Maxime ouvrit les bras comme si la réponse allait de soi.
— Gagné.
— Bravo, quelle ligne de défense as-tu choisie ?
Il prit l’air angélique.
— Nemo auditur propriam turpitudinem allegans.
Nul ne peut invoquer sa propre turpitude, vieil adage juridique qui signifiait que nul ne peut réclamer justice si le dommage qu’il subit est le produit de ses actions illicites.
— Félicitations.
Ce dénouement heureux tenait tant à l’opportunisme de Maxime qu’au travail préliminaire de Raoul Lagasse, notre enquêteur. Le souvenir de cet épisode me fit penser qu’il était grand temps de faire appel à lui.
J’attendis que Maxime ait regagné son bureau et composai son numéro.
Il décrocha dès la première sonnerie.
— Maître Tonnon, j’attendais votre appel.
— Il faut que je te voie au plus tôt.
Je le tutoyais, mais il ne parvenait pas à en faire autant, ce qui laissait penser aux témoins de nos échanges que nous entretenions une relation de type suzerain-vassal.
— Je m’en doute. Je termine mon petit-déjeuner, je peux être chez vous dans dix minutes.
— Parfait, je t’attends.
Raoul Lagasse était l’un de mes prestataires extérieurs les plus précieux.
Sa carrière d’inspecteur de police s’était arrêtée, au même titre que sa voiture de service, dans la vitrine d’un magasin de chaussures, à l’issue d’une course-poursuite avec un petit trafiquant de drogue.
En plus de la destruction du véhicule et des dégâts causés au commerce, il avait saccagé une partie du mobilier urbain sur plusieurs kilomètres, embouti une dizaine de véhicules et blessé grièvement le quidam qu’il pourchassait.
Ses excellents états de service n’avaient pas suffi à le soustraire aux sanctions disciplinaires. Pour sauvegarder les apparences, il avait bénéficié d’un plan de retraite anticipée.
Depuis, il avait arrêté de boire et fondé une société spécialisée dans les recherches en tous genres. Il me fournissait un travail de qualité à un prix abordable. Habile communicateur, il entretenait de bons contacts avec ses anciens collègues et bénéficiait d’entrées complaisantes dans de nombreux services.
Dix minutes plus tard, il fit son entrée dans mon bureau.
— Bonjour maître, inutile de m’expliquer, je sais, je lis les journaux.
Il était de taille moyenne et se tenait légèrement voûté. En plus de ses santiags et de ses cravates en cuir, il portait une banane à l’ancienne qui vibrait au gré de son discours.
Dans le milieu qu’il avait fréquenté antérieurement, son teint cuivré et sa peau grenue lui avaient valu des surnoms tels que le Reptile, le Caïman ou Crocodile.
Plus terre à terre, Maxime l’appelait Sac à main.
Je lui fis un résumé de mes péripéties, depuis l’irruption de Nolwenn dans mon cabinet jusqu’à mon entrevue matinale avec Witmeur.
Il hocha la tête à plusieurs reprises avant de se lancer.
— Il raconte ce qu’il veut, votre Witmeur, mais il faudrait peut-être qu’il avance des preuves.
— Me concernant, la présomption d’innocence n’est pour lui qu’une vue de l’esprit.
— Le coup de la montre est un traquenard. Les ripoux ne s’attaquent pas aux avocats. Vous avez bien fait de l’envoyer balader.
J’avais pris la bonne décision.
— Si tu le dis.
— Reprenons depuis le début, maître. Il y a eu meurtre. S’il y a meurtre, il y a forcément assassin et mobile. Si vous n’êtes pas l’assassin, c’est donc quelqu’un d’autre.
J’avais appris à ne pas me fier aux apparences, ses lapalissades et son bon sens populaire permettaient souvent de démêler les fils et d’y voir plus clair.
— Je te suis.
— Si vous voulez savoir qui est l’assassin, commençons par essayer de cerner le mobile. Le vieil adage, maître, savoir à qui le crime profite.
— Le premier nom qui me vient à l’esprit est celui d’Amaury Lapierre.
Il parut surpris.
— Pourquoi ?
— Il n’avait pas envie de se retrouver au tribunal face à son ancienne compagne, encore moins de lui payer un dédit astronomique.
— Astronomique ? Qu’est-ce qu’elle comptait lui demander ? Cinq millions ? Dix millions ?
— Dans ces eaux-là.
— Qu’est-ce que ça représente pour un type de sa trempe ? Un mois de salaire ? D’après la presse, il lui est arrivé de perdre un million d’euros au poker en une seule soirée. Si c’était une question d’argent, son avocat aurait réglé l’affaire à l’amiable, pas besoin de la tuer pour ça.
De fait.
— En effet, Raoul, sans doute y avait-il une autre raison. Peut-être avait-elle appris quelque chose qu’elle ne devait pas savoir, le groupe Lapierre est également actif dans l’armement.
Il écarquilla les yeux.
— Bien sûr, c’est évident ! Comme l’histoire avec Marylin et Kennedy, elle en savait trop. Il fallait la faire taire. Dans un tel cas, que fait-on ?
— On recrute un tueur ?
— Exactement, on recrute un tueur. Un tueur professionnel muni d’une vieille pétoire bruyante qui réveille le voisinage. Un tueur tellement expert dans son domaine qu’il rate sa cible à bout portant et doit l’achever d’un second coup.
La photo de Nolwenn fit sa réapparition.
— Épargne-moi les détails. Tu as une autre idée ?
Il secoua la tête de gauche à droite, ce qui fit frémir sa banane.
— Ce qui m’intrigue, c’est qu’il n’y a pas eu d’effraction. Je n’ai pas vu le dossier d’instruction et ils vous disent ce qu’ils veulent bien vous dire, mais si c’est le cas, ce tueur est un proche de la victime. En d’autres mots, s’il n’y a pas eu d’effraction et qu’il n’est pas entré par une fenêtre, c’est qu’il avait la clé.
— Ou qu’elle le connaissait et lui a ouvert la porte.
— Et quand elle lui a ouvert, il lui a demandé gentiment de bien vouloir retourner dans son lit pour qu’il puisse exécuter sa besogne là-bas ?
— Ça ne colle pas, tu as raison.
— Non, ça ne colle pas. Si elle le connaissait et lui avait ouvert, il l’aurait tuée dans le hall d’entrée. Parions que le légiste attestera qu’elle a été tuée dans son sommeil.
— Il avait donc la clé.
Il me regarda, espérant que je suivrais la piste qui brillait dans ses yeux.
Je fis une tentative.
— Un ancien amant ?
— Pourquoi pas ? Vous pensez à quelqu’un ?
— Le premier nom qui me vient est celui de Roberto Zagatto, le footballeur. Il l’avait plus ou moins menacée de mort dans la presse.
— Oui, mais ses menaces de mort étaient purement médiatiques. Zagatto disputait un match amical à Lisbonne lundi soir. Il n’est rentré en Angleterre que mardi après-midi. Je me doutais que vous alliez m’appeler, j’ai vérifié.
— Qui avait donc cette clé ? Le concierge de l’immeuble ? Ses parents ? Un cambrioleur ?
— Un cambrioleur ? Quelque chose a disparu ?
— Tes ex-confrères ne m’ont rien laissé entendre qui allait en ce sens.
— Vous n’avez rien remarqué sur les photos ?
— Non, rien de particulier. Je ne pense pas qu’il y ait un coffre dans l’appartement. Elle n’y venait qu’à l’occasion.
— Elle ne vous a rien dit qui pourrait laisser penser qu’elle se sentait menacée ?
— Non, rien. Elle était furieuse, mais vivante et bien dans sa peau.
Il se pencha en avant et prit le ton de la confidence.
— Avez-vous pensé, ne fût-ce qu’un instant, que la cible pourrait être différente ?
— C’est-à-dire ?
— Que vous soyez la cible de ce montage. Que ce soit vous la personne visée. Que quelqu’un cherche à vous neutraliser.
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