— Il y a un petit vent aujourd’hui, prononça Maïka, contemplant distraitement le ciel.
— Comment ? Quel petit vent ?
Elle se tapota le front du doigt à côté de l’objectif du « troisième œil ».
— Ab-va-ru-av-ti-va. O-va-nav va-n-ousav en-va-t-av-ends.
— Ab-va-ru-av-ti-eva t-av-oi-va m-av-êva-meva, répondis-je. l-va-l-av av-y va-a av-u-nav tra-va-nav-sla-va-t-av-eur-va.
— Juste. C’est bien ce que je te dis il y a un petit vent.
— Oui, confirmai-je. Pour un petit vent, c’est un petit vent, c’est sûr.
Je restai un moment sur place, terriblement mal à l’aise, essayant de trouver un sujet neutre de conversation. Je n’en trouvai aucun sinon le petit vent en question, et là il me vint à l’esprit qu’il ne serait pas mal de faire une promenade. Car je ne m’étais encore jamais baladé dans les environs. Depuis presque une semaine que je me trouvais ici, je n’avais pas encore mis véritablement le pied sur cette terre, je ne l’avais vue que sur les écrans. En outre, cela nous offrait une chance de tomber quelque part dans les broussailles sur le Petit, surtout si lui-même le désirait. Ce ne serait pas seulement agréable, mais également utile pour l’affaire : engager une conversation avec lui dans une ambiance qui lui était familière. J’exposai mes considérations à Maïka. Elle se leva sans mot dire et se dirigea vers le marécage ; moi, le nez enfoui dans mon col de fourrure et mes mains enfoncées au fond de mes poches, je me traînai sur ses talons. Tom, n’en pouvant plus de serviabilité, faillit se coller à mes trousses, mais je lui adjoignis de rester sur place et d’attendre mes ordres.
Nous ne nous fourrâmes bien entendu pas dans le marécage, nous le contournâmes, nous frayant difficilement un chemin à travers les taillis. La végétation ici était vraiment pitoyable : pâle, malingre, de petites feuilles molles, bleuâtres, au reflet métallique, de fragiles branchettes noueuses, à l’écorce orange tachetée. Les buissons arrivaient rarement à ma taille, donc il y avait peu de chances que les favoris de Wanderkhouzé courussent un risque quelconque. La couche de feuilles mortes mélangée au sable cédait comme des ressorts sous nos pas. Le givre scintillait dans l’ombre. Cela dit, cette végétation suscitait un certain respect. Pousser dans ces lieux lui demandait sans doute pas mal d’efforts : la nuit, la température tombait jusqu’à moins vingt, le jour elle montait rarement au-dessus de zéro ; sous les racines il n’y avait que du sable salé. Je ne pense pas qu’une plante terrestre pût s’adapter à des conditions aussi dénuées de joie. Il était étrange de s’imaginer que quelque part au milieu de ces arbustes frigorifiés rôdait, ses talons nus sur le sable couvert de givre, un petit bonhomme tout nu.
Il me sembla percevoir un mouvement dans la broussaille touffue à ma droite. Je m’arrêtai, appelai « Petit ! », mais personne ne me répondit. Un silence gelé, glacial, nous entourait. Pas un bruissement de feuilles, pas un bourdonnement d’insecte. D’où une sensation inattendue comme si nous tournions en rond dans des décors de théâtre. Nous contournâmes une longue langue de brouillard qui pointait d’un marécage chaud et commençâmes à gravir le flanc d’une colline. En réalité, c’était une dune saisie par des buissons. À mesure que nous montions, la surface sablonneuse devenait plus dure sous nos pas. Une fois, hissés sur la crête, nous regardâmes alentour. Les nuages de brouillard dissimulaient l’astronef à nos yeux, mais la piste d’atterrissage restait nettement visible. Le revêtement crénelé brillait gaiement sous le soleil, le ballon abandonné au milieu, orphelin, se détachait en noir ; autour de lui piétinait ce lourdaud de Tom en proie à l’hésitation — de toute évidence, il se débattait avec un dilemme au-dessus de ses forces enlever cet objet étranger de la piste ou, si besoin était, sacrifier sa vie pour cette chose oubliée par un homme.
C’est alors que je remarquai des traces sur le sable gelé, des taches sombres et humides sur du givre argenté. Le Petit était passé par ici, très récemment. Il s’était assis sur la crête, puis s’était levé et avait descendu la pente, s’éloignant du vaisseau. La chaînette de ses pas partait dans le taillis qui emplissait le fond du vallon entre les dunes. « Petit ! » appelai-je de nouveau, et de nouveau il ne répondit pas. Je me mis à descendre dans le vallon.
Je le trouvai aussitôt. Le Petit était couché face à terre, étiré de tout son long, la joue collée au sol, la tête encerclée de ses bras. Il semblait particulièrement étrange et impossible ici, il ne cadrait absolument pas avec ce paysage glacial. Il le contredisait. L’espace d’une seconde j’eus même peur que quelque chose lui soit arrivé. Je m’accroupis à côté de lui, prononçai son nom, puis, devant son silence, lui donnai une claque légère sur son derrière nu et maigre. Je le touchais pour la première fois et faillis hurler de surprise il me parut être chaud comme un fer à repasser.
— A-t-il trouvé ? demanda le Petit sans lever sa tête.
— Il réfléchit. Une question difficile.
— Et comment saurai-je qu’il a trouvé ?
— Tu viendras, et il te le dira immédiatement.
— Ma-man, dit soudain le Petit.
— Oui, mon lapin bleu, murmura Maïka.
Le Petit s’assit, il coula de la position couchée dans la position assise.
— Répète ! exigea-t-il.
— Oui, mon lapin bleu. (Le visage de Maïka pâlit, les taches de rousseur y surgirent brusquement.)
— Phénoménal ! s’exclama le Petit, la contemplant du bas en haut. Casse-noisettes !
J’éclaircis ma voix :
— Nous t’attendions, Petit.
Il tourna ces yeux vers moi. J’eus beaucoup de mal à ne pas détourner les miens. Son visage était malgré tout passablement terrifiant.
— Pourquoi m’attendais-tu ?
— Comment ça, pourquoi … (Je me sentis un peu déconcerté, mais eus aussitôt une illumination.) Nous nous ennuyons sans toi. Nous sommes mal sans toi. Il n’y a pas de plaisir, tu comprends ?
Le Petit bondit sur ses pieds et se rassit immédiatement. Il s’assit très inconfortablement — moi, je n’aurais pas tenu deux secondes dans cette position.
— Tu es mal sans moi ?
— Oui, confirmai-je résolument.
— Phénoménal. Tu es mal sans moi, je suis mal sans toi. Ch-charade !
— Pourquoi donc une charade ? m’affligeai-je. Si nous ne pouvions pas être ensemble, alors là, ce serait une charade. Tandis que nous nous sommes rencontrés, nous pouvons jouer … Tu vois, tu aimes jouer, mais tu l’as toujours fait seul …
— Non, protesta le Petit. Au début seulement. Une fois je suis allé m’amuser au bord du lac et j’ai vu mon image dans l’eau. J’ai voulu jouer avec elle, elle s’est désagrégée. Et j’ai eu très envie d’avoir des images, beaucoup d’images pour m’amuser avec. Et c’est devenu ainsi.
Il sauta et courut, léger, en cercle, laissant derrière ses fantômes surprenants — noirs, blancs, jaunes, rouges. Ensuite il s’assit au milieu et regarda fièrement autour de lui. Je dois vous avouer que c’était un sacré spectacle un gamin nu sur le sable entouré d’une douzaine de statues multicolores dans des positions différentes.
— Phénoménal, commentai-je, et je regardai Maïka pour l’inviter à participer ne serait-ce qu’un peu à la conversation.
Je me sentais gêné de parler sans cesse pendant qu’elle se taisait. Mais elle ne dit rien, se bornant à regarder sombrement, tandis que les fantômes ondulaient et fondaient lentement, émettant une odeur d’ammoniaque.
— Je voulais demander depuis longtemps, fit le Petit, pourquoi vous enveloppez-vous ? Qu’est-ce que c’est ? (Il bondit vers moi et tira sur le pan de ma pelisse.)
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