Il en resta bouche bée.
Buekenhoudt se leva et s’interposa.
— Calmez-vous, monsieur.
Je tenais le bon bout et il ne fallait pas que je le lâche. Du coin de l’œil, je regardai par la fenêtre et vis que les journalistes s’étaient passé le mot. Une dizaine de photographes étaient agglutinés devant l’immeuble et attendaient ma sortie, encadré par les policiers, menotté de préférence.
Je les pointai d’un geste théâtral.
— Voilà ! Vos amis les photographes sont arrivés, le spectacle peut commencer. J’imagine sans peine les titres dans les journaux de demain. Perquisition chez l’avocat Hugues Tonnon, le dernier à avoir vu Nolwenn Blackwell vivante. Et la présomption d’innocence, qu’est-ce que vous en faites ? Était-il nécessaire d’ameuter la presse pour débarquer ici ?
Buekenhoudt se fit plus incisif.
— Maintenant, bouclez-la ou je vous embarque.
L’entrée inopinée de Witmeur mit fin à l’accrochage.
Il était accompagné de l’un de ses sbires. Les chaussures de ce dernier étaient crottées et répandaient des pelletées de terre grasse dans le salon. Ses mains étaient souillées comme s’il avait fouillé le sol. L’air triomphant, il tenait un objet métallique entre le pouce et l’index.
Witmeur interpella Buekenhoudt.
— Monsieur le commissaire, nous avons trouvé ceci dans l’un des parterres du jardinet situé devant l’immeuble. La terre a été retournée il y a peu, ce qui a attiré notre attention.
C’était une clé Yale, comme il en existe des millions dans le monde.
Buekenhoudt m’interpella.
— D’où vient cette clé, Monsieur Tonnon ?
Je soupirai.
— Je n’en sais rien. Il y a plusieurs appartements dans cet immeuble, c’est peut-être l’un de mes voisins qui l’a dissimulée à cet endroit, en cas de perte.
Hormis le juge, ils opinèrent tous trois du bonnet.
J’avais une vague idée de ce que l’on pouvait faire de cette clé.
J’étais prêt à parier vingt ans de ma vie qu’elle ouvrait l’appartement de Nolwenn Blackwell.
La salle d’audience était comble.
Avec sa hauteur de plafond et ses colonnes en marbre, elle ressemblait à n’importe quelle salle d’audience.
À la table des juges, en surplomb de deux bons mètres par rapport à la position que j’occupais, Witmeur présidait, le regard hautain, l’épaule accusatrice. Buekenhoudt et Grignard étaient assis de part et d’autre. Tous trois portaient des robes noires et étaient coiffés d’épaisses perruques à rouleaux.
J’étais à la barre, vêtu d’un seul caleçon.
Witmeur se leva et prit un ton solennel.
Sa voix résonna curieusement dans l’hémicycle.
— Résumons. Vous tentez de séduire la victime, celle-ci se défend, vous la tuez puis vous la violez. Vous rentrez chez vous à pied, vous faites disparaître la clé, puis vous appelez un taxi et vous retournez chez la victime pour vous changer.
Il confondait tout.
Je levai une main.
— Objection, Votre Honneur.
Il posa les mains sur la table, se pencha dans ma direction et se mit à hurler.
— Ta gueule, Tonnon, c’est moi qui cause !
Je me réveillai d’un coup, le cœur battant, le corps trempé de sueur.
Il était 4 h 10. Il faisait nuit noire.
Dans moins de deux heures, le soleil se lèverait et ils viendraient sonner à ma porte.
J’ouvrirais.
Witmeur et Grignard seraient là, frais et dispos.
Ils m’annonceraient que la clé qu’ils avaient trouvée dans mon jardin ouvrait l’appartement de Nolwenn Blackwell. Je prendrais l’air surpris. Ils me demanderaient des explications. Comme je n’en aurais pas, ils me présenteraient le mandat d’arrêt et me passeraient les menottes.
Dans la journée, ils recevraient les résultats des analyses ADN et établiraient le mobile du meurtre.
Crime passionnel.
Ils me placeraient en détention préventive à Forest ou à Nivelles. Au mieux, il me resterait mon téléphone portable et l’heure de visite quotidienne pour tenter de prouver mon innocence, mais plus personne n’y croirait.
Patrick ferait son possible pour me sortir de là, mais des affaires moins périlleuses l’attendraient. Sac à main, mon fidèle enquêteur, me laisserait tomber. Maxime s’emparerait de ma clientèle et Caroline nierait m’avoir connu. Mes amis ne seraient plus mes amis. Seuls mes parents me renouvelleraient leur confiance.
Mon procès aurait lieu dans un an ou deux et je serais déclaré coupable. Même si le crime passionnel était l’homicide le moins sévèrement puni, j’écoperais de quinze à vingt ans de prison, eu égard à la préméditation.
Terminé les parcours de golf sur les plus beaux sites de la planète, les folles descentes à ski sur les pistes de Courchevel, les parties de bridge du jeudi soir, les goûters du dimanche après-midi chez mes parents, les sorties arrosées avec mes confrères et les étreintes furtives au petit matin.
On m’enfermerait dans une cellule infâme équipée d’un lit trop étroit, d’un matelas éventré et de draps répugnants.
Je serais contraint de vivre dans une promiscuité étouffante. Je devrais me déshabiller, uriner et déféquer devant mon codétenu. On me servirait de la nourriture infecte, de l’eau croupissante et du café bouilli. Une fois par semaine, je me ferais violer dans les douches.
Je me levai d’un bond et tentai de chasser mes idées noires.
Je me servis un verre de cognac et l’avalai d’un trait. Il avait le goût de mon cauchemar.
Mon sort m’apparut comme une évidence. Je ne sortirais jamais de cette prison, je serais mort bien avant. Et si la mort ne m’emportait pas, j’en sortirais vieux et usé.
Ma vie était finie.
L’alternative était de prendre la fuite, mais mon échappée signifierait ma culpabilité. Patrick ne validerait pas ce choix. Je serais seul, loin de tout, livré à moi-même.
J’avalai un second verre de cognac.
La chaleur de l’alcool commença à se répandre dans mon corps.
Rester et mourir ? Partir et vivre ?
Poser la question équivalait à y répondre.
Partir pour aller où ?
Demain, un avis de recherche international serait lancé. Je ne pourrais ni entrer dans un aéroport ni passer une frontière. Mes comptes en banque seraient bloqués et mes cartes de crédit inutilisables. Je ne pourrais utiliser ni mon téléphone portable ni mon adresse de messagerie sous peine d’être localisé dans les dix minutes. Je devrais éviter les caméras urbaines, changer mon apparence, me laisser pousser la barbe, porter des lunettes noires.
Je serais le fugitif, le nouveau Richard Kimble, à la recherche de l’assassin de Nolwenn.
C’était ma seule issue, trouver celui qui avait commis ce meurtre.
Quelles étaient mes chances ? Je n’avais aucune piste, aucun indice, aucun témoin, aucun manchot en vue.
J’avalai un troisième verre de cognac.
Cette fois, l’alcool partit en ligne droite vers mon cerveau. Une douce euphorie m’enveloppa.
Le crime parfait n’existait pas. Je trouverais l’assassin de Nolwenn. Le meurtrier avait commis une erreur. Un voisin se souviendrait, des indices apparaîtraient, des témoins parleraient, des preuves émergeraient.
Après une chasse impitoyable, je rentrerais en tirant le responsable par le collet. Je le livrerais à la justice, je jetterais les preuves sur le bureau de Witmeur. Il blêmirait et se confondrait en excuses.
Magnanime, je balaierais ses justifications d’un geste large.
Il était 4 h 28.
Je devais prendre une décision, et je devais la prendre sans tarder.
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