José Gómez - Planète à louer

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Dans un futur indéterminé, une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater. Afin de sauver la Terre, des espèces extraterrestres en prennent possession, après avoir fait montre de leur force en annihilant l’Afrique. Ils y imposent des règles draconiennes visant à rétablir l’équilibre écologique. Un siècle plus tard, notre planète est redevenue un paradis, un « monde souvenir », où les riches xénoïdes viennent faire du tourisme. Mais derrière l’image d’Épinal, les conditions de vie des Terriens sont loin d’être idylliques.
Buca, la prostituée, Moy, l’artiste métis ou Alex, le scientifique de génie, tous n’aspirent qu’à une seule chose : fuir… partir… s’exiler… quitter la Terre… par tous les moyens!

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Comme il avait oublié de refermer le capot du compartiment moteur, je me suis glissé dessous et j’ai commencé à fouiner. Tout était propre, huilé avec une graisse transparente qui sentait bon, pas comme la graisse de veau puante que mon père m’envoyait jeter dans les rouages du moulin à canne à sucre et sur les axes de la charrette pour éviter qu’ils ne se grippent. Tout me semblait parfait… à l’exception du système d’équilibre antigrav – dont j’ai appris le nom après coup.

Quelque chose me paraissait bancal. J’ai toujours été doué avec les outils et j’adorais réviser et fabriquer des choses. Et comme j’étais le plus jeune, c’était mon rôle d’aiguiser les haches, les machettes et les socs des charrues, et de graisser le moulin à canne à sucre. Presque sans m’en rendre compte, je me suis mis à bricoler le moteur. Un petit bout de fil de fer par-ci, un morceau de bois par-là, une petite boule de terre ailleurs, un caillou entre ces deux pièces de métal, et…

Quelle frayeur ! L’appareil s’est mis à ruer comme un cheval enfermé. Devant notre porte, le pilote nommé Larsen a recraché son café. J’ai eu la trouille de ma vie. J’ai filé comme une flèche pour ne pas me faire attraper.

Mais mon père savait par où j’allais passer… Au moment où il saisissait un bâton de peuplier pour me le casser sur le dos, Larsen a tenté de l’en dissuader. Mon père a vu rouge. Imaginez-vous : jamais personne n’avait élevé la voix chez lui, et cette grande perche de la ville qui tenait à peine debout se pointait et prétendait savoir mieux que lui comment se comporter avec l’un de ses fils ! Il lui a foncé dessus et… Heureusement que ma mère s’est interposée et lui a dit, très bas : « Celedonio, enfin, laisse-le parler… ». Sinon, il l’aurait tué sur place.

Larsen s’est expliqué… Puis mon père, très fier, a jeté le bâton de peuplier et m’a serré dans ses bras, disant que j’étais bien son fils, pour sûr. Que j’avais toujours été comme ça, un peu bizarre, mais doué comme personne pour ces choses mécaniques…

Et du coup, sans savoir ce que je faisais, j’ai fini de dépanner le système d’équilibrage antigrav. Le pire, c’est que, plus tard, j’ai réalisé qu’en théorie aucun être humain n’est capable de réparer une de ces unités que seuls les xénoïdes savent fabriquer. Elles duraient très longtemps et étaient hyper résistantes, mais lorsqu’elles tombaient en panne, il fallait les changer.

Et c’est là que les docteurs, tous deux aussi barbus, décoiffés et avec des yeux de fous, se sont mis à me poser des tas de questions. Ils m’ont dit qu’ils s’appelaient Hermann et Sigimer et qu’ils étaient astrophysiciens. Ils m’ont parlé d’électromagnétisme, de théorie du champ unifié, et de plein d’autres choses. Et je n’ai rien compris à ce qu’ils racontaient. Puis Hermann a réfléchi, il m’a donné son crayon laser, qui ne fonctionnait plus depuis des jours… Et je l’ai réparé tout de suite avec un petit bout de verre.

Ensuite, les deux scientifiques ont conclu que j’avais un don spécial, que j’étais un génie naturel, un diamant brut. Moi, j’ouvrais des yeux comme des soucoupes, sans rien comprendre. Je croyais qu’ils se moquaient de moi, comme mes frères… Mais ils se sont mis à discuter avec mon père et ma mère, les prenant à part. Ils ont parlé un bon moment et j’ai vu qu’ils leur donnaient de l’argent… Puis ma mère a pleuré et est venue m’étreindre. Elle m’a mis dans les mains un petit sac contenant mes plus beaux vêtements, six canettes de jus de goyave à la noix de coco et deux grandes bouteilles de pru. Elle m’a embrassé et m’a dit de ne jamais oublier qu’ils m’aimaient et qu’ils étaient mes parents. Et le vieux m’a aussi serré dans ses bras, les yeux humides, mais en se détournant parce que les hommes ne pleurent pas. Et il m’a dit que j’allais partir avec les docteurs et que ce serait mieux pour tout le monde. Que j’étais un homme et que je devais aller de l’avant.

Au début, je ne voulais pas. Mais quand Hermann et Sigimer m’ont expliqué que j’allais rejoindre la ville pour voir des choses, découvrir des appareils, étudier pour devenir comme eux et travailler pour la Terre, je n’ai plus eu envie de pleurer et je suis monté dans l’aérobus, tout content.

Et vous n’allez pas le croire. Bien que Larsen et les docteurs ne soient pas rassurés, ma réparation du système d’équilibrage antigrav a tenu pendant tout le voyage.

« Est-ce votre vrai nom ? »

Je ne suis jamais retourné à Baracuya del Jiqui. Ça a surpris ma famille, mais depuis que je suis arrivé à la ville, j’ai été impliqué dans tant de projets secrets qu’on ne me laissait même pas sortir au coin de la rue pour acheter du pru. Ils disent que mon cerveau est une arme stratégique.

Oh, tout ce que je demande, ils me l’apportent. Je veux un oiseau qui parle ? J’ai un oiseau qui parle. Du coup, j’ai pu retrouver Romualdo. Parmi mes frères, c’était le plus gentil avec moi. Il y a deux ans, je me suis senti seul et j’ai demandé des nouvelles de lui : comme il s’était enfui, et qu’il parlait toujours d’aller vivre à la ville… Cependant, ils m’ont prévenu que je ne pourrais le voir que de loin.

Moins d’une semaine plus tard, ils m’ont remis son dossier et plein d’holo-vidéos où on le voyait parler. Mon frère est sergent dans la Sécurité Planétaire. Il vit et travaille à Nouveau Miami.

L’obtention de ces informations et des holo-vidéos m’a suffi. Pourquoi le voir de loin, sans pouvoir lui parler ? Pour me sentir encore plus seul ? Après ça, je n’ai plus jamais pris de nouvelles d’aucun membre de ma famille et je ne les ai jamais revus.

« À quel domaine scientifique vous consacrez-vous actuellement ? »

Alex Gens Smith, scientifique. Terrien, humain. Taille : 1,84 m. Poids : 78 kg. Vous pouvez vérifier.

« Avez-vous des contacts réguliers avec votre famille ? »

Non. Mais lorsqu’Hermann et Sigimer m’ont amené ici, ceux du Centre m’ont dit que si je voulais être un scientifique, il me fallait un nom qui fasse plus sérieux. Et ils ont changé le mien. Je le porte depuis tellement longtemps que si quelqu’un m’appelait « Alesio », je ne répondrais même pas.

Mon vrai nom est Alesio Concepción Perez De La Iglesia Fernandez Olarticochea Vallecidos y Corrales. Ils ont choisi Alex pour Alesio, et comme Concepción a le même sens que le terme génèse, ils l’ont raccourci en Gens. Et le Smith anglo-saxon est aussi commun que le Perez hispanique. Une simple transposition d’éléments.

« Avez-vous une forme de relation sentimentale stable et/ou permanente sur Terre ? »

Depuis quatre ans, ils m’occupent sur un projet extrêmement barbant, à caractère militaire, comme quasiment tout ce que j’ai déjà créé. C’est confidentiel, évidemment. Mais si vous m’acceptez, je n’aurai pas de secrets pour vous.

Je travaille sur un principe énoncé par un théoricien à propos d’un jouet que j’ai construit, un jour, pour me distraire. Je ne connais pas grand-chose aux formules et aux tenseurs matriciels, mais je peux vous dire que c’est en relation avec les systèmes résonateurs de gravitons.

Vous savez, bien sûr, que le graviton est la particule élémentaire ayant la plus grande concentration de moment, ce qui lui permet, suivant la théorie du champ unifié, de convertir toute force magnétique ou électrique en énergie gravitationnelle. Même les enfants le savent, mais moi je m’en suis rendu compte lorsque j’ai réparé ce système d’équilibrage de l’aérobus.

Mon jouet était un réducteur de matière basé sur les résonateurs de gravitons. On mettait n’importe quelle substance entre les pôles d’un aimant triphasique, on la refroidissait jusqu’au zéro Kelvin tout en la bombardant de positrons dans un champ d’ultrasons puisés et boum ! La matière rétrécissait. L’effet était provoqué par sur-stimulation de l’attraction mutuelle entre les gravitons du morceau de matière. D’après la Loi de conservation de la masse, elle gardait son poids original. Mais elle devenait plus dure que du bicrovan. J’avais créé artificiellement de la matière hyper dense, comme dans les noyaux des étoiles à neutrons. Et celle-ci était stable ; elle ne récupérait son volume d’origine qu’en inversant le processus, ce qui consommait une grande quantité de puissance.

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