Le t du singulier s’explique par le Romain qui écrit et dit amat quand « il aime » , dicit quand « il dit ». Les troubadours le prononçaient encore et ils ne sont pas les derniers. Le premier à disparaître aux environs du XII e siècle sera le t qui suit la lettre e . Ainsi, amat devient aimet puis « aime ». Voilà pourquoi nous ne mettons pas de t lorsque le verbe conjugué se termine par e . Les t qui ont cessé très tôt d’être prononcés ont eu la chance de ne pas être écrits.
Au pluriel, les Romains mettent nt et le prononcent. Cantant a donné « ils chantent ». Le e vient du a latin. Les troubadours prononcent à la romaine ou comme les Anglais disent management . Le nt cessera de s’entendre au XVI e siècle. On l’a gardé par souci étymologique. Un e vient avant le nt rappeler qu’on ne nasalise pas la syllabe : si « chantaient » s’écrivait chantaint , on le prononcerait comme « main ». Dans le cas des formes en ont , nous n’allions pas mettre un e imprononçable entre o et n , d’autant plus que, étymologiquement, le on vient souvent du un : sunt a donné « ils sont ».
40. POURQUOI ÉCRIVONS-NOUS « VOUS NE MARCHEZ PAS ASSEZ VITE » ?
Pour offrir aux enfants le plaisir de calligraphier le z !
Le z est pratiquement inexistant en latin. Les Romains l’utilisaient seulement pour écrire des mots empruntés au grec. En effet, l’alphabet d’Homère possède une lettre, le zêta ζ, qui se prononçait dz , comme nous le rappelle Zeus. Nos latinistes nationaux ne pouvaient pas quant à eux ignorer une lettre à hampe d’une telle beauté. Le z qu’ils écrivent est en effet celui qui descend sous la ligne, que nous apprenons encore à l’école mais négligeons dans la vie quotidienne. Quoi de mieux que cette lettre majestueuse pour distinguer la fin d’un mot ? C’est pourquoi nos juristes du XIII e siècle l’adoraient.
Le suffixe tis est très fréquent en latin. Satis signifie « suffisamment ». Si nous draguons une Romaine qui nous dit : satis , elle veut signifier : « ça va ». Si nous sommes durs de la feuille, elle insistera en ajoutant un ad devant le satis . Quand une Romaine crie : ad satis , cela correspond à notre : « tu te calmes ou j’appelle ta femme ». Nos juristes, précurseurs involontaires du langage SMS, abrègent adsatis en adsaz . Lorsqu’ils traduisent adsatis par le français « assez », le z est déjà sur place et s’y montrera indélogeable. Outre « assez », trois autres mots garderont ce z médiéval sans qu’un tis ait besoin de nous servir d’alibi.
« Chez » vient de l’expression latine in casa (« dans la maison ») qui s’écrira en chiès au Moyen Âge. Le en finit par disparaître, ce qui permet à notre « chez » de devenir une préposition.
« Nez » vient du latin nasus . Ce z ne sera pas supprimé en 1762 de peur de le confondre avec le participe passé masculin du verbe « naître » (« nés ») qui vient de perdre son ez au profit du és . L’orthographe ressemble parfois à l’administration. Dès qu’elle simplifie un élément, une multitude d’imprévus vient tout compliquer. Si vous y voyez une allusion à l’accord des participes passés, vous avez bien raison.
Nous retrouvons aussi ce z dans notre « rez-de-chaussée ». Rez vient du participe passé latin rasus du verbe radere , qui signifie « raser » et qui donnera l’ancien français rez (« à ras »), littéralement « au ras de la chaussée ». En 1549, Robert Estienne cite l’expression a ré dans emplir a ré . La variante rez est probablement le pluriel de ce ré que nous retrouvons dans la phrase « ma belle-mère vit au rez-de-chaussée ». Personnellement, je la préfère au grenier, mais je devais parler du rez .
Je vous le donne en mille : « vous aimez », en latin, se dit amatis !
Dans le registre, nous l’avons échappé belle : comme Robert Estienne ne veut pas mettre d’accent, il emploie le z pour marquer le pluriel afin que l’on voie qu’il s’agit du son é . Il applique les conseils de Bonaventure Des Périers, poète au service de la reine de Navarre, sœur de François I er.
Vous auez tousiours s a mettre
À la fin de chasque plurier
Sinon qu’il y ait vne lettre
Crestée au bout du singulier
Et quand e y ha son entier
Bonté vous guide à ses bontez
Si vous suyuez autre sentier
Voz bonnes notes mal notez .
Bien que de lecture difficile, ce texte est compréhensible et témoigne de l’utilisation du z comme pluriel : ses bontez, voz .
41. POURQUOI METTONS-NOUS PARFOIS UN X OÙ IL EÛT ÉTÉ PLUS SIMPLE DE METTRE UN S ?
Un hommage à un SMS de 800 ans !
Qu’ils écrivent latin ou français, nos juristes abrègent us en x . Par souci d’économie, là où les troubadours écrivaient des chevaus , ils mettent des chevax . Dès que le prix du papier baissa, nous en profitâmes pour remettre le u tout en gardant le x .
C’est également pour cette raison que nous mettons un x à « je peux », « je veux » et « je vaux ». Les troubadours écrivaient je peus et le prononçaient. Nos juristes abrègent en je pex . Plus tard, nous remettons le u , mais gardons ce x auquel nous nous étions habitués. Comme nous écrivons « je m’émeus », d’aucuns en ont conclu que, les juristes manquant d’empathie, il fallait beaucoup pour les émouvoir, mais ce sont de mauvaises langues.
Pourquoi, me demanderez-vous, mettre un s à « bleu », « pneu », « landau » et « sarrau » ? Pour le savoir, j’ai eu recours à l’excellent site de Françoise Nore. « Pneu » prend un s parce qu’il est l’abréviation de « pneumatique » et « landau » car il fait référence à une ville allemande. « Sarrau » vient tardivement de sarroc (à croire que nous avions oublié qu’il fallait un x ) et « bleu » est un mot d’origine germanique.
C’est ma rubrique « merci Françoise » !
Parfois, c’est un simple caprice de nos juristes, plus qu’un souci d’économie, qui nous a légué un x final.
Ils voulaient coller au latin et constatèrent que bien des mots qui s’écrivaient jusque-là en ancien français avec un s ou un z venaient d’un mot latin en x . Aussitôt, on les change ! C’est ainsi qu’ils écrivent « paix », « croix », « noix » et « voix » parce qu’Agrippine disait pax, crux, nox et vox .
42. POURQUOI BEAUCOUP DE NOS MOTS SE TERMINENT-ILS PAR UNE LETTRE À HAMPE ?
Pour faciliter la lecture !
Nous appelons hampes les traits verticaux de certaines lettres qui montent ( f, d, h …) ou qui descendent ( p, y, q …). Les juristes du XIII e siècle les adoraient car leur présence facilitait la lecture. Beaucoup d’épistoliers feront le même raisonnement. En effet, nous reconnaissons ces lettres d’un premier coup d’œil. Lors d’une lecture silencieuse, elles facilitent le décryptage des mots dans la froideur d’un bureau éclairé par des chandelles, résultat des économies systématiquement exigées du petit personnel de la fonction publique. C’était ma rubrique misérabiliste, tout à fait critiquable car les lettres à hampe agissent de même en plein air et par un beau soleil.
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