Elle vint s’asseoir à son côté, gauchement.
Il se leva et la renversa d’une double pression sur les épaules. Hermance resta étendue, les bras en croix, les jambes pendantes. Ses gros seins aplatis par sa position composaient sur son buste une masse informe et tremblotante.
Yvrard lui écarta les jambes. Elle résista un peu avant de céder complètement. Il considéra d’un regard victorieux le renflement du sexe aux grosses lèvres pareilles à des sillons de labour récent. Ce qui importait à Léon, c’était cela : sa belle-mère renversée et offerte. Dans le fond, il n’avait jamais rêvé d’elle plus avant. Son total consentement lui suffisait.
Il avança la main pour caresser les fortes cuisses ; il sentit sur l’une d’elles une espèce de rugosité velue.
— Vous touchez ma plaque, murmura-t-elle. J’ai là comme un morceau de pelage de fauve ; c’est de naissance.
Léon en éprouva un grand écœurement et sut qu’il ne pourrait jamais lui faire l’amour. Il se maudissait pour son entreprise audacieuse, la jugeait brusquement basse et dégradante. Sa répulsion facilitait ses remords.
Il prodigua quelques caresses à Hermance qui jugea aussitôt qu’elles étaient forcées. Au bout d’un long moment triste, elle resserra ses jambes et dit :
— Je crois qu’il vaut mieux pas, Léon.
Il fut soulagé que le constat d’échec vienne d’elle.
Léon s’arrêta au fond de la salle pour s’imprégner du spectacle, car la répétition en était un !
L’îlot du pupitre aux deux réflecteurs l’émut et il éprouva une joie capiteuse. Il voyait l’ombre chinoise de Jean-Louis Pascal, immobile devant son bloc-notes, l’alignée de bouteilles d’eau (aujourd’hui, « l’Illustre » avait élu Volvic), la silhouette penchée de Boris, la tête soutenue par ses deux poings, comme chaque fois que les choses allaient mal. L’une des lampes au pied flexible éclairait en partie son visage de médaille. Le nez aigu, la bouche dure, le menton déterminé se découpaient fortement sur la ténèbre ambiante. S’il ne voyait pas l’œil de Boris, Léon en devinait l’éclat.
Il s’avança sur la pointe des pieds, n’osant troubler la méditation de son ami en s’approchant trop près et posa une fesse sur un fauteuil en bord de travée.
Sur la scène, trois personnes : le père, la mère, la fille . Geneviève Valéry « donnait » sa scène, sa fameuse, sa terrible scène. On comprenait qu’elle y consacrait toute son âme en s’efforçant de mettre en application les directives de Lassef.
Boris tâtonna, sans cesser de fixer les acteurs, s’empara d’une bouteille vide et, ainsi qu’il lui arrivait de faire dans les cas urgents, se mit à pisser dedans. Accaparé par la scène, il ne cherchait pas à atténuer l’impétuosité de son émission et son pissat produisait un drôle de bruit d’étable.
Lorsqu’il se fut soulagé, il revissa le bouchon de la bouteille de plastique et la déposa sous le pupitre. Geneviève Valéry termina sa tirade.
La « mère » enchaîna :
— « Ma pauvre petite, tu ne peux pas comprendre ! »
— Bon ! lança fortement Lassef. Je vous remercie.
Il resta quelques instants lointain, désabusé.
Puis s’inclinant en direction de Pascal :
— Tu penses comme moi, Jean-Louis ?
— Oui, patron.
Alors « l’Illustre » se dressa pour gagner le praticable. Il en gravit les marches comme les degrés d’un échafaud.
— Bon, psalmodiait-il. Bien !… Oui…
Il rejoignit les trois comédiens.
— Toi, Armande, on y est presque… Ça manque encore de rébellion intérieure. Tu en veux à ton mari de la détresse de votre fille, mais tu l’exprimes encore au stabilo Boss, il va falloir travailler le trait, l’affiner. Passons… Tu peux rentrer chez toi. Merci d’être venus répéter en catastrophe, vous êtes tous des amours. Tu peux te tailler aussi, fit-il à sa doublure.
— Moi, je reste pour entendre la suite, n’est-ce pas ? demanda Geneviève Valéry.
Boris opina. Il attendit que les deux autres fussent partis, assis à califourchon sur une chaise de fortune qui n’appartiendrait pas au véritable décor.
Il soupira :
— Je te demande pardon, petite, de t’avoir fait lanterner, mais tu ne seras jamais MON personnage. Si j’insistais davantage, on irait droit à la cata.
Elle eut un haussement d’épaules fataliste.
— Dommage, fit-elle, j’aurais tellement voulu vous apporter une satisfaction « aujourd’hui ».
— T’inquiète pas de ça : rien à voir. Tu vas régler les détails administratifs avec Jean-Louis. Ne joue pas les princesses outragées : tu fais un métier, tu dois en respecter les règles, les lois, les usages… Perçois ton dû, ce sera de ta part de la modestie, et Dieu sait s’il faut être modeste dans notre putain de profession !
Il ajouta, baissant le ton :
— Le jour est mal choisi pour te dire ça, mais j’aimerais te revoir ; quelque chose en toi sonne juste, donne-moi ton téléphone pour que je puisse t’appeler sans passer par le fichier de Pascal.
Elle lui écrivit ses coordonnées sur une petite feuille périmée de son agenda. Elle ne devait pas surmener ce dernier car la page était entièrement blanche. Quand elle la lui tendit, il n’y jeta pas un regard, la plia en quatre et l’enfouit à la diable dans la poche intérieure de son blouson.
— T’inquiète pas, la rassura Boris, tout ce qui se trouve là-dedans est sacré ; je ne perds jamais rien, mon désordre est rigoureux.
Il l’embrassa sur la bouche et lui caressa la chatte à travers sa jupe-culotte, moins par polissonnerie que pour sceller une obscure promesse.
* * *
— On va bouffer à la maison, décida Boris, ça la foutrait mal si on me voyait au restaurant le soir de l’enterrement de ma femme ; je dois penser à mon standing !
Il rit. Depuis longtemps il s’était débarrassé de sa cravate noire, dont une extrémité pendait de la boîte à gants.
Ils s’arrêtèrent chez un grand traiteur où Lassef aimait faire des achats. L’homme l’accueillit avec onction et se crut obligé de se confondre en condoléances, ce qui agaça beaucoup Boris. Comme il s’obstinait, Léon lui chuchota à l’oreille de changer de sujet ; il avait un peu honte de cette compassion imméritée.
Les deux amis achetèrent des entrées raffinées et un poulet froid en gelée décoré de feuilles d’estragon et de tranches de carottes découpées en forme de fleurs. Ils choisirent pour dessert une glace aux marrons accompagnée de macarons croustillants. Bien qu’il eût, boulevard Richard-Wallace, une cave bien garnie (Léon y veillait), Lassef décida l’achat d’un magnum de Dom Pérignon.
— Qu’allons-nous boire pendant qu’il se frappera ? demanda Yvrard.
Les deux hommes se donnaient l’impression d’être en vacances, et ce jour de funérailles s’achevait en « enterrement de vie de garçon », dans une allégresse un peu canaille.
En remontant du parking où ils venaient de remiser la Volvo, Boris déclara :
— Je suis heureux d’avoir liquidé la petite Valéry, voilà une bonne chose de faite. Et toi, l’installation de la famille ?
— J’ai failli baiser ma belle-mère, annonça Léon.
— Sympa, pouffa Boris. Mais pourquoi « failli », elle a demandé grâce ?
Yvrard lui raconta l’histoire de son fantasme et de la blouse blanche, parla du détail de « la plaque de pelage », de sa panique et de la magnanimité d’Hermance.
— Tu rentres donc avec la bite sous le bras, fit Lassef. Je connais ce genre de déconvenue cuisante ; l’homme s’en trouve fortifié en fin de compte, car il y a de la veulerie dans l’assouvissement.
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