquet : la pointe du Finistère Nord. Ils traînaient peut-être encore dans les environs… Mc Cash partit en chasse, un jeudi.
*
Quelques moulins à vent à la retraite paissaient sur le bassin de l’Ildut.
La Safrane passa le Manoir de Goulven, pittoresque construction tassée sous un toit de mousse dont la particularité consistait en un profond dégueuloir où la jet-set seigneuriale venait jadis se soulager lors des fêtes, avant d’atteindre la route de Pen-ar-ménez qui menait au hameau de Tréganaet. Le bourg de Locmaria-Plouzané se situait juste après.
La petite ville du Conquet appartenant à la communauté de communes du pays d’Iroise, Mc Cash avait commencé par demander aux gendarmes des environs de le renseigner sur la présence d’une 504 bleu métallisé immatriculée 6667ND35 dans la région. Il poursuivait ses recherches de son côté quand la nouvelle tomba, soudaine, un samedi matin : le garagiste d’un village voisin affirmait qu’une 504 répondant au signalement était bien en réparation chez lui… Il fonça.
Les fanions ballaient mollement dans l’azur : Mc Cash se gara devant les pompes. Le garagiste bricolait à l’atelier, penché sur un moteur. C’était un petit homme sec au nez aquilin, de la limaille de fer sur le bleu de travail.
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