Nous les protégeons, et elles nous remercient de la façon qu’elles connaissent le mieux. On peut considérer ça comme un échange de bons procédés.
Bien que ça ne soit qu’une option, bien sûr. Certaines préfèrent les crédits sonnants et trébuchants, d’où qu’ils viennent. Mais la vie d’un agent est si instable et solitaire… Il y a peu de chance qu’en patrouillant dans les rues on rencontre la fille de ses rêves. Et encore moins de chance qu’on arrive à la garder.
Si la seule façon d’obtenir du sexe à volonté est d’avoir recours à des professionnelles, je préfère au moins l’avoir gratuitement, avec des femmes connues, reconnaissantes, parfois même presque des amies. Avec elles, je me sens plus en sécurité qu’avec une travailleuse sociale étrangère. Celles-là, tu ne sais jamais si elles cachent un couteau sous leur oreiller, attendant que tu t’endormes pour t’assassiner et te voler.
Enfin, c’est mon choix. Toi, tu feras ce que tu voudras.
Il y a certaines choses que tu ne peux pas tolérer. Et si on tente de profiter de ton inexpérience et de te soudoyer pour que tu détournes les yeux, je veux que tu me le dises immédiatement. Je me chargerai de ces canailles de trafiquants…
J’ai lu des bouquins d’histoire, et je sais qu’autrefois on poursuivait le trafic de drogue. Mais de toutes les drogues. Quelle idiotie ! Notre système est bien plus rationnel : tu peux te procurer tout ce que tu veux dans les Centres médicalisés de distractions. À bon prix, avec une qualité garantie et la surveillance d’internes spécialisés en toxicologie. C’est l’une des attractions basiques pour le tourisme, financé par les autorités.
C’est pourquoi les vendeurs clandestins de substances chimiques frelatées sont un discrédit planétaire et une menace intolérable. Dans leur cas, pas de quartier. La conduite à suivre lorsqu’on en capture un est simple et efficace : pas de prisonniers. Ces déchets ne méritent même pas le reconditionnement corporel. Presque toujours, ils sont accros aux produits douteux qu’ils vendent, et aucun extraterrestre ayant toute sa tête ne voudrait « monter » un corps au métabolisme si détérioré.
D’un autre côté, il y a des priorités. Inutile de dire que si un xénoïde décède dans des circonstances douteuses, toute autre affaire doit être reléguée au second plan pour rechercher les causes de la mort. Et si nous ne trouvons pas de coupable… nous devons nous débrouiller pour l’inventer. Trop de choses dépendent de notre efficacité en de pareils cas.
Souviens-toi toujours de la façon dont ils ont rayé Philadelphie de la carte. Quelqu’un, probablement lors d’une bagarre pour une histoire de fille, a tranché la gorge à un Cétien et les agents du Commandement local n’ont pas réussi à trouver le coupable. Les représailles de ces types de Tau Ceti ont été terribles : deux millions d’humains vaporisés. Je crois que tu n’aimerais pas renouveler la démonstration dans une autre ville… avec toi dedans.
Mais la seule chose plus urgente que la recherche d’un tueur de xénoïdes, c’est de régler son compte à celui qui assassine l’un d’entre nous. S’assurer qu’il n’arrive jamais jusqu’au jugement… vivant. C’est ça, la solidarité et l’esprit de corps. Ça rassure de savoir qu’on sera vengé, si le pire survient.
Ne fais pas cette tête, Markus. Notre boulot n’est pas qu’une histoire de risques et de vengeances. Il existe également de nombreuses manières, pour un agent malin, d’obtenir des crédits supplémentaires, en dehors de ses heures de service, et de manière relativement sûre.
Par exemple, dans le négoce de la protection.
Les Yakuzas et la Triade le trustent, et ils contrôlent même la majeure partie des indépendants. Mais si tu aimes gagner à la sueur de ton front chaque crédit qui arrive sur ton compte, et si tu veux y consacrer ton temps libre, ceux du crime organisé ne s’interposeront pas.
Bien que certains indépendants soient très doués, beaucoup de détaillants pensent que les services d’un agent de la Sécurité Planétaire sont meilleurs. Avec nous, ils engagent une qualité supplémentaire, au-delà de notre entraînement physique : notre permis de port d’armes. Nous pouvons les utiliser, même en dehors du service. La Clause de protection personnelle de l’agent, tu te souviens ?
C’est ainsi, Markus. Ce boulot de protection présente l’avantage de ne pas être illégal. Si tu ne portes pas ton uniforme, bien sûr. Ah, ah ! Si quelque chose tourne mal, il te suffit de déclarer que tu passais par là et que tu as tiré pour te défendre. L’agent des Homicides qui mènera l’enquête saura comment te dégager de toute responsabilité. L’esprit de corps, tu vois ?
Un conseil d’expert : si tu t’intéresses sérieusement au négoce de la protection, le mieux est de dépenser quelques crédits pour un petit investissement initial auprès de l’agent responsable de la logistique au Commandement. Il te remettra lui-même un gilet en kevlar, ainsi qu’une arme non enregistrée. Et à un prix moins élevé qu’il n’y paraît si tu y réfléchis un peu. Pense que tu éviteras ainsi qu’un coup de feu tiré en dehors du service laisse une trace dans l’ordinateur central auquel sont connectées nos mini-mitrailleuses, comme on te l’a appris à l’Académie.
Les commerçants récompenseront ton effort par une prime très juteuse. Un vigile qui peut faire usage de son arme sans souci est toujours plus efficace qu’un autre ne pouvant y recourir qu’en cas extrême, tu ne crois pas ?
Après l’homme sans l’uniforme, une petite explication à propos de l’uniforme sans l’homme. Et là, nous nous éloignons de la Loi. Au cas où tu serais ambitieux et où tu aimerais jouer les caïds.
De temps en temps, un de ces entrepreneurs à son compte, comme notre ami Ahimasa, t’approchera et te proposera une somme considérable pour le prêt de ton uniforme-armure en kevlar. Une somme vraiment importante. N’hésite pas une seconde, donne-le lui. Sans le moindre remords, ni sans te sentir traître à notre corporation.
Il n’y aucun mal à accéder à sa requête : il est rare qu’ils utilisent nos uniformes autrement que pour des règlements de comptes internes. Et si le grabuge est trop important et que nous devons intervenir… un uniforme en kevlar ne constitue pas une assurance-vie pour ceux qui nous affrontent. Tout exécuteur qui se respecte sait que nos balles à tête creuse peuvent traverser nos propres cuirasses. Par chance, aucune autre arme terrestre ne possède la puissance de feu nécessaire.
C’est la raison pour laquelle nous poursuivons avec une telle hargne les trafiquants d’armes qui vendent des masers et des projectiles à charge explosive. Si ces trucs-là circulaient au marché noir, nous perdrions complètement le contrôle de la situation.
Ah, et encore quelques détails. Lorsque tu loues ton uniforme, n’oublie pas deux précautions importantes. Premièrement, et c’est presque une lapalissade, retire la vibro-plaque d’identification et tout insigne de la corporation, au cas où tes « clients » seraient capturés. Deuxièmement, demande un nouvel uniforme pour vol de l’ancien. Et assure-toi que la date de ta demande soit au moins trois jours antérieure à celle où tu le « prêtes ». Si on te rend ton gilet sans problème, annule la demande. Mais si tes « clients » sont capturés ou tués, ce sera ton meilleur alibi : on m’a volé mon uniforme, ce n’est pas ma faute, je m’en suis rendu compte à temps, il n’y a plus de morale, on a dû le prendre sur mon étendoir à linge lorsqu’il séchait, sûrement un type de mon quartier qui me déteste et qui l’a ensuite revendu à des assassins…
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