Je commandai mon petit-déjeuner et le pris tout en surfant sur Internet.
Aucun élément nouveau n’était survenu dans l’affaire Nolwenn Blackwell. En revanche, l’enquête sur la mort de Richard Block avait progressé.
La police n’avait pas trouvé de témoins directs, mais plusieurs personnes avaient déclaré avoir entendu des détonations et vu un homme prendre la fuite. Il était monté à bord d’une voiture de moyenne cylindrée, de couleur blanche, une Renault Clio ou une Volkswagen Golf, dans laquelle un second homme l’attendait. L’homme et le conducteur semblaient de type hispanique.
Ces informations me mettaient hors de cause, mais Witmeur avait pris soin de ne pas me les communiquer.
Pourquoi ?
Question sans réponse.
L’espace d’un instant, j’envisageai l’idée qu’il m’avait menti sur toute la ligne, mais je la rejetai aussitôt. Il n’aurait jamais pris le risque de s’attirer les foudres de sa hiérarchie en montant une telle cabale.
Le plus intéressant n’était pas là.
L’un des articles précisait que Richard Block avait la réputation d’être un homme sans histoires, qu’on ne lui connaissait pas d’ennemis et qu’il rentrait d’un voyage d’affaires à Bangkok lorsqu’il avait été assassiné.
Je relevai que l’une des informations que m’avait communiquées Sac à main lors de son rapport était quelque peu différente. Il ne s’agissait plus ici de vacances en Thaïlande, mais d’un voyage d’affaires à Bangkok.
Par association d’idées, l’évocation de cette destination touristique assortie de tueurs de type hispanique me fit penser que le Mexique, dont avait parlé Witmeur lors de son appel téléphonique, avait peut-être quelque chose à voir dans cette affaire.
Le Mexique avait été battu par l’Argentine lors de la Coupe du monde, à Johannesburg, le 27 juin 2010. Dans la nuit du 27 au 28 juin 2010, Shirley Kuyper avait été assassinée. L’arme qui avait servi était la même que celle qui avait été utilisée le 23 août 2011, lors du meurtre de Nolwenn Blackwell.
Comme cela m’arrivait lorsque je préparais un dossier complexe, j’éprouvai l’impression d’avoir sous les yeux des informations fragmentaires qui s’emboîtaient les unes dans les autres comme les pièces d’un puzzle. Je ne pouvais encore distinguer le fil conducteur qui les unissait, mais je pressentais qu’il existait.
J’interrogeai Google sur le match du 27 juin 2010 qui avait opposé l’Argentine au Mexique. Un premier lien me dirigea vers un site d’actualités sportives.
Le titre ne manqua pas de m’interpeller.
Coupe du monde 2010 — Trop facile pour l’Argentine ?
Roberto Zagatto, le niveau de jeu du Mexique et l’erreur d’arbitrage ont été au cœur des questions que vous avez posées à notre envoyé spécial à Johannesburg. La sélection d’Amérique centrale n’a pas semblé en mesure d’offrir une opposition consistante à l’équipe d’Argentine.
Je fis une nouvelle recherche en y ajoutant les mots erreur d’arbitrage. Le résultat proposé en tête émanait d’un quotidien français en ligne.
Deux grosses erreurs d’arbitrage ont noirci le tableau de la Coupe du monde
Si l’on a coutume de dire qu’un bon arbitre est un arbitre que l’on ne voit pas, ce fut loin d’être le cas durant ce mois sud-africain.
Avec en point d’orgue ces deux énormes erreurs commises le 27 juin lors des matches Allemagne-Angleterre et Argentine-Mexique en huitièmes de finale. Avec, d’un côté, un but refusé et pourtant valable de Franck Lampard, le ballon ayant de manière significative franchi la ligne, et de l’autre, un but accordé à Zagatto malgré un hors-jeu flagrant.
Ces images ont fait le tour du monde. Plus grave, ces décisions ont eu un impact sur le sort des deux rencontres, l’Angleterre étant en position de revenir à 2–2 avant la pause tandis que l’Argentine en a profité pour prendre l’avantage contre le cours du jeu.
Je restai songeur.
Sans pouvoir me l’expliquer, je pressentis que cette information était d’une manière ou d’une autre liée aux autres.
Les mots cours du jeu m’inspirèrent une nouvelle idée. Je relançai la recherche en y ajoutant le mot pari. J’aboutis sur un site de paris en ligne qui proposait les dernières cotes des matches du 27 juin 2010, à quelques heures du coup d’envoi.
Les Argentins sont donnés largement favoris avec une cote de 1,45 sur Bwin. L’exploit mexicain est quant à lui coté à 5,75. La cote du match nul est de 3,50. Juan Tipo va-t-il se réveiller et Roberto Zagatto va-t-il marquer ? C’est un des nombreux side bets proposés par le site aux gamblers.
Je ne compris pas grand-chose au jargon utilisé, mais cette donnée méritait d’être creusée. J’avalai le reste de mon café et remontai bon train dans la chambre.
Christelle Beauchamp venait de terminer son petit-déjeuner et empilait ses vêtements dans sa valise.
Je marquai ma surprise.
— Où allez-vous ?
— Je rentre à Paris.
— Nos passeports sont arrivés ?
— Je rentre à Paris. Seule.
— Sans passeport ?
— J’ai téléphoné au consulat de France pour leur signaler la perte de mon passeport. Ils m’en préparent un nouveau. Il sera à ma disposition dans l’heure qui vient.
— Vous n’aviez pas de visa d’entrée.
— Ce sont des fonctionnaires, pas des détectives privés.
— N’avions-nous pas un accord ?
— Nous en avions un. Vous l’avez rompu. Nous ne l’avons plus.
Pour la seconde fois de la matinée, je sentis la moutarde me monter au nez.
— Et si vous arrêtiez vos gamineries ?
Elle s’arrêta net et mima l’indignation de manière convaincante.
— Mes gamineries ?
— Vos simagrées de femme outrée, si vous préférez. Vous allumez les hommes et vous vous étonnez ensuite qu’il vous arrive des bricoles.
La colère déforma ses traits.
— J’allume les hommes ? Il m’arrive des bricoles ? Une relation sexuelle contre mon gré, c’est ce que vous appelez des bricoles ?
— Je ne parle pas de moi, je parle de cet Américain hier, au bar, que vous avez allumé comme un feu de Bengale.
Elle se mit à hurler.
— Cet Américain, au bar ? Vous savez ce que je faisais avec cet Américain au bar ?
Elle se rua vers sa valise et se mit à fourrager dans ses affaires. Elle en sortit un petit carnet bleu qu’elle me lança au visage.
— Voilà ce que je faisais avec cet Américain.
Je me baissai et ramassai le document.
Il s’agissait du passeport de Tom.
— Je voulais vous aider à sortir du pays sans vous forcer à attendre ces supposés nouveaux passeports. Comme la police belge sait maintenant que vous êtes à Alger, il ne leur faudra pas longtemps pour découvrir que vous vous terrez ici.
Je compris qu’elle jouait la comédie. Elle ne savait rien de l’appel de Witmeur au moment où elle trinquait avec le New-Yorkais.
Je changeai de stratégie et me fis mielleux.
— J’ai mal interprété votre démarche, je vous prie de bien vouloir m’excuser. J’apprécie l’intention, même si je réprouve les moyens. De plus, trafiquer un passeport américain n’est pas à la portée de n’importe qui.
— Inutile de changer la photo, il a le même air niais et content de lui que vous.
Je jugeai son trait d’esprit puéril et m’abstins d’y répondre.
— Je comprends votre énervement. Si vous souhaitez rentrer à Paris, faites-le, je me débrouillerai. Mon passeport arrivera aujourd’hui ou demain, au plus tard. Avant que vous ne partiez, j’aimerais que vous sachiez qu’il y a du nouveau concernant la mort de Nolwenn.
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