J’avais pris un risque insensé pour rien. Il me restait à sortir de ce guêpier sans attirer l’attention. Je revins sur mes pas, éteignis la lumière et sortis de l’appartement.
Je recollai la bande adhésive comme je le pus et me dirigeai vers l’escalier.
Je perçus une sorte de déclic à l’étage supérieur, suivi du ronronnement de l’ascenseur. La cabine entamait sa descente. Quelqu’un l’avait appelé et ce quelqu’un allait monter.
Je l’avais échappé belle, mais il n’y avait pas une seconde à perdre. Je priai pour que personne ne monte à ma rencontre dans l’escalier.
J’accélérai le pas lorsqu’une image traversa mon esprit.
Quelque chose avait attiré mon attention dans le salon. Je ne parvenais pas à déterminer ce dont il s’agissait, mais ce quelque chose venait de titiller mon cortex avec un temps de retard.
Je fis demi-tour, décollai la bande, rallumai et fonçai dans le salon.
Ce que je cherchais n’était pas sur la table, mais sur un appui de fenêtre.
Il s’agissait d’un exemplaire de Die Burger.
Cette fois, je reconnus sans peine la photo en première page : une femme au visage couvert de peinture jaune, affublée d’une perruque verte.
Comment avais-je pu l’oublier ?
Je franchis la porte de l’hôtel et me dirigeai vers la réception. La préposée du matin avait fait place à une femme opulente engoncée dans un minuscule tailleur rouge.
Lorsqu’elle me vit approcher, elle rajusta ses lunettes, planta son crayon dans son chignon et m’adressa un sourire bon enfant.
— Bonsoir monsieur.
— Bonsoir. Chambre 28, s’il vous plaît.
Elle consulta son registre, m’examina quelques instants et hocha la tête.
— Je me disais aussi.
— Pardon ?
— Votre nom. Je me disais bien que ce n’était pas possible.
Il me fallut quelques instants pour me connecter à son réseau.
— Oui, j’ai un homonyme célèbre.
— Non, c’est pas ça, il y a un écrivain qui a le même nom que vous. Marc Levy. J’ai lu tous ses livres. Je suis fan. Vous le connaissez ?
— De nom.
Je m’étais éclipsé de chez Block en emportant le journal et en parvenant à éviter une rencontre mal à propos. J’avais ensuite rejoint le centre de Boulogne-Billancourt où je m’étais terré dans un restaurant italien pour me remettre de mes émotions et attendre la tombée de la nuit.
Vers vingt-deux heures, j’avais pris le métro et sillonné à plusieurs reprises la rue Malar pour m’assurer qu’il n’y avait pas de voiture lestée de deux malabars grillant des cigarettes dans la pénombre.
Si la police était parvenue à remonter ma piste, je risquais de les trouver cachés dans ma chambre. Si tel était le cas, j’espérais déceler leur présence sur le visage de la groupie de Levy.
— Vous n’avez pas reçu de colis ou de visite pour moi ?
Elle fit une moue dubitative.
— Pas que je sache. J’ai pris mon service à vingt heures et ma collègue ne m’a laissé aucun message pour vous. Vous avez lu Le voleur d’ombres ?
— Non, pas lu. Il n’y a pas eu d’appels téléphoniques ?
— Non, pas d’appels pour vous. C’est magnifique, vous devriez le lire.
— J’y penserai.
J’en conclus que la voie était libre ou qu’elle ignorait qu’une embuscade m’attendait à l’étage.
Je pris ma clé et montai.
J’ouvris la porte de ma chambre en retenant ma respiration.
Rien.
La voie était libre.
Je bénéficiais d’un répit. J’envisageai un instant de boucler ma valise et de changer d’hôtel, mais j’étais exténué. Je remis mes projets de déménagement au lendemain.
En sortant du restaurant italien, j’avais appelé Raoul pour lui faire part de mes dernières péripéties.
Il était chez lui et n’avait pas de nouvelles fraîches de ses collègues. Il m’apprit, comme je le craignais, que la clé découverte dans mon jardinet ouvrait l’appartement de Nolwenn.
Je lui avais laissé l’énigme du meurtre de Block et le journal sud-africain à titre de distraction pour le reste de sa soirée.
Je fermai les tentures, ôtai mes chaussures et dépliai le journal sur le lit.
Que signifiaient la disparition de ce quotidien chez Nolwenn et sa réapparition dans l’appartement de Block ?
Les hypothèses étaient légion.
La plus recevable, la plus élémentaire aussi, était que Block avait tué Nolwenn. Il avait attendu mon départ et était monté chez elle. Comme elle le connaissait, elle lui avait ouvert la porte. Il l’avait tuée et s’était servi du journal pour une raison inconnue. Il avait ensuite subtilisé sa clé et était venu l’enterrer dans mon jardin avant de retourner à Paris.
Il me restait à éclaircir le mobile du meurtre, à cerner l’usage qu’il avait fait du journal, à expliquer comment il avait réussi à convaincre Nolwenn d’aller dans son lit pour se laisser tuer et, le cas échéant, à découvrir l’artifice qu’il avait utilisé pour se trouver à l’autre bout du monde au moment du meurtre.
Ensuite, à déchiffrer les raisons pour lesquelles il avait lui-même été tué.
Comme l’aurait décrété Sac à main, si ce n’était pas Richard Block, il s’agissait de quelqu’un d’autre.
Deuxième option, l’assassin de Nolwenn avait pris le journal dans le seul but d’incriminer Block en le déposant dans son appartement.
Dans ce cas, d’autres éléments ne concordaient pas.
Comment l’assassin était-il entré chez Nolwenn puisqu’il n’y avait pas eu d’effraction ? Et pourquoi faire peser des soupçons sur ma personne avec cette clé s’il souhaitait faire porter la responsabilité du meurtre à Block ?
Par ailleurs, la concierge de Block m’avait déclaré qu’elle ne possédait pas la clé, ce qui avait obligé la police à forcer la porte.
Comment l’assassin était-il entré chez Block ?
Je pourrais en déduire qu’il détenait les clés des deux appartements, ce qui pointait du doigt un proche des deux compères, mais n’expliquait pas les raisons des meurtres.
D’autre part, l’assassin de Block était apparemment au fait de son voyage en Thaïlande. Pourquoi tenter de l’incriminer en déposant ce journal chez lui ?
Même si mes déductions me paraissaient logiques, je ne voyais pas où elles me menaient. J’étais certain d’avoir intercepté des pièces du puzzle, mais je ne parvenais pas à les assembler.
Je repliai le journal et décidai de laisser la nuit me porter conseil. Je fis ma toilette, enfilai mon pyjama, cirai mes chaussures et rangeai la chambre.
Le lit émit une longue plainte lorsque je m’allongeai et je revis le visage grimaçant de Lapierre.
J’éteignis, me couchai sur le dos, fixai le plafond, et me repassai le film de la journée.
Ma vie tranquille et ordonnée n’était qu’un lointain souvenir. J’étais un homme traqué, suspecté de meurtre.
En principe, ce 25 août, j’aurais dû aller voir une exposition sur l’art contemporain polonais aux Beaux-Arts en compagnie de Caroline. Nous aurions ensuite mangé un morceau au Vieux Saint Martin. Le repas terminé, nous serions allés chez moi et j’aurais conclu ma petite affaire.
Au lieu de ce programme réjouissant, j’étais seul dans un lit grinçant, en proie aux pires angoisses.
En plus de la perte de mon érection matinale, le bilan de ma journée se résumait à une rencontre avec un suspect qui n’en était plus un, à une chasse à l’homme menée par des policiers qui s’avéraient plus malins que je ne le pensais, à la mise à mort d’un témoin sous mes yeux et à la découverte d’un quotidien sud-africain qui tirait à plusieurs milliers d’exemplaires.
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