Angelo et Merveille me regardaient.
— Tu crois que c’est prudent d’aller là-bas ?
— Si je ne me souciais que de la prudence, je me ferais gardien de la paix, ai-je rétorqué en souriant.
Elle n’a pas insisté et Angelo a chargé le macchab sur ses épaules.
Je l’ai laissé sortir avec son lourd colis. Puis j’ai pris Merveille par les épaules.
— C’est plutôt toi qui m’as sauvé la mise, Merveille. Sans ta jugeotte, j’allais me laisser falouquer par ce fumier de Paulo…
Elle a eu un sourire heureux.
— Alors, tu tiens vraiment à aller là-bas ?
— Oui, nous allons enfin pouvoir jouer cartes sur table, c’est ce que j’attendais : un interlocuteur.
— Sois bien prudent… Enfin, autant que tu es capable de l’être. S’il t’arrivait quelque chose, il me semble que je deviendrais folle…
— Ce serait dommage, ai-je assuré en lui caressant le cou. La raison va tellement bien à ta petite tête !
A la réception du Carlton, il y avait toute une équipe de touristes suédois qui renaudaient parce que l’office de voyage de leur patelin avait oublié de retenir des piaules pour tout ce trèpe.
J’ai fait signe au mec du téléphone et je lui ai demandé le numéro de la chambre de M. Meyerfeld en le priant d’annoncer M. Paulo à celui-ci.
Il m’a informé que le ricain piogeait au 134 et a tubé au gnace pour l’informer de ma visite.
L’ascenseur m’a propulsé à l’étage et un garçon en uniforme qui avait des yeux de biche m’a conduit jusqu’à l’appartement 134. Je lui ai allongé une jambe et j’ai frappé.
La voix pâle a dit « Entrez ».
J’ai mis la paluche sur la poignée de la lourde. Celle-ci s’est ouverte mais beaucoup plus vite qu’elle n’aurait dû d’après ma propre impulsion.
Je suis parti un peu en avant et des mains m’ont happé avant que j’aie eu le temps de faire un geste.
Ils étaient quatre types dans la chambre, dont deux armés de mitraillettes. Vraiment, ils avaient de la considération pour moi. Il n’y avait pas besoin de lire dans les lignes de la pogne pour comprendre que c’était des poulardins. Un cinquième homme est apparu lorsque j’ai été ceinturé. Il se tenait derrière la porte. Il l’a refermée et a murmuré :
— Parfait…
Je ne savais que dire. J’étais assommé par la stupeur. On venait de me sauter comme un petit piqueur de troncs de rien du tout. Je ne comprenais pas. D’abord, comment Meyerfeld pouvait s’attendre à ma visite ; ensuite pourquoi il me laissait appréhender. Ça correspondait si peu à l’intérêt de l’Organisation que je me sentais vidé de toutes réactions. Peut-être comptaient-ils que je me mette à table ? En ce cas, il s’était fichu le doigt dans l’œil jusqu’au rognon ! Ils me passeraient à la bascule s’ils le voulaient, mais jamais je ne les affranchirais sur l’endroit où était planqué le magot.
Meyerfeld était un type court et gras, avec un front dégarni et des lunettes cerclées d’écaillé qui lui donnaient l’aspect déprimant d’un poisson exotique.
— Vous ne pensez pas que j’allais couper dans le piège de Paulo ? a-t-il murmuré tandis que les autres me mettaient les bracelets. Avant de me parler, celui-ci employait toujours un mot de passe pour m’avertir qu’il s’exprimait sans contrainte !
L’enfance de l’art ! Et moi, pauvre tronche, je ne m’étais pas méfié ! Je me suis offert le luxe de sourire. Que répondre ? Que dire ? Une injure aurait été l’indice d’une faiblesse…
Les quatre matuches me défrimaient d’un air goguenard.
— Alors le voilà ce fameux Kaput ? a dit l’un d’eux, un gros mahouse avec des moustaches de dompteur.
En moi une voix chuchotait.
— Reste drapé dans ta dignité, Kaput. Ils cherchent à te faire sortir de tes gonds pour pouvoir te mettre quelques cacahuètes dans les gencives. Ne sois pas dupe…
Et je restais droit, tranquille, détendu, exactement comme un brave zig en visite dans une crèche de la haute. Alors les poulets m’ont embarqué en douce par l’escalier de service. Il y avait une D.S. noire rangée dans la cour intérieure de l’immeuble. J’y ai pris place, coincé entre deux de mes anges gardiens. Mon arrestation a été la plus discrète qui soit. Je crois qu’à part un garçon d’étage, personne à l’hôtel ne s’est aperçu de quelque chose…
* * *
Chose curieuse, lorsque je suis arrivé au Dépôt, je n’ai été conduit devant aucun commissaire. On m’a enfermé dans une cellote et j’ai attendu, dans la pénombre, le bon plaisir de messieurs les perdreaux.
Mais je n’ai pas entendu parler d’eux ce jour-là. On m’avait bouclé pour me tenir à portée de la pogne. En attendant, ils devaient se démerder pour écraser le coup au sujet de l’organisation. Ils se disaient qu’à partir du moment où on instruirait mon affaire, je me mettrais à débloquer sur le trafic de la came et ils voulaient assainir la pièce avant de recevoir du monde ; je les comprenais.
Ces peaux d’hareng m’ont laissé mijoter toute la journée sans se manifester, fût-ce pour m’apporter à becqueter. J’avais des réserves et je pouvais voir venir… S’ils croyaient que j’allais tambouriner à la lourde pour un morcif de bred, ils se carraient le doigt sous la paupière !
La noye s’est écoulée, lente comme une course d’escargots.
Ils m’avaient ôté mon feu et mes allumettes, me laissant, contre toutes les meilleures règles, mes lacets et mes pipes.
Vers le mitan de la nuit, je me suis mis à penser à Merveille, et alors une sorte de peine tiède m’a remué l’intérieur.
Je ne pouvais pas pioncer sur le bat-flanc après ces nuits passées près d’elle dans la mollesse de notre lit à grand spectacle. J’imaginais son corps bronzé sur les draps de fil jaune… Je pensais à ces reflets de cuivre qu’arrachait à sa peau la lumière orangée du lampadaire. J’éprouvais la douceur de son souffle sur ma bouche. Je songeais au chavirement de ses yeux quand je lui mordillais la lèvre supérieure… Alors vous pensez que pour ce qui était d’en écraser dans cette cellule puante, bernique !
Au petit jour, j’étais las à crever… Mes paupières me brûlaient et j’avais la bouche pâteuse. Mon ventre vide émettait des gargouillis désespérés.
La matinée s’est écoulée mornement. Je commençais à la piler sérieusement. Peut-être m’avait-on oublié ? Peut-être désirait-on me faire claquer d’inanition dans ce trou ? Tout me semblait possible… Je n’entendais aucun son et j’avais l’impression d’habiter dans un sépulcre.
Sur le coup de midi, — j’avais toujours ma tocante —, un bruit de pas m’a fait sursauter. La lourde s’est ouverte et je me suis trouvé face à face avec le gros moustachu de la veille, celui qui m’avait passé les poucettes.
— Arrive ! a-t-il ordonné.
Les bracelets se sont refermés sur mes poignets. Le gros m’a poussé devant lui. Il était escorté d’un autre gars en civil et d’un poulet en uniforme. Nous avons pris le chemin de la sortie. La même bagnole noire stationnait devant le Dépôt. Je m’y suis casé et, fouette cocher ! le gardien a pris le volant.
Entre le gros et son pote, je n’avais pas trop de place. Des crampes d’estomac me tenaillaient. J’étais surpris par ce départ en calèche. Il ne s’agissait pas d’une quelconque reconstitution, car aucun magistrat ne nous accompagnait. Pas question non plus de transfert, celui-ci se serait effectué en voiture cellulaire. Je fermai mon clapoir sur ma curiosité. Le gros me lorgnâit d’un œil sardonique.
— M’sieur Kaput n’est pas un bavard, hé ? a-t-il murmuré en lissant ses grosses baffies d’un doux revers de main.
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