— Nolwenn vous a-t-elle parlé du match qui a eu lieu entre l’Argentine et le Mexique ?
Il réfléchit quelques instants.
— Pas que je sache. Elle m’a posé la même question que vous, sans aller plus loin. Je lui ai répondu ce que je vous ai répondu. Elle voulait savoir si ce genre de paris m’intéressaient.
Je m’aventurais en zone dangereuse.
— Et cela vous intéresse-t-il ?
— Trop aléatoire, trop risqué. Il y a trop de personnes concernées. Ce genre de truc, c’est comme pour les grands complots, quand il y a trop de monde impliqué, ça finit toujours par transpirer. En plus, les joueurs, je parle des footballeurs, ne savent pas se taire. Certains ont envie de faire parler d’eux. Le capitaine de la sélection ghanéenne a déclaré à un journaliste qu’il avait été approché depuis les jeux Olympiques d’Athènes pour lever le pied dans certains matches. Tôt ou tard, ils finissent par vendre la mèche pour justifier leur défaite. Pire, il y en a qui veulent le beurre et l’argent du beurre.
— Que voulez-vous dire ?
— Ils dévoilent la machination à certaines personnes et leur proposent de parier. Ils leur prélèvent ensuite une commission sur leurs gains. Parfois, ils choisissent mal leur cible. Un joueur a proposé un marché à un homme qu’il a rencontré dans un bar. Le gars était flic. Ces types-là, ce sont des footballeurs, pas des génies.
— Merci, monsieur Lapierre, j’ai les informations qu’il me fallait.
— Tenez-moi au courant.
— Comptez sur moi.
Je raccrochai.
Christelle Beauchamp me dévisageait, l’air dubitatif.
— C’est bien joli tout ça, mais je ne vois pas le rapport avec la mort de Nolwenn.
— Tout est là, Christelle. Le beurre et l’argent du beurre.
— Ne m’appelez pas Christelle.
Je fermai les yeux pour assembler les pièces et me mis à réfléchir à haute voix.
— Il y a moyen de truquer un match de foot en payant les joueurs. Le Kentucky Fried Chicken. Ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Ils ne savent pas se taire. Ils choisissent mal leur cible. Kuyper se fait tuer. Nolwenn se fait tuer. Block rentre de Bangkok.
— Je ne comprends rien à ce que vous racontez.
Je rouvris les yeux.
— Tout est là !
Elle parut inquiète.
— Vous allez bien ?
Je m’emparai de ma valise et ouvris l’armoire.
— Passez-moi le passeport de Tom. Nous faisons un crochet au consulat de France pour aller chercher votre passeport et nous rentrons à Paris.
— Nous ?
— Nous. J’ai besoin de vous pour arrêter l’assassin de Nolwenn.
Pour la première fois depuis dix jours, j’eus le sentiment que je venais de prendre une bonne décision.
Nous descendîmes à la réception pour les informer de notre départ et régler la note.
Tom, notre ami new-yorkais, tournait en rond dans le hall, les cheveux en bataille, l’air inquiet. Il se rua sur nous dès qu’il nous vit et nous expliqua, en anglais et avec emphase, qu’il était très désappointé parce qu’il avait perdu son passeport, que c’était une réelle pitié, qu’il ne comprenait pas comment une telle chose avait pu se produire et que son avion décollait à midi.
Christelle Beauchamp lui adressa quelques mots de réconfort et poursuivit son chemin.
Il la regarda s’éloigner et en profita pour me demander, la bouche plissée, si j’avais passé une bonne nuit.
En guise de réponse, je lui adressai un clin d’œil entendu.
Ma carrière était émaillée de cocus bêtifiants : des hommes à l’air béat qui retraçaient leur mésaventure au tout-venant au lieu d’adopter un profil bas et de passer leur débâcle sous silence. Certains allaient jusqu’à décrire avec émerveillement les stratagèmes imaginés par leur épouse pour leur fausser compagnie et rejoindre leur amant. Plutôt que d’attirer ma sympathie, cet étalage de naïveté m’exaspérait.
Lors d’un entretien affligeant, j’avais interrompu l’un d’eux alors qu’il énumérait avec force détails les errements nymphomaniaques de son ex-femme.
— Pouvons-nous résumer vos dires en actant que votre femme a entretenu plusieurs relations extraconjugales à votre insu ?
J’escomptais un sursaut d’orgueil, une réaction indignée. Il s’était esclaffé comme si j’avais lancé une boutade.
— Oui, maître, actez que je suis cocu à l’insu de mon plein gré.
Je laissai Tom imaginer ce qu’avait été ma nuit et gagnai la réception. Je changeai des euros en dinars algériens et payai la facture en espèces. Je commandai ensuite un taxi pour le consulat de France.
Christelle Beauchamp s’interposa.
— Il faut d’abord que je passe au poste de police pour déclarer la perte de mon passeport.
— Vous ne me l’aviez pas précisé.
— Ce n’est pas moi qui fais les règlements.
Je me tins coi. Je ne souhaitais pas qu’elle revienne sur les événements de la veille et me ressasse ses griefs en public, d’autant que Tom rôdait dans les parages.
Le taxi arriva dans les minutes qui suivirent, un imposant monospace noir aux vitres fumées, dont le climatiseur était réglé à la température minimale, proche de zéro degré.
Je m’adressai au chauffeur.
— Auriez-vous l’obligeance de monter un tant soit peu la température avant que ma compagne de voyage ne vous le demande de manière plus abrupte ?
Cette dernière leva les yeux au ciel, excédée.
— Ce que vous êtes pompeux.
Si l’ivresse avait l’heur de l’émoustiller, la gueule de bois la rendait insupportable.
Le passage au poste de police nous prit plus d’une heure, laps de temps durant lequel je restai tapi dans le taxi afin de ne pas attirer l’attention des policiers. J’en profitai pour aller sur Internet et acheter deux billets sur le vol Air France qui décollait à 15 h 10.
Je réglai le dû à l’aide de la carte Visa de Willy Staquet et réservai les places aux noms de Thomas Campbell et de Christelle Beauchamp.
Je terminais l’opération lorsque la susnommée fit sa réapparition. Je compris à sa mine renfrognée que la formalité ne s’était pas déroulée sans encombre. Je sortis du taxi et fis le tour du véhicule pour lui ouvrir la portière.
Elle fulmina.
— Bande de cons !
Je m’abstins de lui poser la moindre question.
Un autre taxi vint se ranger le long du trottoir, à une trentaine de mètres du nôtre. Tom en descendit, affairé. Par miracle, il ne remarqua pas notre présence.
Christelle Beauchamp se précipita dans l’habitacle et siffla entre ses dents.
— Quel boulet, celui-là !
Le peu de considération qu’elle accordait à sa victime leva les derniers scrupules que j’éprouvais à avoir assouvi mes pulsions.
Le taxi reprit sa route. Nous traversâmes un vieux quartier pour nous rendre à notre destination. Le centre d’Alger avait des allures de Marseille laissée à l’abandon. Rien ne semblait avoir changé depuis Pépé le Moko.
Le consulat général de France était constitué d’un bâtiment carré de deux étages au toit constellé d’antennes. Trois fonctionnaires en bras de chemise fumaient une cigarette sur le pas de la porte.
Christelle Beauchamp pila devant eux pour qu’ils libèrent le passage et s’engouffra dans l’immeuble en brassant l’air de la main.
Je fis à nouveau le pied de grue, mais l’attente fut de plus courte durée. Elle ressortit du consulat moins d’une demi-heure plus tard.
La célérité de l’Administration française ne parut pas avoir calmé son irascibilité. Elle s’affala sur la banquette et agita une série de papiers sous mes yeux.
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