José Gómez - Planète à louer

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Dans un futur indéterminé, une guerre nucléaire totale est sur le point d’éclater. Afin de sauver la Terre, des espèces extraterrestres en prennent possession, après avoir fait montre de leur force en annihilant l’Afrique. Ils y imposent des règles draconiennes visant à rétablir l’équilibre écologique. Un siècle plus tard, notre planète est redevenue un paradis, un « monde souvenir », où les riches xénoïdes viennent faire du tourisme. Mais derrière l’image d’Épinal, les conditions de vie des Terriens sont loin d’être idylliques.
Buca, la prostituée, Moy, l’artiste métis ou Alex, le scientifique de génie, tous n’aspirent qu’à une seule chose : fuir… partir… s’exiler… quitter la Terre… par tous les moyens!

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Sergent, ça me suffit. Ni plus haut ni plus bas.

La cupidité est mauvaise conseillère, Markus. À petite échelle, on peut contrôler les événements et il y a peu de trahisons possibles. À trop grande échelle, on fait concurrence aux Yakuzas. Des requins plus gros que toi voudront leur part… et il existera toujours un xénoïde plus puissant qui te brisera. Si tu savais combien j’ai vu de gars de la Sécurité Planétaire s’élever puis tomber sous la botte extraterrestre avec, dans les yeux, la certitude qu’ils vont être jetés au recycleur…

En revanche, le bon sergent a juste assez d’autorité, c’est lui qui transmet les ordres, l’huile qui lubrifie les rouages. Il est à l’abri et nul ne se dresse contre lui. Je ne me suis jamais fourré dans les grosses opérations, surtout si on ne me l’a pas demandé. Vivre et laisser vivre, c’est ma devise, Markus. Pour toi aussi, tout ira bien si tu la suis.

Parfois pourtant, il faut être méchant. Et ça fait mal. Oui, ça fait mal.

Il y a quelques mois, j’ai dû arrêter un jeune homme, et je ne parviens pas à l’oublier. Il se prenait pour un protecteur indépendant. Mais il était trop naïf pour ce boulot. Il s’appelait Jowe, c’était un artiste. J’ai vu ses toiles… Elles étaient peut-être bonnes, mais je ne les ai pas aimées. Elles étaient bizarres. En même temps, je n’y connais pas grand-chose.

Il semble que ce petit peintre avait oublié de payer sa cotisation mensuelle aux Yakuzas. Ou plutôt, il n’avait pas les moyens, parce qu’il ne faisait pas payer une travailleuse sociale pour laquelle il bossait. Une certaine María Elena.

Je ne me souviens pas bien de son visage. Une petite pute comme les autres, grande et mince. Je ne l’ai même pas regardée : j’aime les femmes bien en chair et je laisse les sacs d’os aux xénoïdes. En revanche, ce Jowe, il me fixait d’une façon… Markus, je croyais être revenu de tout, mais ça m’a fendu le cœur de devoir l’emmener. C’était comme si j’arrêtais le fils que je n’avais jamais eu. Je suis même allé assister au procès, après mon service. Ça a été rapide, comme toujours depuis que l’ordinateur central juge. Le pauvre gars a écopé de trois années de reconditionnement corporel… Il ne tiendrait pas, j’en étais sûr. C’était quasiment un meurtre.

En fait, je ne l’ai pas arrêté parce qu’il n’avait pas payé sa cotisation, mais suite à une dénonciation l’accusant de verser de l’argent à l’Union Xénophobe Pro-Libération Terrienne. Une dénonciation des Yakuzas qui se sont servis de nous pour lui régler son compte élégamment. Et le pire, c’est que c’était vrai… Imagine-toi que ce pauvre gosse idéaliste et stupide envoyait le peu d’argent qu’il avait à ces tarés de drogués.

Lorsque je l’ai emmené, il lançait des regards désespérés à la dénommée María Elena. Elle a couru, ils se sont étreints, embrassés. Ils pleuraient, tout ça. Mais lui était sincère. Il sanglotait de toute son âme. On voyait qu’il l’aimait, le pauvre. Quant à elle, eh bien, j’ai vu de meilleures prestations au club de théâtre, ici, au Commandement.

Ça a été si dur que ça me hérisse encore le poil et que j’ai les larmes aux yeux rien que d’y penser… J’ai eu l’impression d’être le dernier des salauds, Markus. Vraiment.

Une chose encore, pas de sergent à agent, mais d’homme expérimenté à gamin débutant. Et profites-en pendant que je suis d’humeur sentimentale. Oublie l’honneur de la corporation si ça tourne vraiment mal. Sérieusement.

Il vaut mieux être un trouillard vivant qu’un héros mort. Celui qui fuit sauve sa peau pour combattre une autre fois. Il y a beaucoup d’agents à la Sécurité Planétaire, mais aucun ne te donnera une vie de rechange si tu perds la tienne en te battant pour de grandes idées comme la gloire ou l’esprit d’équipe. Et l’auto-clonage est si cher qu’ils le réservent aux chefs. Les lampistes comme toi et moi ne meurent qu’une seule fois.

Je te le dis parce que, depuis plusieurs années, les rues sont tranquilles, et je sais d’expérience que sur cette planète le calme précède la tempête. Je suis persuadé que ça va péter de nouveau. L’électro-matraque a beau être l’un des arguments les plus dissuasifs qu’on n’ait jamais inventés, elle n’empêche pas les cocktails Molotov de pleuvoir… C’est très sérieux, une émeute urbaine. C’est là que tu te rends compte, pour de vrai, que cette planète nous hait.

Une de ces échauffourées qui cherche à verser le sang xénoïde est gérable. Nous avons toujours su les contrôler. Mais, tous les dix ou douze ans, arrive un jour où la plèbe est si désespérée qu’elle se fiche éperdument qu’on lui troue la peau. Où les gens comprennent qu’ils sont si misérables qu’ils n’ont rien d’autre à perdre que leur vie d’échec et de merde, et que celle-ci n’a plus aucune importance s’ils peuvent s’en prendre à l’un d’entre nous.

Les vrais coupables sont les xénoïdes, bien sûr, mais ils ne sont jamais là pour se faire casser la gueule ; ces bestioles fuient les troubles encore plus vite que des rats mutants.

Si tu vois ta première insurrection péter dans les mains de tes collègues de l’Anti-émeutes, ne crois pas plus à la solidarité de corps qu’aux contes de fées. Cours, cache ton uniforme et cherche un abri sûr, le plus loin possible de la ville. Ça se produit tous les dix ou douze ans, et ça aboutit toujours à la même chose. À rien.

Les clampins de la grande banlieue de Pluton arrivent avec l’artillerie lourde, évacuent leurs gens et vaporisent l’endroit. Peu leur importe si nous, les « lèche-bottes », nous sommes à l’intérieur à risquer notre peau pour la tranquillité de leur paradis touristique. Après tout, nous ne sommes que leur chair à canon locale. Si la situation leur échappe, ils éradiquent le mal à la racine : ils rasent la ville entière, voire tout le continent. Regarde ce qu’ils ont fait à l’Afrique lors du Contact.

Crois-moi, tu ne voudrais pas voir ce qu’il reste d’une cité lorsque tout s’est évaporé, comme ça, en quelques secondes. Il subsiste peu de ruines, et à peine des restes humains. On ne trouve ni radiations nocives ni gaz toxiques. Le sol n’est pas empoisonné. Ceux qui se sont enfuis avant les troubles peuvent revenir et reprendre une vie normale. Enfin, s’il leur reste un lieu où s’installer. Parce que, sinon, ils n’ont plus qu’à serrer les dents, baisser la tête, ravaler leur rage et se mettre à travailler comme des bêtes pour reconstruire leur ville rasée.

Mais à certains endroits du sol et sur certains murs qui ont tenu debout on ne sait comment, il reste les ombres des corps vaporisés. Comme des fantômes accusant on ne sait qui. Jusqu’à ce que les murs s’écroulent ou qu’on les repeigne.

Et personne ne les pleure, du moins en public. Une fois les troubles oubliés, la vie reprend son cours. Jusqu’à l’explosion suivante.

Un jour, j’ai vu une holo-vidéo sur de petits animaux qui ressemblent à de grosses marmottes, et qui vivent dans l’Arctique, mangeant des mousses et des cochonneries. Les renards, les ours polaires, les chouettes, et même les Esquimaux, lorsqu’ils ne veulent pas mourir de faim, les chassent et les consomment en abondance. Mais ils se reproduisent, et se reproduisent encore. Comme des marmottes, tu m’entends, Markus ? Et, à chaque fois, ils sont plus nombreux… jusqu’à ce qu’il ne reste plus de mousse ni rien à manger.

Ils se réunissent alors en colonnes de millions d’individus et émigrent. Comme des fous, sans que rien ne puisse les arrêter. Ils ne cherchent plus de nourriture ou de nouveaux territoires ; ils cherchent la mer. Et les loups, les renards, tous les prédateurs les suivent, les dévorant sur le chemin… jusqu’à ce que les grosses marmottes plongent tête la première dans la mer et nagent au large. Les requins et les mouettes à leur tour les mangent, et des milliers se noient… jusqu’à ce qu’il n’en reste plus aucune.

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