— Que contenait ce message ?
— Elle n’en menait pas large. Elle ne m’a pas donné de détails. Elle disait avoir fait une connerie et voulait m’en parler.
Je constatai avec déplaisir qu’ils étaient déjà sur place lorsque j’arrivai à mon domicile.
J’escomptais que leur intervention se déroule dans la dignité, la décence et le respect de la vie privée. Peine perdue, deux voitures non banalisées, équipées de l’attirail au grand complet, étaient garées devant chez moi, portières grandes ouvertes. Par chance, ils avaient coupé la sirène et le gyrophare.
Une demi-douzaine de flics attendaient devant l’immeuble en grillant des cigarettes et en s’interpellant joyeusement. Fort à propos, quelques voisins avaient choisi ce moment pour sortir leur chien ou prendre l’air. Deux d’entre eux conversaient sur le trottoir d’en face en jetant de fréquents coups d’œil à l’armada de policiers.
Des années de sourires courtois, de civilités et de bons offices balayées en l’espace de dix minutes.
Witmeur se détacha du groupe et vint à ma rencontre.
Les autres adoptèrent aussitôt la gravité que l’on affecte lors des enterrements auxquels on ne peut se soustraire.
— Nous vous attendions.
Je consultai ma montre.
— Nous avions convenu de nous voir à dix-neuf heures, il est dix-huit heures quarante-cinq, il reste quinze minutes.
Il tendit le bras pour bloquer ma progression dans l’allée, fit saillir sa mauvaise épaule et assombrit son regard.
— Je suis désolé, nous ne pouvons pas vous laisser entrer. Nous n’aimerions pas que certaines preuves disparaissent subitement.
— Certaines preuves ? Comme l’arme du crime ?
Il plissa le front en se décrochant la mâchoire, à la manière de Robert De Niro.
— L’arme du crime ou un objet appartenant à la victime, des valeurs, un bijou, une montre, que sais-je ?
Je soupirai.
— Si vous êtes pressé de trouver vos preuves, suivez-moi.
Il fit un signe de tête et sa clique lui emboîta le pas. Hormis Witmeur, je n’avais jamais vu les autres. Pas de trace de Grignard ni de Buekenhoudt.
J’ouvris la porte et embrassai la pièce du regard.
Comme chaque matin, la femme de ménage était passée. Tout était propre et en ordre, chaque chose était à sa place et l’appartement sentait le frais.
Je leur fis signe d’entrer et ôtai mes chaussures, espérant qu’ils en fassent autant. Deux flics échangèrent un sourire de connivence.
Je pensais qu’ils allaient se ruer dans l’appartement et se mettre à tout saccager, mais ils demeurèrent sur le pas de la porte.
J’interpellai Witmeur.
— Vous attendez un bristol ?
Il resta imperturbable.
— Le juge d’instruction va arriver d’un instant à l’autre.
J’entendis au même moment le bruit d’une voiture qui manœuvrait, puis des claquements de portières.
Buekenhoudt apparut, suivi de Grignard et d’un homme de taille moyenne au teint cireux et au nez de travers. Ce dernier semblait nerveux et mal à l’aise. Ses mains étaient crispées sur un porte-documents qu’il pressait contre sa poitrine comme s’il contenait les clés du code nucléaire.
Les flics se mirent au garde-à-vous et Buekenhoudt fit les présentations.
Le juge s’appelait Jacques Descamps. Il grimaça un sourire et me serra la main. Son regard fuyant confirmait son embarras.
Je lui rendis un sourire sans chaleur.
— Enchanté.
Sa présence à la perquisition signifiait qu’il considérait cette affaire comme sensible. Il savait qu’il marchait sur des œufs et tenait à ce que tout se déroule au mieux.
En son temps, Napoléon prétendait que le juge d’instruction était l’homme le plus puissant de l’État. L’affirmation était exagérée, mais il possédait un réel pouvoir. De nos jours, la surcharge d’affaires l’obligeait à déléguer certaines de ses compétences aux policiers. Le revers de la médaille est qu’il ne possédait pas une maîtrise totale sur eux.
Pour preuve, l’opiniâtreté de Witmeur à mon égard.
Je tenais à lui démontrer que je n’avais rien à craindre ou à me reprocher et que je n’hésiterais pas à exploiter le moindre vice de forme.
Il se tourna vers Witmeur et sa clique.
— Faites votre travail, messieurs.
Comme un seul homme, ils enfilèrent leurs gants de latex et s’éparpillèrent dans l’appartement.
Les perquisitions ne faisaient pas partie de mon univers. En revanche, l’inventaire était un exercice auquel j’avais régulièrement été confronté.
Il se déroulait au domicile des époux, souvent en présence du notaire qui devait estimer la valeur des biens. L’épreuve donnait souvent lieu à des échanges musclés.
Lors d’une affaire, l’un de mes clients m’avait demandé de l’assister. Les rapports avec sa femme étaient tendus et il mettait en doute sa bonne foi. L’inventaire devait se dérouler dans une maison bourgeoise située dans un quartier huppé de la capitale.
À l’exception d’un matelas, la maison avait été vidée de fond en comble. Avec un aplomb déconcertant, la femme soutint qu’ils avaient toujours vécu de cette manière et que c’était l’une des causes de son départ.
Ils avaient failli en venir aux mains.
À présent, il n’était plus nécessaire de réaliser un inventaire notarié, les époux pouvaient rédiger eux-mêmes la liste de leurs biens, ce qui donnait parfois lieu à des annotations vaudevillesques telles que : une statue de la Vénus de Milo (bras manquants) ou un exemplaire du Kamasutra (peu utilisé).
Je restai au salon en compagnie de Descamps et de Buekenhoudt. Après un temps, je les invitai à s’asseoir.
Nous restâmes trois bonnes minutes sans aucun échange de mots.
Pour ma part, le silence ne m’embarrassait pas.
Je le considérais comme l’un de mes alliés les plus précieux. Je pouvais rester silencieux de longues minutes, le visage impassible, le regard impénétrable, tout à l’observation de la gêne grandissante dans le chef de mes interlocuteurs.
En l’occurrence, le magistrat n’en menait pas large et il me tenait à cœur d’exploiter cette faille. Pour se soustraire au poids du silence, il s’était perdu dans la contemplation de l’Alechinsky qui ornait le mur latéral.
Buekenhoudt prit l’initiative de relâcher la tension.
— S’il y a des papiers, nous préférons emporter le tout et les examiner au bureau.
— Il n’y a aucun papier ici. Et n’essayez pas d’inclure dans votre protocole l’objet que monsieur Witmeur a emporté illégalement ce matin.
Il jeta un coup d’œil à Descamps, dans l’espoir qu’il vienne à sa rescousse.
Ce dernier prit la parole en veillant à ne pas croiser mon regard.
— Nous connaissons notre métier. Si nous estimons que cela s’avère nécessaire, nous perquisitionnerons le cabinet de monsieur l’avocat.
Il y avait bien longtemps qu’un juge ne m’avait interpellé en usant de cette formule désuète.
Je me levai d’un bond, le fixai dans les yeux et pris un ton offusqué.
— Je vous invite également à perquisitionner mon véhicule, ma cave à vin et mon appartement à Courchevel, j’aurais pu y faire un saut pour y dissimuler des preuves.
Buekenhoudt en avait vu d’autres, il me considéra d’un air las, comme s’il avait affaire à un ivrogne lancé dans une tirade grandiloquente.
En revanche, l’embarras du juge était palpable.
Il se leva à son tour.
— Monsieur Tonnon, ne rendez pas les choses plus difficiles qu’elles ne le sont.
— Plus difficiles qu’elles ne le sont ? Vous plaisantez ? Vous savez ce que j’endure depuis deux jours ? La presse, les interrogatoires, les appels téléphoniques, les visites matinales, les remarques acerbes, le mandat de perquisition. Je ne suis qu’un témoin, mais toutes ces démarches font de moi un coupable en puissance. Ma réputation est ternie à jamais. Ma compagne m’a quitté, mes amis sont muets, mes clients sont absents. Je m’attends à être radié du Barreau. Alors, je me permets de vous poser une question, Monsieur le juge, qui rend les choses difficiles à l’autre ?
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