Par chance, ils ne trouveraient rien, du moins je l’espérais.
Les clients qui ont connu les affres d’un cambriolage m’ont parlé de la désagréable impression de viol qui en résulte. Sans compter que certains objets oubliés au fond d’un tiroir n’attendent qu’à révéler la part d’ombre peu avouable de leur possesseur.
Il y a peu, une femme était venue me consulter. En faisant du rangement, son mari avait trouvé une valise de belles dimensions cachée au fond d’une armoire. Celle-ci contenait une cargaison de sex-toys aussi colorés qu’innovants.
Pour se disculper, elle avait tenté de lui faire croire qu’elle avait accepté une représentation d’équipements récréatifs pour arrondir ses fins de mois, ce qui justifiait en outre certaines de ses absences.
Le déballage des pièces à conviction au tribunal constitua un mémorable morceau de bravoure.
Je poursuivis ma balade, mais le charme était rompu. Mes croquettes aux crevettes n’eurent pas la saveur escomptée et une contravention m’attendait sur le pare-brise de ma voiture.
Sur la route du retour, je ne pris pas garde aux limitations de vitesse et perçus l’éclair d’un flash dans mon rétroviseur.
J’appelai Patrick pour lui faire part des réjouissances qui me guettaient.
Une nouvelle fois, il se montra serein.
— Tu n’as rien à te reprocher, reste calme et assure-toi que les règles en la matière soient respectées.
— La montre ?
— Il a commis une erreur, il n’aurait pas dû l’emporter, les preuves découvertes lors de perquisitions illégales ne peuvent pas être utilisées contre le suspect.
— Je ne sais pas si on peut parler de perquisition illégale.
— Il avait un mandat ?
— Non.
— Voilà. Sache qu’une perquisition doit être effectuée en proportion de son objectif. En ce qui te concerne, ils ne peuvent pas débarquer chez toi avec des unités spéciales ou une meute de chiens renifleurs.
— Tu me rassures.
— Vérifie aussi le procès-verbal de la perquisition. Tout ce qui n’est pas consigné par écrit est considéré comme inexistant. Tant qu’on y est, surveille ce Witmeur, qu’il ne découvre pas des objets qui ne t’appartiennent pas.
J’avais eu l’occasion de voir Patrick à l’œuvre dans une affaire de fraude. Il avait interpellé l’avocat de la partie adverse et lui avait servi une formule dont il avait le secret.
« Maître Laloux est plus fort que David Copperfield. Si le célèbre illusionniste est capable de faire disparaître des choses qui existent, mon cher confrère est quant à lui capable de faire apparaître des choses qui n’existent pas. »
L’assistance s’était esclaffée, mais l’insinuation lui avait valu un rappel à l’ordre.
Je lui parlai du journal disparu et lui demandai son avis.
— Ils t’ont demandé si tu avais remarqué quelque chose de particulier sur les photos ?
— Non.
— Dans ce cas, ne leur en parle pas, on verra plus tard si on peut exploiter ça.
— Merci, Patrick.
Je raccrochai et éteignis mon portable.
La rentrée approchait, les embouteillages faisaient leur retour. Je n’arrivai au cabinet qu’à dix-sept heures trente.
Véronique m’accueillit avec un sourire crispé.
— Votre cliente vous attend.
Je l’avais oubliée.
— Vous auriez dû me prévenir.
— Vous m’aviez dit en fin d’après-midi. J’ai fixé le rendez-vous à dix-sept heures. Elle attend depuis dans la salle d’attente. J’ai tenté de vous joindre, sans succès. Je lui ai proposé de reporter le rendez-vous, mais elle a insisté pour vous voir aujourd’hui.
— Bien, je vais la recevoir. Comment s’appelle-t-elle ?
— Elle n’a pas voulu me le dire.
Je ne m’en formalisai pas, cette réaction arrivait couramment lorsque la femme était dans la phase de rumination exploratoire. Sa décision n’était pas prise, elle craignait d’être découverte et venait incognito.
J’étais satisfait d’avoir limité cette entrevue à une trentaine de minutes. La prise de contact consistait dans bien des cas à écouter les doléances du plaignant et à dresser l’inventaire des défauts du conjoint incriminé.
Dans ce registre, les femmes se révélaient les plus virulentes. Il leur arrivait de remonter vingt ans en arrière pour me dresser la liste des mots malheureux, des oublis impardonnables, des retours imbibés, des gestes déplacés et des comportements machistes auxquels elles avaient été confrontées durant le long calvaire qu’avait été leur vie d’épouse.
Lorsqu’elles en avaient terminé, l’envie me brûlait de leur demander pourquoi elles avaient épousé un pareil crétin ?
J’entrai dans mon bureau, choisis un dossier au hasard et fis mine de me plonger dans sa lecture.
Véronique frappa à la porte quelques instants plus tard et fit entrer la visiteuse.
La femme qui avançait avait une trentaine d’années.
Elle était aussi élancée que Nolwenn, avait des cheveux noirs mi-longs et affichait un sourire éclatant que son teint mat faisait ressortir.
Le plus troublant était la lueur d’amusement avec laquelle elle me dévisageait de ses yeux vairons. Je savais que cette particularité existait, mais je n’avais jamais eu l’occasion de l’apprécier de visu. Son œil droit était bleu, le gauche marron.
— Maître Tonnon ?
Je souris malgré moi, quelque peu mal à l’aise.
— Enchanté.
— Christelle Beauchamp, ravie de faire votre connaissance.
Mon expérience et ma longue pratique des relations humaines me permirent de percevoir le message évanescent qui ondoyait dans son sillage.
Danger !
J’aurais pu improviser, élaborer une excuse, fournir un prétexte, trouver une échappatoire pour ajourner le rendez-vous et me soustraire au piège que je pressentais.
Je lui indiquai un siège.
— Prenez place, je vous en prie.
J’étais abonné aux mauvaises décisions.
— Je vous écoute.
— Je m’appelle Christelle Beauchamp, j’ai trente-trois ans, j’habite à Paris, j’ai une fille de sept ans.
J’acquiesçai, l’air grave.
— Vous êtes mariée depuis combien d’années ?
Elle leva les sourcils et sombra dans une longue réflexion. Le calcul mental semblait lui poser problème.
— Je n’ai jamais été mariée.
J’accusai réception sans sourciller.
— Vous vivez maritalement ?
Ma question parut la surprendre.
— Non, je vis seule.
— Un compagnon, un homme qui partage votre vie et que vous voyez sur une base régulière ?
— Non plus.
— Le père de votre enfant ?
— Je l’ai flanqué à la porte, il y a cinq ans. Incompatibilité d’humeur.
Je posai mon stylo et joignis les mains.
— Dans ce cas, que puis-je faire pour vous, madame Beauchamp ?
Elle se pencha en avant, un sourire énigmatique aux lèvres, son curieux regard rivé dans le mien.
— Vous savez ce qu’est un poisson koï ?
J’accusai le coup.
Une fêlée.
Ce n’était ni ma première ni ma dernière. En général, Véronique parvenait à les repérer, mais certaines cachaient bien leur jeu.
Lors d’une entrevue préliminaire, une femme m’avait longuement dépeint le désert sexuel qu’elle traversait depuis plusieurs années. Malgré l’étalage de lingerie coquine et le récital de poses lascives, son mari semblait ignorer sa présence.
Voyant que je compatissais, elle s’était levée et s’était déshabillée pour susciter mon avis sur la question. Pris de court, j’avais formulé une vague appréciation sur son anatomie avant de mettre un terme à l’entretien.
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