Au fait, cette orthographe prouve que si les troubadours utilisaient très peu le latin pour décider de l’orthographe, ils en possédaient tout de même quelques notions. On sous-estime toujours les saltimbanques !
47. POURQUOI LA COULEUR VERTE A-T-ELLE FAILLI NOUS RENDRE CHÈVRE ?
Pour que nous soyons verts de peur !
Le d final latin tend à se prononcer t . Logique avec lui-même, Grégoire de Tours, évêque et historien du VI e siècle, est le premier à remplacer dans ses manuscrits ces d par des t . Les copistes et scribes postérieurs l’imitent en cela. Les mots latins quando, lardu, tardu, viride, de unde et frigidus se prononçaient et s’écrivaient au Moyen Âge : quant, lart, tart, vert, dont, froit . Plus tard, lorsque les fins de mots tombèrent de notre prononciation, on en a profité pour rétablir certains d d’origine latine : « quand », « lard », « tard » et « froid ». Deux exceptions : « dont », et un mot qui multipliera les allers et retours : « vert ».
Étymologiquement, nous devrions mettre un d ( viride ) à « vert », mais au féminin, nous prononçons verte . Origine d’un drame cornélien ! En 1549, Robert Estienne écrit verd et verte au féminin. Dans les trois premières éditions de son Dictionnaire , l’Académie accepte verd, vert et verte . Lors de sa quatrième, elle écrit vert et verte . Ses cinquième, sixième et septième éditions acceptent à nouveau verd à côté de vert et verte . Elle tranche définitivement lors de sa huitième (1935) pour « vert » et « verte ». Notre envie de coller au latin viride en contradiction avec la prononciation du féminin explique ces hésitations.
Il est clair que si les partisans d’une écriture phonétique l’avaient emporté, la question ne se serait jamais posée. Tous ceux qui aiment se promener dans les méandres de notre orthographe l’admettent : c’est un miracle que d’avoir résolu tant de casse-tête orthographiques et que tout le monde s’accorde aujourd’hui sur la manière d’écrire « vert » !
48. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « QUANT » ET « QUAND » ?
Parce que l’enfer est pavé de bonnes intentions.
L’utilisation que nos moines faisaient du latin partait souvent d’une bonne intention. Par exemple, en latin, quando signifie « quand » et quantum , qui a donné notre « quant », « combien ». Au XI e siècle, notre « quand » s’écrivait quant . Ce n’est qu’au XIV e siècle que nous aurons l’idée de mettre un d en souvenir des Romains et pour éviter de les confondre.
Beaucoup de personnes hésitent sur l’orthographe de « quand » dans la phrase : « Quand arrive-t-il ? » parce que les juristes ont voulu nous aider à ne pas confondre ! Ça a quelque chose de touchant ! Non ?
49. POURQUOI AVONS-NOUS FAILLI METTRE UN M AU PRONOM « ON » ?
Parce qu’ils savaient que « on » est un c… !
Le m final latin est souvent devenu n . Nos troubadours écrivaient non notre « nom » : cette orthographe n’a pas perduré. Ils employaient aussi déjà le pronom on , dont l’histoire est plus tordue. Il vient du mot latin pour « homme », homo .
Lorsque l’homme était sujet, les Latins disaient homo . Au fil du Moyen Âge, le o final a disparu, le h également, et le om restant est devenu on sous la plume des troubadours. Observons que le pronom « on » est toujours sujet ! Quand un auteur écrit ce genre de phrase, il se dit toujours : « Pourvu que quelqu’un n’aille pas me sortir un cas… »
Mais quand notre homme était complément d’objet direct, Messaline écrivait hominem. Homo hominem videt peut se traduire par « l’homme voit l’homme ». Preuve qu’un exemple idiot peut être clair. Le m final cesse de se prononcer, le i aussi et le n se fait avaler par son voisin. Cela donnera la prononciation ome que les troubadours auront tendance à écrire ainsi. Nos juristes remettront les deux m et le h en souvenir du latin.
Quant au pronom « on », Robert Estienne essaye vainement d’imposer hom car il sait qu’il vient du latin homo . Il échouera ! Na !
50. POURQUOI DÈS NOTRE ENFANCE DEVONS-NOUS DISTINGUER « POISON » ET « POISSON » ?
Parce que n’est pas Zorro qui veut.
Au Moyen Âge comme à notre époque, le s entre deux voyelles se prononçait z . Pourquoi ne pas saisir cette belle occasion de mettre pour de bon un z à la place de ce s esseulé ? À cause des Romains ! Si nous devions transcrire en français la manière dont les Romains prononçaient rosa , nous écririons rossa . Nous le prononçons d’ailleurs ainsi à l’initiale d’un mot : « Chérie, le sel ! » ou après une consonne : « Verse-moi une bière ! » Il paraît qu’un exemple machiste peut provoquer un buzz…
Au fil des siècles, la prononciation romaine du s entre deux voyelles s’est transformée en z . Écrire z aurait simplifié les choses. D’ailleurs, en début de mot, nous arrivons à noter « Zorro mange du sel ». Mais comme les Romains écrivaient rosa qui donnera notre « rose », nous préférerons ce s à un z éventuel, quitte à le doubler quand la prononciation l’exige. Voilà pourquoi des millions d’enfants devront distinguer « poison » et « poisson » !
51. POURQUOI NOS JURISTES DÉTESTENT-ILS LES HOMONYMES ?
Par souci d’efficacité ! Si je vous le dis…
À côté du principe d’analogie, nos juristes appliquent celui de distinction, qui permet de repérer très vite le sens d’un mot. Seule leur haine des homonymes le justifie. Encore un principe qui trouve ses racines dans une haine !
Rédigeant pour être déclamé par des récitants qui ont le temps devant eux, Chrétien de Troyes et nos troubadours peuvent écrire sin . Selon le contexte, le lecteur saura à quel sin se vouer. Si, par hasard, il n’a pas inventé la poudre, il chantera le mot, comptant sur la perspicacité de son auditoire. La Star Ac n’a pas tout inventé.
Mais le fonctionnaire pressé perdra du temps à découvrir de quel sin l’auteur parle. S’il se trompe, il risque gros. Comme il connaît la langue de Rome, il apprécie de voir l’orthographe du mot rapprochée de son équivalent latin. En latin, « sein » se dit sinum , « ceint », cinctu , « cinq », quinque , « sain », sanus et « saint », sanctus . Les mots latins meos et magis permettent de distinguer « mes » et « mais ». Les juristes écrivent « cœur » et « chœur » à cause de cor et chorum . Les deux l à « ville », qui vient de la villa romaine, permettent de ne pas confondre avec « vile », la méchante dame.
Gardez en tête que ces orthographes qui vous torturent ont aidé des générations de juristes à comprendre rapidement un texte ! Il y a toujours une explication.
52. POURQUOI DEVONS-NOUS DISTINGUER « COMPTER » ET « CONTER » ?
Par esprit poétique !
Lorsque le latin ne permet pas de distinguer les homonymes qu’ils détestent, nos juristes se payent le luxe d’inventer deux orthographes pour séparer deux mots de même origine, mais de sens différent.
Читать дальше