Ulcéré, j’interrompis l’altercation et le priai de me déposer sur-le-champ.
Le plan de quartier m’indiqua que je me trouvais à l’entrée de la rue des Abondances. Block n’habitait qu’à quelques centaines de mètres. Il n’avait fallu qu’une heure à Sac à main pour rassembler les informations que je lui avais demandées.
Richard Block avait cinquante-trois ans. Chef d’entreprise, célibataire, il résidait à Boulogne-Billancourt dans un appartement dont il était propriétaire. Depuis quelques jours, il était en vacances en Thaïlande, mais il avait écourté son séjour pour assister aux funérailles de Nolwenn. Selon Raoul, son retour à Paris était attendu en fin d’après-midi. Il passerait sans doute la nuit chez lui et prendrait le premier Thalys le lendemain pour se rendre à Bruxelles.
Dans la foulée, Raoul m’en apprit davantage sur le personnage.
Ancien mannequin vedette pour Hugo Boss, Richard Block avait créé l’agence Gotha à la fin des années 80, quand sa silhouette athlétique avait fait place aux rondeurs.
Comme quelques autres avant elle, Richard Block avait fait Nolwenn. Il l’avait découverte dans un concours et l’avait lancée dans la cour des grandes.
Au début de leur collaboration, elle avait été sa mascotte, sa gagneuse, dans le bon sens du terme. La relation privilégiée qu’il entretenait avec elle s’était assombrie avec la venue du succès et le début de ses caprices.
Ses retards et ses absences lui avaient valu nombre de problèmes, de plaintes et de dédits. Plus d’une fois, il l’avait menacée d’intenter une action en justice contre elle pour non-respect des termes d’un contrat. On ne sait comment, elle était toujours parvenue à l’amadouer.
Il faisait dorénavant partie de ses créanciers privilégiés. Il espérait que le mariage de sa protégée avec Lapierre lui permettrait de récupérer une partie des indemnités qu’il avait dû débourser pour pallier son inconstance.
Cette dernière information me permit de mieux comprendre l’allusion que Lapierre avait glissée quant à l’éventuelle implication de Block dans la tentative d’extorsion de Nolwenn.
Elle a pris la mouche et a voulu se venger, sans doute sur le conseil de son pseudo agent artistique.
Je m’enfonçai dans la rue des Abondances et pris à gauche dans la rue Anna-Jacquin.
La rue était bordée d’arbres derrière lesquels se tapissaient des immeubles de trois à quatre étages entourés de grilles ou de murs de deux mètres de haut.
Je remontai d’une centaine de mètres et perçus une animation sur le trottoir.
J’approchai.
Quelques badauds étaient tenus à distance par un policier. Une dizaine d’individus s’affairaient autour d’un homme qui gisait sur le trottoir. Une ambulance et deux voitures de police étaient garées à proximité.
J’éprouvai l’étrange impression de revivre une scène dont je connaissais le fil conducteur.
Je savais d’instinct que l’homme à terre était Richard Block, qu’il n’avait pas glissé en descendant du trottoir et que mes ennuis venaient de gagner en consistance.
Je traversai la rue et me mêlai aux curieux.
D’un air distrait, j’interpellai l’un d’eux.
— Que s’est-il passé ?
Il se pencha vers moi, heureux de pouvoir livrer le scoop à un non-initié.
— C’est un de mes voisins, il a été abattu alors qu’il rentrait chez lui. Il paraît qu’une voiture l’attendait et qu’on lui a tiré dessus. Il est mort sur le coup.
Je fis mine d’être épouvanté.
— C’est un homme politique ?
— Non, il travaillait dans la mode. Il n’était pas souvent là. Plutôt sympa, avec un genre, si vous voyez ce que je veux dire. Il rentrait de voyage, à ce que j’ai compris. Je ne sais pas ce qui peut expliquer ce meurtre.
— Il habitait dans la rue ?
L’homme fit un geste du menton.
— Oui, dans cet immeuble.
Comme je m’y attendais, il m’indiqua le numéro 33.
C’était un immeuble semblable aux autres, une construction de quatre étages avec de petits balcons protégés par un parapet en verre fumé.
La grille qui donnait accès à la propriété était ouverte et deux femmes discutaient en gesticulant à l’entrée. J’en conclus que l’une d’elles était la concierge. Soit elle ne voulait pas déserter son poste, soit elle répugnait à s’approcher du cadavre.
En temps normal, j’aurais pris mes jambes à mon cou, mais la norme avait changé.
Je me dirigeai vers elles d’un pas décidé et les interpellai.
— Bonjour, je suis l’avocat de monsieur Block. Y a-t-il un membre de la police dans son appartement ?
Elles s’arrêtèrent de parler et m’examinèrent en coin. Mon allure hautaine et ma prestance les impressionnaient.
Celle qui devait être la concierge prit la parole.
— Tout à l’heure, des policiers m’ont demandé d’ouvrir la porte et sont montés, mais ils sont repartis après quelques minutes.
Je pris l’air réprobateur.
— Ils vous ont demandé d’ouvrir la porte ?
Elle afficha la tête d’une gamine prise la main dans le bocal de bonbons.
— Oui, mais je n’avais pas la clé, ils ont forcé la porte.
J’écarquillai les yeux, ébahi, incrédule, comme j’avais appris à le faire lorsqu’un confrère faisait une déclaration qui désavantageait ma cause.
— Ils ont forcé la porte ?
— Oui, je ne savais pas, moi.
J’avançai d’un pas.
— Je vais aller voir ça.
Elle n’opposa aucune résistance.
Je pénétrai dans le parc intérieur et jetai un coup d’œil à la façade. Les volets du troisième étaient descendus. C’était vraisemblablement l’appartement de Block, il rentrait de voyage.
J’évitai l’ascenseur et pris l’escalier.
Je débarquai sur le palier du troisième. La serrure avait subi les assauts d’un outil barbare et des scellés avaient été apposés.
Une bande jaune était collée au chambranle et annonçait Police nationale — Prélèvement — Ne pas ouvrir. Une fiche cartonnée assortie d’un tampon annonçait Scellé provisoire.
Mon rythme cardiaque s’accéléra.
Devais-je entrer ou m’abstenir ?
Je me trouvais à nouveau dans une position inconfortable, face à un dilemme cornélien.
Je fermai les yeux et attendis que les battements de mon cœur s’apaisent. J’aspirai une grande goulée d’air et me programmai psychologiquement à affronter le pire des cas.
Je suis l’avocat de Richard Block. Nous avions prévu de nous rencontrer à son retour de Thaïlande. Il est de mon devoir de comprendre ce qui est arrivé à mon client. Je dois connaître les raisons qui ont poussé la police à forcer la porte de son appartement.
J’ancrai ce mobile dans ma tête, décollai la bande et ouvris la porte.
L’appartement sentait le renfermé. J’actionnai l’interrupteur et la lumière s’alluma.
Il me fallait agir vite. Je n’avais pas la moindre idée de ce que je venais chercher, mais je ne pouvais pas m’éterniser.
Je procédai à un rapide tour des pièces : mobilier minimaliste, tapis coûteux, appareils high-tech , quelques œuvres d’art insolites au mur. L’appartement était propre et rangé.
Je pénétrai dans le bureau.
Une grande photo en noir et blanc qui représentait un homme élégant occupait le mur du fond. Je présumai qu’il s’agissait du propriétaire des lieux, un quart de siècle auparavant.
Quelques papiers étaient étalés sur le plan de travail.
J’y jetai un coup d’œil.
Pour l’essentiel, il s’agissait de factures, de formulaires administratifs, d’extraits de comptes et de dépliants publicitaires. Je n’avais pas le temps d’examiner les documents en détail et les emporter était suicidaire.
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