Le futur (j’irai) et le conditionnel (j’irais) se forment à partir de l’infinitif du verbe latin ire qui signifiait « aller ».
Les trois premières formes du présent (je vais, tu vas, il va) viennent du latin vadere , synonyme de « marcher ». Les autres formes dérivant de « aller » (nous allons…) proviennent du latin atribulare qui désignait l’humain en promenade et que nous retrouvons dans le mot « déambuler ». Pour l’anecdote, le « déambulatoire » indique la partie de l’église qui entoure le chœur et où il est loisible de se promener.
29. POURQUOI DISTINGUONS-NOUS « NOTRE » DE « NÔTRE » ?
Une histoire de gâteau !
Ces mots viennent tous les deux du latin nostrum . Nous écrivions nostro au IX e siècle et nostre au X e siècle.
Si notre enfant a du mal à les distinguer, il faudra lui expliquer que cette faute est très récente.
Au XVI e siècle, Ronsard, suivant les imprimeurs, aura tendance à mettre un accent circonflexe à nôtre en remplacement du s . Jean Lebon d’Autreville, médecin du roi, critique Ronsard car le s « cause une symétrie indicible que ne saurait faire l’accent circonflexe ». Notons qu’il n’est toujours pas question de distinction !
En 1694, l’Académie écrit encore nostre interest et nous défendons le nostre . Les partisans de l’accent circonflexe en remplacement du s , comme Richelet en 1680, le mettent aux deux mots.
La distinction sera l’œuvre de l’abbé d’Olivet qui rédigera la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie (1740). Il officialise l’installation de l’accent et saisit l’occasion pour séparer l’adjectif « notre » du pronom « nôtre ». Il justifie son choix par le fait que le o du pronom est plus allongé que celui de l’adjectif. Est-ce toujours le cas à notre époque ? Ça dépend des personnes. Amis parents, essayons d’allonger le o quand nous disons : « le nôtre ». Ça aidera les enfants !
30. POURQUOI NE SONT-CE PAS NOS INFORMATICIENS QUI ONT INVENTÉ LE & ; ?
Pour nous éviter de payer des droits d’auteur !
Examinons un extrait des serments de Strasbourg. Le 14 février 842, deux des petits-fils de Charlemagne, Charles le Chauve et Louis le Germanique, prêtent le serment d’une alliance contre leur frère aîné, Lothaire I er: la famille est digne de Dallas ! Louis le Germanique prononce son serment en langue romane pour être compris des soldats de Charles le Chauve. La confiance règne !
Ce texte marque la naissance de la langue française : événement historique s’il en est ! Qualité moins connue de ce texte, il confondrait tout informaticien qui réclamerait des droits d’auteur sur l’esperluette. C’est ainsi que l’on appelle le signe &. Voici l’extrait :
Pro Deo amar & pro Christian poblo
Nous pouvons le traduire par : « pour l’amour de Dieu et du peuple chrétien ». Cet extrait prouve que l’esperluette est utilisée pour transcrire le son et depuis plus de mille ans. Nos informaticiens l’ont simplement piquée. Nous l’utiliserons très longtemps. Au début du XVIII e siècle, nous envisagerons même d’en faire une lettre de l’alphabet.
Cette esperluette sera supprimée pendant la Révolution française. Elle est ressuscitée grâce à l’informatique.
31. POURQUOI DISONS-NOUS « DES CHEVAUX » MAIS « DES FESTIVALS » ?
Pour briller en société sans jouer au Scrabble !
Le latin al suivi d’une consonne finit par se prononcer au . Voilà comment salvare a donné notre « sauver ». Nous lui piquerons le l lorsque nous créerons le mot « salvateur ».
En ancien français, lorsque le mot n’est pas sujet, nous écrivions cheval au singulier. Cette prononciation ne variera pas. En revanche, l’articulation de son pluriel chevals évoluera vers « chevaux ».
Nous l’avons échappé belle : la prononciation subit la même évolution pour les mots en ols et en els . Pour l’anecdote, le pluriel de « rossignol » passera un moment de « rossignols » à rossignoux et le singulier de « cheveux » aurait pu être chevel . En effet, un chevel, des chevels , mais ce dernier finira par se prononcer « cheveux ». Imaginons-nous à l’école ! Un cheval, des chevaux ; un rossignol, des rossignoux ; un chevel, des cheveux .
Pour ces deux derniers mots, il se produira ce que l’on appelle une réfection analogique. En français, comme nous trouvons que l’existence de deux formes complique tout, nous décidons de les unifier. Naturellement, nous conserverons cette légitime fantaisie qui agrémente notre langue depuis la nuit des temps.
Chez le rossignol, c’est le pluriel qui perdra la face. Rossignoux disparaît pour céder la place aux très simples « un rossignol », « des rossignols ». Chez les cheveux, le singulier a perdu. Le singulier chevel disparaît et le pluriel « cheveux » accepte de perdre son x pour que le singulier « cheveu » lui ressemble. Je ne possède aucune preuve, mais je crois savoir que le grammairien qui entérina cette dernière prononciation craignait d’être chauve.
Pourquoi cette adorable réfection analogique n’a-t-elle pas joué pour « cheval » ? Probablement pour nous procurer la joie d’hésiter.
En effet, les mots récents n’ont pas subi cette évolution. Voilà pourquoi le pluriel de « festival » est régulier. En effet, ce mot ne fut emprunté à l’anglais qu’en 1830, qui est également la date de l’indépendance de la Belgique. Cela n’a rien à voir, mais c’est un rappel. La prononciation de mots très anciens comme « cheval » ou très récents comme « festival » est facile. En revanche, entre les deux, notre cœur a longtemps balancé.
M me de Sévigné écrit « des combats navaux ». Au XIX e siècle, nous hésitions tellement que nous ne l’employions pratiquement plus et ce n’est qu’au XX eque la multiplication des chantiers navals finit par nous décider.
Si un de nos enfants hésite sur un pluriel en al , lisons-lui ces vers de La Fontaine extraits des Rémois :
Il n’est cité que je préfère à Reims :
C’est l’ornement, et l’honneur de la France :
Car sans compter l’ampoule et les bons vins,
Charmants objets y sont en abondance .
Par ce point-là je n’entends quant à moi
Tours ni portaux ; mais gentilles galoises ;
Ayant trouvé telle de nos Rémoises
Friande assez pour la bouche d’un roi .
« Un portail », « des portaux », écrivait le regretté La Fontaine ! Et ne me dites pas que les Rémoises lui avaient fait perdre la tête !
Narrons-lui aussi la réplique de Boursault qui, en 1683, dans sa comédie Le Mercure galant , se moquait des grammairiens qui devaient déjà se couper les cheveux en quatre dans le sens de la longueur : « Ces bras te deviendront fatals ou fataux. »
3
Ne le répétons pas ! Mais il paraît que les juristes ont snobé les troubadours !
Nous abordons à présent le « vrai » Moyen Âge, celui des châteaux forts, des croisades et autres féodalités. Mais pour ce qui nous concerne, les personnages les plus importants ne sont pas ces illettrés de chevaliers, mais deux classes sociales plutôt négligées et opposées, dont le seul point commun est que leur outil de travail est le langage : j’ai nommé les troubadours et les juristes. Les premiers sont les poètes de l’époque et la principale source de divertissement des cours royales et seigneuriales qui parsèment la France. Parfois Jacques Brel, parfois Jean-Marie Bigard, leurs talents et leurs sujets varient, ils font rire, ils font pleurer, mais ils chantent ou déclament toujours dans la langue de leur auditoire et leurs manuscrits les aident à retenir leurs interminables ballades. Dans ces aide-mémoire, ils emploient une orthographe phonétique, la plus adaptée à la lecture à haute voix qu’ils pratiquent.
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