— C’est comme cela que je l’ai perçu. Pourtant, je l’ai sentie déterminée, sûre d’elle. Elle semblait convaincue d’obtenir une indemnité de rupture. Sans doute avait-elle quelque chose à monnayer. Son silence, par exemple.
— Dans ce cas, elle ne serait pas venue vous trouver, je vous vois mal jouer l’intermédiaire dans une affaire de chantage.
Déduction pleine de bon sens.
— Qui pouvait lui en vouloir au point de la tuer ?
— Si j’exclus ses consœurs qui l’ont envoyée au diable en lui souhaitant la mort, il y a les innombrables personnes à qui elle a fait faux bond et qui ont perdu de l’argent à cause d’elle. Il y a aussi la brochette de personnages plus ou moins louches qu’elle fréquentait, hommes d’affaires véreux, dealers, trafiquants, prostituées de luxe, proxénètes, caïds. Plus la racaille habituelle qui rôde dans ce milieu.
— Ce qui fait du monde.
— J’en oublie certainement.
— Tu écartes toujours la possibilité que Lapierre soit derrière le meurtre ?
— Je ne vois pas de mobile suffisant, en tout cas pas à première vue, mais je pourrai vous en dire plus dans quelques jours. Les obsèques ont lieu demain après-midi, je compte passer y faire un tour.
— En attendant, j’aimerais que tu te renseignes sur plusieurs points.
— Je vous écoute.
— Une certaine Christelle Beauchamp est venue me voir hier soir. Elle s’est présentée comme journaliste indépendante et a déclaré préparer la biographie de Nolwenn Blackwell. Selon elle, Nolwenn lui aurait laissé un message disant qu’elle avait fait une connerie.
— C’est noté.
— Autre chose, la police a effectué une perquisition chez moi hier soir. Ils ont trouvé une clé enterrée dans le jardinet devant l’entrée.
Il fulmina.
— Quelle coïncidence ! J’étais certain que l’assassin avait la clé de l’appartement de Blackwell. Comme vous étiez sous le feu des projecteurs, il en a profité pour vous charger.
— Sans doute, mais à cette heure, je ne sais pas encore si cette clé ouvre l’appartement de Nolwenn et l’information ne se trouvera pas dans les journaux. Tu peux te renseigner ?
— Je m’en occupe.
— J’aimerais aussi que tu t’intéresses à Amaury Lapierre, il n’est peut-être pas dans le coup, mais il sait sûrement quelque chose. J’aimerais connaître l’adresse de son domicile, celle de son bureau, ses habitudes, où il déjeune, qui est son coach personnel ou sa masseuse attitrée.
— D’accord. Vous êtes joignable à ce numéro ?
— Oui.
— Je vous appelle dès que j’ai du nouveau.
— Une chose encore, Raoul.
— Oui ?
— Merci.
Je sortis du bistro, toujours en tractant ma valise comme le dernier des touristes.
Il me fallait à présent trouver un hôtel.
Je devais d’emblée exclure les cinq étoiles et les hôtels faisant partie d’une chaîne, ils exigeraient une pièce d’identité ou une empreinte de ma carte de crédit.
Je poursuivis ma route et entrai dans le métro à la station Saint-Paul. J’en ressortis quinze minutes plus tard à Franklin-Roosevelt et descendis l’avenue Montaigne à la recherche d’un hôtel discret.
Je passai devant les boutiques de luxe avec un serrement au cœur. Je me revoyais chez Chanel quelques mois auparavant, Caroline à mes côtés, me suggérant de lui offrir un petit souvenir de Paris.
Quelques mètres plus loin, une librairie se vantait de distribuer l’intégralité de la presse internationale.
Je pénétrai dans la boutique à la recherche des titres belges.
À l’heure qu’il était, ma disparition ne pouvait être suspecte. Je n’étais pas inculpé et n’étais encore qu’un témoin. Il y avait peu de chances pour que ma photo soit exposée dans les journaux ou que mon nom soit cité.
Je pris Le Soir et La Libre Belgique dans les rayonnages. De fait, le nom de Blackwell ne se trouvait plus en première page, éclipsé par la victoire de l’équipe belge de hockey contre l’Espagne.
Un quotidien glissé dans un présentoir voisin attira mon attention.
Bejaarde aangeval’n dag ná moord in buurt
Le titre à la une était proche du néerlandais, mais ce n’était pas du néerlandais. Je fermai les yeux et revis la table encombrée dans le salon de Nolwenn. Le titre du journal trouva sa place dans ma mémoire.
J’interpellai la femme qui se tenait derrière la caisse.
— Pardon, madame, il vient d’où, ce journal ?
Elle avança la tête.
— Die Burger ? Afrique du Sud.
Que faisait un quotidien sud-africain dans l’appartement de Nolwenn la veille de sa mort ? Plus étrange, pourquoi avait-il disparu le lendemain ?
Je dus parcourir l’avenue Montaigne de bout en bout, continuer jusqu’à la place de l’Alma, traverser la Seine et sillonner la rue de l’Université pour trouver un établissement classé en deçà de quatre étoiles.
À bout de souffle, courbaturé par le périple et la valise qui traînaillait dans mes pieds, je jetai mon dévolu sur un hôtel discret d’inspiration provençale situé dans la rue Malar.
Je m’y présentai sous le nom de Marc Levy, premier patronyme qui me vint à l’esprit. La réceptionniste hocha la tête et me fit remplir une fiche. J’en déduisis qu’elle ne connaissait pas l’illustre homme de lettres.
Ma chambre donnait sur la cour intérieure. Quelques hôtes germanophones prenaient un petit-déjeuner tardif en échangeant des plaisanteries ponctuées de rires gutturaux.
Je testai le lit qui répondit à ma sollicitation par un couinement de détresse. J’inspectai ensuite la salle de bains. La prise électrique fonctionnait et la chasse d’eau remplissait son office. Hormis quelques cheveux qui tire-bouchonnaient dans le fond de la baignoire et des résidus de calcaire sur la robinetterie, la propreté était satisfaisante.
Je défis ma valise, rangeai avec soin mes vêtements dans l’armoire qui sentait l’antimite et disposai mes affaires de toilette dans la salle de bains.
Lorsque tout fut rangé, je m’effondrai sur le lit.
Il était temps que je réfléchisse au tour que ma vie venait de prendre et à ce que j’allais désormais en faire.
Midi approchait, ma fuite était manifeste et Witmeur devait fulminer.
Je l’imaginai gesticulant dans son bureau, interpellant ses semblables pour leur notifier qu’il avait eu raison. Je l’entendis pleurnicher, se lamenter, déclarer que si le juge d’instruction l’avait écouté, il m’aurait arrêté dès le lendemain du meurtre, j’aurais craqué sous la pression, j’aurais tout avoué lors de l’interrogatoire et je serais sous les verrous.
Il aurait fait la une des journaux, aurait reçu une promotion et se serait acheté une nouvelle moto.
À présent, il allait se lancer à mes trousses. Il devait s’être juré d’avoir ma peau, quitte à faire le tour de la planète pour me retrouver.
La première décision que je pris fut de ne plus consulter les quotidiens. Je ne tenais pas à me laisser intimider par les titres racoleurs qui allaient apparaître dans les heures qui suivraient.
Ma seconde décision fut de concocter un plan. Je tournai et retournai les maigres éléments que j’avais en ma possession.
Nolwenn Blackwell était ruinée. Elle était grillée dans le métier et était aux abois. Par chance, son mariage avec Amaury Lapierre allait lui donner un second souffle et la sauver de la banqueroute.
Hélas, un paparazzi avait mis fin au conte de fées.
Quelques jours avant sa mort, elle avait laissé un message à Christelle Beauchamp dans lequel elle déclarait avoir fait une erreur.
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