L’édition datait du lundi 28 juin 2010.
En combinant mes connaissances de l’anglais et du néerlandais, je parvins tant bien que mal à interpréter le contenu des titres, d’autant que certaines photos me facilitaient la tâche.
Les premières pages se rapportaient à la Coupe du monde de football qui se déroulait à ce moment-là dans le pays.
Je bondis.
Coupe du monde de football signifiait Roberto Zagatto, l’ex-petit-ami de Nolwenn, l’attaquant argentin.
Je sortis mon iPad et consultai Google.
À cette date, la compétition en était aux huitièmes de finale. Deux matches étaient programmés ce jour-là : le Brésil jouait contre le Chili, et les Pays-Bas affrontaient la Slovaquie.
La veille, l’Allemagne avait battu l’Angleterre, et l’Argentine l’avait emporté sur le Mexique.
Ce qui signifiait, en toute logique, que Roberto Zagatto se trouvait sur place.
En fouillant plus avant, je relevai que l’attaquant argentin avait joué les deux mi-temps. Une erreur d’arbitrage avait permis à son équipe d’ouvrir la marque et il avait inscrit les deux buts suivants. Le score final était de trois buts à un pour l’Argentine qui, de ce fait, se qualifiait pour les quarts de finale.
La présence de ce journal chez Nolwenn et sa disparition par la suite signifiaient sans aucun doute qu’il y avait un rapport entre cet événement et sa mort, mais lequel ? Le fait que Richard Block ait été abattu alors qu’il était en possession de ce journal confortait cette thèse.
Roberto Zagatto faisait un suspect acceptable. Il avait entretenu une relation avec Nolwenn. Il était plausible de penser qu’il détenait une clé de son appartement. De plus, ils s’étaient abreuvés d’injures dans la presse lors de leur séparation et il pouvait avoir accumulé une rancœur contre elle. Les choses se précisaient.
Sauf que Roberto Zagatto était à Lisbonne le jour de la mort de Nolwenn et que leur relation avait pris fin quelques mois auparavant.
En conclusion, si j’avais trouvé quelque chose, je ne savais pas de quoi il s’agissait et je n’étais pas plus avancé.
J’en étais là de mes cogitations lorsque mon téléphone sonna.
— Bonjour, monsieur, je m’excuse de vous déranger, mais je viens pour la livraison de votre commande, de la part de monsieur Albert, je suis devant l’hôtel Sheraton, à l’aéroport.
— J’arrive.
Je sortis et tombai sur un grand dadais en salopette bleue et casquette jaune qui semblait sortir d’un dessin animé. D’une main hésitante, il me tendit une grande pochette brune. Je lui remis à mon tour l’enveloppe qui contenait les vingt-cinq mille euros. Il la glissa dans la poche ventrale de sa salopette sans l’ouvrir pour compter les billets à haute voix, ce qui rehaussa l’estime que je portais à Albert.
Alors qu’il allait s’en aller, je sortis de ma poche les quatre billets de cinquante euros que j’avais préparés et les lui fourrai dans la main.
— C’est pour vous, pour la course.
Il jeta un coup d’œil aux billets et dodelina de la tête.
— Merci, monsieur.
Je retournai dans l’hôtel et ouvris le colis.
Tout y était, la carte d’identité, le passeport, le permis de conduire et la carte Visa.
La surprise qu’il m’avait réservée était de taille, mais je ne vis pas d’entrée de jeu en quoi elle pouvait m’être utile ; une carte supplémentaire se trouvait au fond de l’enveloppe. Mon nom et ma photo apparaissaient sur fond de guillochis bleu et jaune.
Trois mots barraient la carte.
Police Politie Polizei
Au verso, mes qualifications étaient reprises dans les trois langues nationales.
Officier de police judiciaire. Auxiliaire du Procureur du Roi et de l’Auditeur Militaire. Officier de police administrative.
Je revins dans le hall de l’hôtel, songeur. Je me rassis et laissai mes pensées partir en roue libre.
Dans quelle direction aller ? Et pour chercher quoi ?
Je repris le journal et m’interrogeai une nouvelle fois sur les éléments que j’y avais trouvés.
Si j’écoutais mon esprit cartésien, la démarche la plus rationnelle consistait à prendre un vol vers l’Angleterre pour y rencontrer Roberto Zagatto et lui demander pour quelle raison ce journal se trouvait au domicile de deux personnes qui avaient connu une mort violente dans un laps de temps rapproché.
Qu’allait-il me répondre ?
Qu’il n’en savait rien !
Cul-de-sac.
J’étais prêt à abandonner la partie, lorsqu’une intuition me vint. Je continuai de feuilleter le journal. Quelques pages plus loin, mon cœur marqua le pas.
Un article manquait.
Il avait été proprement découpé dans la page intitulée Nasionale Nuus , ce qui avait tout l’air d’être la rubrique des faits divers.
Je débarquai à Johannesburg à 8 h 35, après un vol de nuit sans histoire.
Par mesure de précautions j’avais opté pour la compagnie sud-africaine. L’avion avait quitté Paris en fin d’après-midi et avait fait une escale à Munich avant d’entamer la traversée de l’Afrique. Je m’étais offert une place en classe affaires, ce qui m’avait permis de m’allonger de tout mon long et de dormir à poings fermés.
Peu avant l’atterrissage, le pilote nous avait déclaré avec des trémolos dans la voix que l’aéroport O.R. Tambo était classé troisième meilleur aéroport du monde. Malgré mon scepticisme, je ne pus m’empêcher de saluer l’audace architecturale du nouveau terminal.
Je passai sans encombre le contrôle des papiers ainsi que les formalités d’entrée. Un visa n’était pas nécessaire, mon passeport suffisait.
Je sortis de l’aéroport et respirai à pleins poumons. Je me sentais en forme, mon moral remontait. Je n’avais pas de décalage horaire dans les jambes et je me trouvais à neuf mille kilomètres de mes tourments, ce qui me procurait un agréable sentiment d’impunité.
Ce n’était pas ma première visite en Afrique du Sud. J’y étais venu à deux reprises, une première fois en 2000, en compagnie de mes parents, pour faire la route des vins, une seconde fois avec Caroline, cinq ans plus tard, pour nous reposer au Cap.
Avant de quitter Paris, j’avais troqué ma carte téléphonique prépayée pour un abonnement, en vue de conserver mon numéro de téléphone et de pouvoir l’utiliser à l’étranger. À toutes fins utiles, j’avais également testé ma carte Visa et changé des euros en dollars.
Tout allait bien.
Je me rendis à la station de taxis.
L’une des voitures — pour autant que l’on puisse appeler cela une voiture — avança. Le chauffeur en sortit et ouvrit le coffre pour y mettre ma valise. C’était un métis famélique d’un âge indéfinissable qui flottait dans un jean rapiécé et une chemise trop grande. Il plaqua un sourire sur son visage, il lui manquait quelques touches au clavier.
J’annonçai l’hôtel Hilton. J’y avais réservé une chambre par Internet. Il se trouvait dans le quartier des affaires, à Sandton, au nord de Johannesburg. D’après les recherches que j’avais effectuées, c’était l’un des meilleurs de la ville.
Nous quittâmes l’aéroport et prîmes l’autoroute. Le printemps venait de s’installer dans l’hémisphère sud, il faisait tout au plus quinze degrés et je dus enfiler un pull. Nous roulâmes durant une vingtaine de minutes et arrivâmes à l’entrée de la ville. J’avais gardé de Johannesburg l’image d’une ville américaine de seconde main qu’un homme d’affaires était parvenu à revendre aux Africains.
Je débarquai à l’hôtel, m’installai dans la chambre et inspectai les lieux. Les périples que j’avais accomplis sur le continent africain m’avaient appris que les étoiles locales ne brillaient pas du même éclat qu’en Europe.
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