— Assez. Nous avons le sang chaud. J’en ai eu trois.
— C’est vrai, on m’a dit que tu avais tué trois hommes.
— Pourquoi pas ?
— Tu es une femme.
— Chez toi, les femmes ne combattent pas ?
— Rarement !
— Étrange peuple ! Que font-elles quand on les insulte ?
— Leur mari ou leur père les défend.
— Ah ! je vois. Chez vous, une femme est ou bien seule, sans défense, ou bien en liaison permanente ?
— Oui.
— Je n’aimerais pas la Terre ! Viens-tu ?
— Où cela ?
— Chez moi, bien sûr !
— Non, j’aurai besoin de mon sommeil, cette nuit.
— Soit, dors bien. Va voir le prévôt des combats demain matin, et choisis ton arme. Je te recommande une carabine marque III. Comme ils seront deux, tu auras dix balles. »
Il dormit calmement, déjeuna de bon appétit, se dirigea vers le parc 12. Petersen l’attendait.
« Pas inquiet ?
— Pas spécialement. Risquer ma vie était mon métier. Je trouve simplement un peu stupide de me battre pour si peu.
— Tu n’es pas fier ! Gigolo !
— Que veut dire ce mot ? Oréna n’a pas voulu me le traduire.
— Je comprends, il n’est pas flatteur pour elle non plus. Ça m’étonne que tu ne le connaisses pas, c’est un vieux mot terrien. C’est une injure qu’un Stelléen ne pardonne jamais. »
Il lui en expliqua le sens.
« Tiens, voilà le point où tu seras placé par le prévôt. Tes deux ennemis seront à l’autre bout, un à droite, l’autre à gauche. Au signal, vous vous dirigerez les uns vers les autres. À partir de ce moment-là, tout est permis, sauf l’usage d’armes autres que celles qu’on vous donnera. Vos coups de feu seront comptés depuis cette cabine, là-haut, où se trouvera l’arbitre. Une tricherie, et c’est la mort par expulsion dans l’espace.
— Tu as déjà combattu ici ?
— Une fois seulement. Viens, nous avons seulement trois heures pour que tu étudies le terrain. Tes adversaires le connaissent bien, surtout Hank. »
À midi, Tinkar se rendit chez le prévôt, choisit son arme. Il préféra une courte carabine de fort calibre, à très haute vitesse initiale, qu’il essaya, et qui lui rappela l’arme habituelle des fusiliers de l’Empire.
Quand il pénétra dans le restaurant, accompagné de Petersen, Oréna l’y attendait. À sa vive surprise, une bonne partie des clients lui firent des signes amicaux.
« Ils seront là tout à l’heure, à regarder, expliqua Petersen. J’y viendrai moi aussi.
— Ah ! C’est un spectacle, en plus ?
— Les distractions sont rares, Tinkar ! »
« Tous les peuples sont donc les mêmes, songea le Terrien. Les empereurs organisaient des jeux de cirque, à l’instar d’autres empereurs préhistoriques, dont il avait vaguement entendu parler. Même les Stelléens, qui représentaient peut-être la civilisation la plus haute de ce coin de la galaxie … Mais, pour la première fois, à l’exception d’Oréna et du teknor, l’un d’eux venait de l’appeler par son prénom, et non par la qualification méprisante de “planétaire”.
Ils déjeunèrent tous trois ensemble. Tinkar mangea peu, et ne but que de l’eau, au lieu de la bière habituelle.
« Tu penses t’en tirer ? » demanda un homme en passant.
Tinkar lui sourit.
« Pourquoi pas ? Quelle est la raison de ce changement à mon égard, Oréna ?
— Tu en as pris deux d’un coup ! C’est rare, et ils espèrent que tu te défendras bien.
— Un beau spectacle, eh ?
— Oui, mais pas seulement cela. Nous aimons la bravoure, surtout quand elle est un peu folle. Et Hank n’est pas populaire.
— Je ne suis pas du tout fou, Oréna ! Je n’aurais jamais provoqué ces deux hommes à la fois, si j’avais pu faire autrement, mais j’ai déjà combattu dans des conditions bien pires !
— Méfie-toi de Hank, c’est le plus dangereux, dit Petersen. Pei tire mal.
— Ne vous inquiétez pas. C’est l’heure, je crois. »
Quand il se présenta à la porte du parc 12, une foule bigarrée l’attendait, hommes et femmes mêlés. Inconsciemment il se redressa pour passer devant eux, la carabine à la main droite. Le prévôt l’attendait, en compagnie de ses deux adversaires et de l’arbitre.
« Selon la loi du Peuple des étoiles, vous allez combattre pour effacer les injures. Vos noms ?
— Pei Kwang, technicien.
— Hank Harrison, pilote.
— Tinkar Holroy …
— Planétaire, cria une voix.
— Lieutenant de la Garde stellaire de Sa Majesté l’Empereur Ktius le Septième, acheva-t-il d’une voix calme.
— Bien que le combat d’un seul homme contre deux soit peu fréquent, rien dans la loi ne l’interdit. Vous aurez chacun cinq cartouches par adversaire, ce qui signifie que vous, Holroy, en aurez dix. Vous allez gagner vos postes, et quand la fusée fumigène montera, vous commencerez le combat. Il ne se termina que par la mort du ou des combattants d’un des camps. Vous serez libres d’employer vos armes de la manière qui vous paraîtra bonne. Voici vos munitions. Allez ! »
Tinkar ne bougea pas. Il était déjà presque à son poste. L’arbitre se dirigea vers l’ascenseur qui le conduirait à la petite cabine suspendue, d’où il dominerait les allées et les bosquets. Le public se retira derrière des murs de transplex, montés le matin. Pei et Hank filèrent, applaudis par beaucoup.
« Tuez-le, Stelléens ! »
Le cri perça le brouhaha. Tinkar tourna vivement la tête. Au premier rang, la tête rousse de la nièce du teknor passait au-dessus de la barrière. Hank la salua.
Peu à peu, le silence se fit. Tinkar vérifia que son arme était prête à tirer, neuf coups dans le magasin, un dans le tonnerre. Alors, lentement, il se dirigea vers le bosquet qui était son vrai point de départ, et attendit, les yeux levés vers la voûte.
Il était très calme, comme toujours avant la bataille. Cette absurde bagarre pesait peu en face des périls qu’il avait déjà courus, il lui manquait seulement un compagnon d’armes. Il était isolé dans ce peuple hostile, à l’exception peut-être de deux personnes, dont il n’était même pas sûr. Oréna ? Était-il plus qu’un jouet pour elle ? Que cachait l’amitié subite du chimiste ?
Avec un fusement, le fumigène bondit vers la voûte, monta presque jusqu’au toit de métal, perdu dans l’irradiation, redescendit lentement, suspendu à son parachute, dériva lentement vers lui.
« Deux possibilités, pensa Tinkar. Les attendre, caché, ou aller à leur rencontre. La deuxième est mieux à mon goût. Allons-y. »
Il se glissa doucement vers la gauche, attentif à ne pas heurter des fourrés dont le mouvement l’aurait trahi, fila droit devant lui, vers le ruisseau qui roulait son eau toujours renouvelée, en circuit fermé. Il progressa par bonds, se collant à terre entre eux, écoutant, scrutant les frondaisons. Il déboucha sur une large allée transversale.
« Ils ne l’ont certainement pas encore atteinte et, comme elle va d’un mur à l’autre, ils la traverseront nécessairement. Attendons. »
Il resta longtemps immobile, arme prête, surveillant les deux côtés, masqué par une épaisse touffe d’herbe haute. Là-bas, à près de cent mètres, un bosquet remua légèrement et il concentra son attention sur lui. Au bout d’un moment, quelque chose de blanc bougea. Tout en continuant à jeter un coup d’œil de l’autre côté toutes les cinq secondes, il visa le bosquet. Une tête parut, l’espace d’un éclair, disparut, comme une tête de tortue rétractée dans la carapace. Cela avait suffi au Terrien : Pei ! Tinkar estima la largeur de l’espace nu (15 m), la pesanteur (0,90 g), les possibilités physiques de Pei. Sans élan, deux secondes au moins pour traverser. La vélocité moyenne de sa propre balle était de 800 m/s. C’était court, mais faisable. Il visa le bord opposé au bosquet.
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